Martina Viktorie Kopecká, pasteure hussite : « La foi est comme la courbe d’un électrocardiogramme »
Pasteure depuis trois ans de l’Eglise hussite tchécoslovaque, Martina Viktorie Kopecká, 32 ans, échappe à tous les stéréotypes attendus en milieu ecclésiastique. C’est une femme élégante aux cheveux courts et qui porte un rouge à lèvres vif, « pour marquer que le calice rouge est le symbole de la deuxième Eglise protestante en Tchéquie ». Unique femme ordonnée à avoir été invitée au Synode des jeunes organisé par le pape à l’automne dernier au Vatican, Martina Viktorie Kopecká n’a pourtant reçu son baptême qu’en 2011, pour devenir, quelques années plus tard, pasteure à l’Eglise Saint-Nicolas, au cœur de la Vieille-Ville de Prague. C’est dans ces locaux que la jeune pasteure francophone, qui préfère toutefois s’exprimer en tchèque, a reçu Radio Prague, pour parler de son parcours étonnant.
« J’ai appris le français au lycée, c’était ma deuxième langue, une langue pour laquelle j’ai beaucoup d’affection. Après le bac, j’ai travaillé pendant plusieurs années dans une entreprise multinationale, au sein d’une équipe qui s’occupait de guichets automatiques bancaires en France. Donc pendant plusieurs années, le français était ma langue de travail. Mais aujourd’hui, je ne l’utilise que passivement. Par exemple, dans le cadre de mon travail de doctorat, j’examine le travail du Groupe des Dombes. Il réunit catholiques et protestants et son engagement en matière de théologie est remarquable. »
Qu’est-ce qui vous a amenée à étudier la théologie, alors que jusqu’à l’âge de 21 ans, rien ne vous prédestinait à un tel parcours ?
« J’ai ressenti une énorme frustration par rapport à mon travail, même s’il était lié à la France que j’aime et même si j’y avais du succès. »
« C’était justement le contraste entre ma carrière professionnelle et le besoin de faire autre chose encore de ma vie. Je me souviens d’un moment précis : c’était à l’époque où j’étudiais la théologie par correspondance. Un jour, ou plutôt une nuit, j’étais en train d’étudier le texte hébreu du Livre de L’Ecclésiaste : ‘Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux : un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté (…), un temps pour aimer, et un temps pour haïr…’ En lisant ces propos, j’ai réalisé que c’était une sagesse qui m’était très proche, qui me parlait, qui éveillait quelque chose au plus profond de moi. C’étaient des valeurs que je cherchais mais que je ne trouvais nulle part, et là, elles étaient devant moi, dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Du coup, j’ai ressenti une énorme frustration par rapport à mon travail, même s’il était lié à la France que j’aime et même si j’y avais du succès. Mes études de théologie avaient soudain beaucoup plus d’intérêt pour moi. »
J’étais comme une feuille vierge avant d’entamer des études de théologie
« Néanmoins, je dois souligner que ni à cette période, ni après, je n’ai aspiré à un quelconque travail au service de l’Eglise. Pendant un certain temps, j’ai continué à travailler dans le privé, dans le domaine des médias aussi. Ce n’est que quelques années après que j’ai osé faire la dernière démarche : j’ai reçu le baptême, et j’ai fait savoir à mon entourage que je croyais en Jésus-Christ, que je voulais sincèrement entreprendre un chemin spirituel. Il y a huit ans de cela, j’ai commencé à travailler ici à l’Eglise Saint-Nicolas comme assistante paroissiale. »Cela demande quand même un certain courage de déclarer publiquement dans une République tchèque sécularisée : ‘Je crois en Jésus-Christ’. Les croyants sont ici minoritaires et plutôt réticents à manifester leur foi, souvent perçue comme quelque chose d’intime… Comment avez-vous vécu ce moment crucial ?
« J’ai fait une première expérience de ce genre dans mon milieu familial. Lorsque j’ai annoncé à mes parents (médecins de profession, ndlr) que je voulais étudier la théologie, leur première réaction était : ‘Ce n’est pas grave, ça va bientôt passer et ça ira mieux.’ J’ai juste haussé les épaules… Ensuite, ils m’ont beaucoup soutenue, ils ont assisté à mon baptême… Ils m’ont aussi encouragée pour la suite dans mes études, car outre la théologie, j’ai passé un diplôme de psychologie et de pédagogie spéciale. Puiser dans ces deux domaines m’aide énormément dans mon travail de pasteure. »Pourquoi avez-vous opté pour l’Eglise hussite tchécoslovaque ?
