Edvard Benes - grand Européen

Edvard Benes

La personne du deuxième président tchécoslovaque, Edvard Benes, ne cesse de faire l'objet de débats, même 55 ans après sa mort. Benes a été à la tête de l'Etat, lorsque celui-ci a vécu des moments fatals de son histoire. Aussi, pour beaucoup de la génération âgée, il restera celui qui n'a pas permis d'opposer une résistance armée aux nazis, en 1938, en acceptant le diktat de Munich. Pour d'autres, il restera celui qui, en acceptant, en 1948, la démission des ministres démocrates, a ouvert la voie du pouvoir des communistes. Finalement, les associations allemandes d'expulsés voient dans Benes un politicien qui, par sa législation d'après-guerre, les dits décrets Benes, a permis le transfert des Allemands des Sudètes et la confiscation de leurs biens. N'empêche que Edvard Benes soit, après son prédécesseur Tomas Garrigue Masaryk, le deuxième président tchécoslovaque dont les mérites ont été mis à l'honneur par une loi spéciale. Fin avril, le parlement a approuvé la loi comprenant une seule phrase: le président Benes a des mérites pour l'Etat tchécoslovaque.

Edvard Benes  (1939)
Comment, la personnalité d'Edvard Benes est-elle vue par le professeur Alexandr Ort, historien et spécialiste en matière de politique internationale?

" Pour moi le problème Edvard Benes a toujours été très complexe, depuis mes études de politique étrangère, parce que lui était lié depuis le commencement jusqu'à sa mort avec la politique étrangère tchécoslovaque. Je n'avais pas assez de courage pour écrire quelque chose sur lui mais finalement, après que j'ai été exclu de l'Université, j'ai décidé d'écrire une étude sur Benes, et il me semblait qu'il était un politicien non seulement tchécoslovaque, mais aussi européen. Pour le témoigner, j'ai eu la chance de trouver dans les mémoires de guerre de de Gaulle deux ou trois citations de Benes qui m'ont influencées. De Gaulle, dans ses mémoires, était quelque fois assez sévères vis-à-vis de ses amis et de ses collègues, j'ai donc été surpris que sur Benes il ait écrit quelques mots très sympathiques dont voici la citation: "Les entretiens avec Benes consistaient en de hautes leçons historiques et politiques qu'il professait longuement sans qu'il fusse jamais lassé ni l'auditeur ni le maître."

C'était à peu près en quelle année?

Edvard Benes
"C'était en 1942 à Londres. Benes et de Gaulle étaient dans une situation difficile, parce que les représentations des deux pays n'étaient pas de la même qualité que celles d'autres pays occupés. Les gouvernements de France et de Tchécoslovaquie étaient en exil, de Gaule n'était qu'un représentant de la France libre. Après avoir un peu étudié ensemble l'histoire du traité de Munich où de Gaulle était tout à fait contre, celui-ci a accepté l'invitation de Benes, en 1942, de déclarer, au nom de la France, la non-validité du traité de Munich. Il y avait un échange des lettres entre le conseil national français et le gouvernement tchécoslovaque en exil dans lesquelles la Tchécoslovaquie écrit que pour nous, la chance, en Europe, est que la France reprenne le rôle et le rang qui doivent être les siens. Au moment où de Gaulle était critiqué des différents cotés: britannique, américain, etc., cela a joué un certain rôle. Depuis ce moment là, les deux se comprenaient assez bien et cela s'est manifesté dans leur politique européenne parce que Benes a signé un traité d'alliance avec l'URSS, en 1943, et une année plus tard c'était de Gaulle qui a fait le même, déjà en tant que président du gouvernement. Je crois que c'était l'expression de leur position vis-à-vis de l'Europe, de ce que de Gaulle appellera l'Europe de l'Atlantique à l'Oural."

Dans les mémoires de de Gaulle, vous avez trouvé encore d'autres exemples de contacts entre lui et Benes?

"Benes, en rentrant de Moscou fin 1943, début 1944, il s'est arrêté à Alger où ils ont parlé longuement de la situation en Europe et de nouveau ils se sont mis d'accord sur plusieurs points de vue, et à la fin Benes a expliqué à de Gaulle pourquoi il était obligé de signer cette alliance avec l'URSS. Juste après la conférence de Téhéran, de Gaulle lui a posé une question, d'après les mémoires, à savoir qu'est-ce qu'il juge sur ses trois grands acteurs et Benes lui a répondu, compte tenu du fait que Roosewelt était Américain, que personne ne pourrait prendre Staline pour un Européen, et que Churchill représentait l'empire britannique, que l'Europe n'était pas suffisamment représentée à l'étape finale de la guerre pour que les questions européennes soient assez bien discutées, traitées. Et en ce moment là, de Gaulle qualifie Benes de grand politicien décidé de défendre l'Europe, d'être un grand Européen."

Ce que vous dites, ce sont des faits nouveaux pas seulement pour moi, c'est très bien d'entendre dire de Benes qu'il était un grand Européen?

"C'était une découverte pour moi grâce à de Gaulle et ses mémoires où il écrit très ouvertement sur Benes, ce qui m'a aidé à voir toute la situation de l'autre côté. Quand il critique, à la fin, les trois grands, Benes: Il est vrai qu'il reste vous-même, général de Gaulle, artisan de cette France, ferme et tant indispensable à l'équilibre. Si vous n'aviez pas paru après la chute de votre pays pour entraîner le redressement, il n'y aurait plus eu d'espoir pour la liberté de l'Europe... C'est vraiment, d'un autre côté, une félicitation de Benes à de Gaulle qui a témoigné des liens d'amitié qui se sont crées entre l'un et l'autre."