Bernard Magnier : « Les valeurs d’Amadou Hampatê Ba sont encore d’une actualité absolue »
Toute cette semaine se déroulait le festival Afrique en création, l’occasion de valoriser tout un patrimoine littérature africain. Parmi les invités, Bernard Magnier, entre autres éditeur chez Actes Sud, est venu présenter sa pièce Le Fabuleux destin d’Amadou Hampatê Ba. Radio Prague l’a rencontré à l’issue d’une représentation donnée devant des lycéens tchèques apprenant le français.
« Je m’appelle Bernard Magnier, je suis à la fois journaliste, éditeur, conférencier, auteur de deux pièces de théâtre documentaires, l’une sur Sony Labou Tansi, et l’autre sur Amadou Hampatê Ba. C’est un travail qui s’inscrit dans une série : deux pièces ont été jouées, une troisième est écrite, et j’espère qu’il y en aura une quatrième et une cinquième sur des auteurs du monde africain ou caribéen. Je veux travailler sur des auteurs qui ont déjà une œuvre considérable, mais qui ont aussi un destin personnel qu’il faut raconter. »
Comment est-ce que vous en êtes venu à travailler sur les littératures africaines ?
« J’ai eu la chance d’avoir comme professeure la romancière guadeloupéenne Marise Condé, qui a eu le prix Nobel de littérature alternatif à l’automne dernier. A l’époque, elle enseignait les littératures « négro-africaines » (auteurs caribéens et africains). J’ai découvert des auteurs qui apportaient quelque chose de nouveau, mais surtout ils étaient vivants, et ils étaient des acteurs principaux, parfois majeurs, de la vie de la cité. C’était une littérature qui portait un engagement. Or, je faisais mes études à l’époque où c’était le nouveau roman qui primait, et je n’y retrouvais pas cette implication dans la vie de la cité qui m’intéresse. »
Il y a beaucoup d’archives dans votre pièce, comment s’est effectuée la sélection de ces documents ?
« Je crois qu’il y a 57 citations différentes dans la pièce. Cela a posé un vrai problème de tri : Hampatê Ba, c’est une matière abondante. Ensuite, il a fallu tramer quelque chose avec mes propres mots pour faire connaître ce personnage et essayer de faire connaître son nom. J’ai un but avec ce théâtre documentaire : c’est que quelques personnes, en sortant de la salle, aient envie de lire un livre. »Comment avez-vous rencontré les acteurs ?
« Grâce au metteur en scène qui les a choisis. A partir du moment où vous écrivez un texte, c’est le metteur en scène qui s’empare du texte, choisit les comédiens. Il choisit aussi la place importante que prend le musicien. La difficulté, c’était qu’il fallait que ça soit un théâtre qui puisse voyager : le jeu de scène est minime, comme la scénographie : lorsque le personnage parle dans le micro, on comprend que c’est Hampatê Ba qui parle directement. »
Que racontent les morceaux de Tom Diakité ?
« C’est du peul, et il nous installe dans une sorte de veillée qui se voudrait veillée traditionnelle africaine. On commence par une généalogie, en citant les ancêtres d’Hampatê Ba… Ce sont des textes qui pourraient être proférés dans une veillée traditionnelle. C’est l’idée de nous mettre dans une ambiance de veillée par le décor, la musique traditionnelle, revisitée en musique contemporaine. »
Vous dîtes que votre but est d’emmener le public vers les littératures africaines. Ici, vous avez représenté votre pièce devant un public non francophone de naissance, qui n’a pas le même héritage culturel que le public français…
« J’ai eu la chance d’être invité par Lucie Němečková. Jamais je n’aurais cru que ma pièce serait sous-titrée un jour en tchèque ! Donc c’est certes un défi, mais depuis le milieu de la salle, j’ai vraiment eu l’impression que la pièce suscitait l’écoute. »
Comment ça se passe, dans les répétitions, quand on voit ses propres mots s’incarner dans des comédiens ?
« Je ne suis pas vraiment un dramaturge, mais c’est vrai que ça fait plaisir. Le voir en plus avec un sous-titrage tchèque, c’est incroyable ! Ce n’est pas vraiment une pièce, plutôt une sorte de documentaire. Mais on se dit souvent ‘tiens, il l’a dit comme ça, c’est intéressant !’, et puis parfois l’inverse. Mais moi, mon travail, c’est l’écrit, et je m’y tiens. La précédente pièce, sur Sony Labou Tansi, a été jouée en Afrique. J’aimerais bien que cette pièce sur Hampatê Ba connaisse le même destin. »Quelles valeurs d’Amadou Hampatê Ba restent à affirmer aujourd’hui ?
« Je crois que c’est la tolérance, l’interrogation, la remise en cause de la part de quelqu’un qui est profondément religieux. Quand on lui demandait ce qu’était Dieu, il disait ‘l’embarras des intelligences humaines’. C’est cela qui reste, et en tous cas, c’est ce que je veux mettre en avant. On découvre quelqu’un, mort il y a une vingtaine d’années, dont les propos, sont encore d’une actualité absolue. Et c’est cela la grande force de la littérature, c’est quand on peut la lire sans prendre en compte les frontières ou le calendrier… »