« Il y a une raison poétique à cela : je suis originaire de la ville de Louny, située en Bohême du Nord, qui a une tradition hussite. Et puis, une raison tout à fait pratique : je n’ai pas eu à passer le concours d’entrée pour étudier à la Faculté de théologie hussite. Si j’avais dû passer le concours, on ne m’aurait jamais acceptée, car j’étais comme une feuille vierge, je n’avais absolument pas de connaissances théologiques, j’avais juste l’Imagerie de la Bible dans ma bibliothèque. Au début, nous étions 70 dans ma promotion, mais finalement, nous ne sommes que trois à avoir obtenu le diplôme, tous les autres étudiants ont abandonné. Tout cela pour dire que la théologie est vraiment un domaine peu convoité par les jeunes Tchèques. »
L’égalité des genres témoigne de l’esprit ouvert de l’Eglise hussite
Comment se porte l’Eglise hussite tchécoslovaque aujourd’hui ? Rappelons qu’il s’agit de la troisième plus importante Eglise en République tchèque, fondée il y a bientôt cent ans. Comparé à l’Eglise catholique, elle paraît assez moderniste, étant donné que les femmes y sont ordonnées pasteures depuis 1947.
« L’Eglise hussite tchécoslovaque a été fondée le 8 janvier 1920, dans l’Eglise Saint-Nicolas, où nous nous trouvons en ce moment. Sa proclamation a été initiée par une partie libérale du clergé catholique. Celle-ci a notamment revendiqué que la messe soit célébrée en tchèque, que le célibat devienne volontaire, que l’Eglise accepte davantage les connaissances scientifiques, que la communion soit donnée à tous les croyants sous les deux espèces. Aussi, l’Eglise hussite a avancé le concept de la liberté de conscience. Cela veut dire que la communauté religieuse respire librement, elle permet de mener un dialogue avec les croyants à propos de thèmes très divers, des thèmes controversés aussi. Toutes les questions peuvent être posées et tout le monde est accepté. Nous nous appelons ‘frère’ et ‘sœur’ entre nous. Nous avons déjà une femme évêque et à chaque fois que l’Eglise choisit un nouveau patriarche, des femmes figurent parmi les candidats. Cette égalité des genres témoigne elle aussi, de l’esprit ouvert de notre Eglise. »« Ce n’est qu’au début des années 1970 que l’Eglise tchécoslovaque a adopté sa désignation ‘hussite’. L’idée initiale était vraiment de fonder une nouvelle Eglise nationale qui reflète les problèmes actuels. Elle a connu son apogée après la Seconde Guerre mondiale, où elle comptait un million de membres. Sa spécificité est due au fait qu’elle renoue avec le mouvement spirituel médiéval et aux débuts du christianisme dans les pays tchèques, qu’elle se réfère au réformateur Jan Hus, dont elle porte le nom, ainsi qu’à Cyrille et Méthode, tout en s’intéressant à l’homme aujourd’hui, à ses problèmes actuels. Elle continue à attirer les croyants attachés à l’idée du patriotisme, qui ont un fort sentiment national. »
Quelle est l’ambiance des messes dominicales que vous célébrez ici, à l’Eglise Saint-Nicolas ? Je crois que même certains Tchèques ne savent pas que cette majestueuse église baroque, située au cœur de la très touristique Vieille-Ville de Prague, appartient à l’Eglise hussite tchécoslovaque…
« Les portes de l’église sont ouvertes sur la place de la Vieille-Ville et tout le monde peut venir. »
« Les messes sont célébrées en tchèque et presque toute la liturgie est chantée. Les portes de l’église sont ouvertes sur la place de la Vieille-Ville est tout le monde peut venir à n’importe quel moment, rester et participer à la messe ou partir. Evidemment, l’église est fréquentée par de nombreux touristes étrangers. La communion est donnée à tout le monde, l’appartenance à telle ou telle Eglise ne joue aucun rôle. Ici, les nationalités, confessions et traditions se mélangent et à la fin, tout le monde va prendre un café ou un thé ensemble. »
Vous dites que l’Eglise tchécoslovaque hussite est ouverte aux gens en quête spirituelle. Ces gens seraient nombreux, ce qui est en contradiction avec l’image d’une République tchèque athée. Les jeunes qui se posent des questions sur leur foi, vous contactent-ils ? Adhèrent-ils à votre Eglise ?
