« Michel Houellebecq est paradoxalement facile à traduire »
Entretien avec Alan Béguivin, qui traduit en tchèque l’écrivain français Michel Houellebecq, à nouveau au centre de polémiques ces dernières semaines en France.
Vous avez publié il y a quelques semaines aux éditions Odeon le dernier livre de Michel Houellebecq, Anéantir (en tchèque Zničit) – que pensez-vous des dernières polémiques relativement importantes autour de l’écrivain en France ?
Alan Béguivin : « Je n’ai pas encore constaté de polémiques concernant ce livre, par contre il y a une nouvelle fois des polémiques récentes concernant l’Islam, parce que Houellebecq a participé à un entretien avec Michel Onfray dans la revue de ce dernier, Front populaire. Il y a dit quelque propose – pour ma part assez anodins – que le recteur de la Grande mosquée de Paris a mal pris, ce qui nous renvoie à ce qui s’est passé après la parution de Plateforme. »
Vous les considérez comme anodins, les propos de M. Houellebecq ?
« C'est peut-être un trait de ma personnalité qui fait que je suis rarement choqué par des propos, mais pour préciser, Michel Houellebecq a dit qu’il ne voulait pas que les délinquants arabes agressent et volent les gens. Rien de grave là-dedans mais comme l’écrivain l’a constaté, on lui a reproché une certaine essentialisation des musulmans car il les a tous mis dans le même panier. Ce qui m’a très surpris est qu’il ait ensuite accepté de rencontrer le recteur de la Mosquée de Paris et présenter une sorte de mea culpa ou d’explication, ce qui ne lui ressemble pas. »
Il faut croire qu’il a pris conscience d’être allé trop loin.
« Probablement. Il s’est déjà expliqué dans le magazine Le Point en disant qu’il ne voulait évidemment pas pointer du doigt tous les musulmans tout en indiquant que l’Islam ne l’intéressait pas trop. C’est assez paradoxal car je crois qu’il se fiche un peu des conséquences de ses propos, mais là il a accepté de participer à cette discussion, peut-être à l’initiative de l’imam… »
C’est le grand rabbin de France qui a initié cette rencontre entre M. Houellebecq et le recteur de la Mosquée.
« Cela explique peut-être il a accepté cette fois-ci de revenir sur ses mots. Des supporters de Houellebecq ont ensuite parlé de sa ‘soumission’, ce qui est aussi paradoxal. »
Vous considérez-vous comme un supporter de Michel Houellebecq ?
« Je me considère comme un grand supporter comme Michel Houellebecq. Ma fascination du début, un choc après sa découverte, s’estompe depuis vingt ans. Mais j’aime beaucoup le traduire. Je me rends aussi compte d’un certain manque d’objectivité vis-à-vis de lui ou de son œuvre. Cette fascination s’est beaucoup affaiblie au fil du temps, je suis maintenant capable d’entendre les reproches qu’on lui fait. »
Pas de style ampoulé
Est-ce facile de traduire Michel Houellebecq ?
« Paradoxalement c’est assez facile, parce que comme il l’explique dans son recueil de textes courts ‘Rester vivant’, la condition pour avoir un bon style est d’abord d’avoir quelque chose à dire. J’aime assez ça. Le style de Michel Houellebecq n’est donc pas spécialement ampoulé ou compliqué. Il ne se perd pas dans des longues phrases à la Proust. On peut lui reprocher une certaine platitude de style mais pour le traducteur c’est plutôt favorable – pas à avoir peur de double-sens, de deuxième degré ou d’incompréhension du texte. Cela fait pour ma part que cela se traduit assez facilement et que j’y prends beaucoup de plaisir. »
Vous disiez avoir été fasciné par Houellebecq il y a vingt ans. Choisissez-vous les titres que vous traduisez en fonction de vos intérêts ? Il faut savoir que vous avez traduit un livre encore plus controversé que ceux de Houellebecq, celui intitulé Le grand remplacement de Renaud Camus…
Effectivement j’ai traduit ce livre de Renaud Camus. Je n’y adhère pas spécialement.
« Exactement, mais je veux préciser que je ne suis pas spécialement attiré par cette théorie. D’ailleurs dans la même revue Front Populaire qui a suscité l’indignation, Michel Houellebecq dit dans le même entretien qu’il considère cette théorie du grand remplacement comme un fait. Effectivement j’ai traduit ce livre de Renaud Camus. Je n’y adhère pas spécialement. Simplement on peut difficilement nier que le nombre d’immigrants augmente grâce à une certaine politique. Cela ne m’intéresse pas spécialement puisque je vis à Prague… »
Mais Renaud Camus - comme Michel Houellebecq donc apparemment – dit que c’est un fait, alors qu’il l’utilise pour une théorie complotiste…
« C’est ça. C’est ce qu’on lui reproche beaucoup, ce complotisme, et d’ailleurs dans leur entretien les deux Michel – Houellebecq et Onfray – se rangent dans le même camp en rejetant la carte complotiste présentée par Renaud Camus. Cependant en traduisant son livre je n’ai pas vraiment eu l’impression d’avoir à faire à des développements complotistes. Dans son livre il se distancie, peut-être maladroitement, d’un complot visant à faire venir le plus de musulmans possible en Europe. »
Et vous vouliez faire découvrir ça aux lecteurs tchèques ?
« Ce n’était pas mon idée. Ce n’est pas une théorie ou un fait qui me tient à cœur. Je n’ai rien contre les immigrés. C’était une proposition de l’éditeur Dauphin. Il faut dire que depuis que je traduis Houellebecq il y a certaines personnes qui me pensent d’extrême-droite. Il y a toujours un lien fait entre Houellebecq et l’extrême-droite. Certaines personnes me proposent de traduire Zemmour, j’ai dit que je n’avais pas spécialement envie même s’il ne susciterait pas la même polémique qu’en France ici en Tchéquie… »
« Avec Houellebecq, les lecteurs xénophobes trouvent leur âme-sœur »
Surtout on peut avoir l’impression que cela va dans le sens de ce que pensent beaucoup de Tchèques de la France, à savoir que c’est un pays dépassé par le nombre d’immigrés, que ‘Paris n’est plus Paris', etc.
« Moi il y a d’autres sujets de société qui m’intéressent davantage, mais vous avez raison, je ne peux pas généraliser mais je dois dire que je rencontre souvent des Tchéques xénophobes, qui ont peur d’accueillir par exemple 150 immigrés. C’est assez ridicule et incomparable avec la France. Il y a en effet une certaine vision des Tchèques moyens qui voient l’Europe occidentale immergée par l’immigration… »
Et Houellebecq prend plutôt pas mal dans ce lectorat-là…
« Je crois que ce n’est pas l’essentiel dans les romans de Houellebecq mais les lecteurs xénophobes trouvent d’une certaine façon leur ‘âme-sœur’ dans cet écrivain, mais je crois que c’est un petit peu un malentendu. »
Vous faisiez référence aux deux Michel – Houellebecq et Onfray. J’ai cru comprendre que vous appeliez Michel les héros des livres de Houellebecq, auxquels vous vous identifiez parfois. C’est quoi un Michel ?
« Je crois qu’aujourd’hui on dit un ‘boomer’ et par mon âge j’en fais partie. Un Michel est un quadragénaire désabusé, pas très satisfait de sa vie professionnelle et sociale. J’avais dit ça à un moment où je me voyais assez dans cette case. Je crois aussi qu’un Michel est un romantique et un idéaliste déçu. Cela peut paraître assez ridicule parfois la façon monotone dont ces héros reviennent dans les romans de Houellebecq. »
Biographie de H.P. Lovecraft
Vous êtes franco-tchèque, avec un parcours entre Tchéquie et France et un rapport compliqué avec la France si j’ai bien compris ?
« C’est exact, peut-être qu’on n’aurait pas le temps ou que je ne serais pas capable d’expliquer la nature de mes réserves envers la France… J’ai étudié les Lettres modernes à Strasbourg et à Paris. Je suis reconnaissant envers la France de me l’avoir permis. Mais j’ai eu une phase personnelle compliquée et ai gardé un souvenir amer de Paris, qui est une ville que je n’aime pas, je m’y suis senti très anonyme. Plus généralement je me suis rendu compte que j’étais beaucoup plus tchèque mentalement. Je me retrouve beaucoup mieux dans la culture tchèque, je m’y oriente beaucoup mieux, peut-être à cause de la taille réduite du pays. En France il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas. Il y a aussi un certain courant idéologique qui me pose problème, comme le wokisme. Je suis assez conservateur, sans être d’extrême-droite, et cela me pose problème. En Tchéquie on n’est beaucoup plus sceptique car on a connu le communisme, une idéologie qui a fait beaucoup de mal. Je me sens Pragois, je vis ici depuis plus de vingt ans et suis assez content ici. »
Quelles seront vos prochaines traductions ?
« Etant donné que Houellebecq a trouvé son lectorat en Tchéquie, j’ai essayé de regrouper des textes plus courts qu’il a écrits notamment dans un recueil intitulé Interventions. Il a aussi écrit une biographie de Lovecraft et des commentaires de Schopenhauer, son grand maître. J’ai déjà publié chez Albatros un premier recueil de textes courts ainsi que la traduction du livre Ennemis publics, sa correspondance avec B. H. Lévy, et je prépare un troisième volet avec certains de ses textes. Ensuite je vais un peu me reposer de la traduction littéraire, parce que ce n’est pas un travail apprécié à sa juste valeur ! »