« D’après le dernier recensement, l’Eglise hussite tchécoslovaque compte environ 40 000 membres. A peu près la moitié d’entre eux sont pratiquants et assistent régulièrement aux offices. Ce qui nous manque surtout, c’est la génération de mes parents, les gens qui ont autour de 50, 60 ans. Souvent, ils n’ont plus été baptisés, la tradition a été interrompue sous le régime communiste. Les gens qui me contactent, qui ressentent le besoin d’un accompagnement spirituel, se divisent en plusieurs groupes. Certains veulent faire baptiser leurs enfants et les éduquer dans la foi, mais ne savent pas très bien comment, car eux-mêmes n’ont pas reçu d’éducation religieuse. D’autres veulent se marier à l’église, parce qu’ils désirent quelque chose de plus qu’une cérémonie de cinq minutes à la mairie.
Le Synode a soulevé les mêmes questions que se posent les jeunes Tchèques
« Enfin, je rencontre pas mal de jeunes gens qui s’interrogent à propos de leur identité chrétienne. Ils cherchent, ils se posent des questions, ils marchent souvent à contre-courant de la position officielle de l’Eglise, parfois difficile à comprendre. En octobre dernier, j’ai assisté au Synode des jeunes convoqué par le pape François au Vatican. En fait, nous y avons soulevé les mêmes questions que ces jeunes, ainsi que le rôle très important des laïcs et des femmes au sein de l’Eglise. »
« Donc je reste optimiste pour l’avenir de l’Eglise : elle vit une transformation, peut-être pas aussi rapide que notre société, mais tout aussi importante et nécessaire : ce qui change, c’est l’ambiance, le langage… Même les scandales qui secouent l’Eglise font partie de ce renouveau. Nous les condamnons, mais en même temps, nous sommes tous concernés. Ce n’est pas le problème d’une Eglise concrète, c’est un problème humain. »Que signifient les fêtes de Pâques pour vous personnellement ? Que pourraient-elles signifier pour ceux qui sont en quête spirituelle, qui s’estiment être croyants mais ont du mal à s’identifier à une Eglise concrète ? Auriez-vous des pistes pour eux ?
Martina Viktorie Kopecká
-née en 1986 à Louny, de parents médecins
-pasteure et psychothérapeute
-représente l’Eglise hussite tchécoslovaque au Conseil œcuménique des Eglises (COE)
« Lorsque Jésus-Christ appelait ses disciples à le suivre, ils ne leur a pas promis une vie en rose. J’aime bien ce paradoxe de la vie chrétienne qui, souvent, amène l’homme à un questionnement beaucoup plus complexe et profond qu’il n’aurait imaginé au début. Surtout, la foi donne de l’espoir dans la vie. Les gens croient ‘en quelque chose’, mais ne vont pas plus loin dans la découverte de cet espace inconnu. C’est dommage. Pour moi, les fêtes de Pâques sont justement l’occasion de renouveler la foi en tant qu’acte de courage et de confiance : on est au bord du gouffre et on a le courage de se jeter dedans. Je crois que la foi n’est pas un trottoir en béton qui mène droit devant nous. C’est plutôt comme la courbe d’un électrocardiogramme, avec des pics et des creux. »
« Etre chrétien est un mode de vie spécifique, cela devient une partie intégrante de vous-même. Je dis souvent en rigolant que je suis pasteure même quand je vais au marché, à la piscine ou prendre un verre avec mes amis… En même temps, je crois être restée les pieds sur terre : je prends toujours beaucoup de plaisir à discuter de la foi avec mes amis athées qui ont mille et un reproches envers l’Eglise et eux, ils s’amusent assez, je crois, à me poser les questions qui les taraudent. Je les comprends très bien. »