« Carnoťáci » : les lycéens tchèques à Dijon depuis près d’un siècle
Il existe encore deux sections tchèques dans des lycées en France, à Nîmes et à Dijon. « Carnoťák », « Carnoťáčka » ou « Carnoťáci » au pluriel : c’est ainsi que s’appellent entre eux les élèves et les anciens élèves tchèques du lycée Carnot de Dijon. Malgré des interruptions liées aux vicissitudes de l’histoire européenne, la section tchécoslovaque, puis tchèque, existe depuis 1920 dans ce lycée réputé de la région bourguignonne. La semaine dernière s’y tenait le traditionnel spectacle tchèque de fin d’année, l'occasion pour Radio Prague d'aller y faire un tour.
Magdalena Vigent est la lectrice tchèque actuellement en poste à Dijon qui a sous sa responsabilité la petite vingtaine d’élèves logés à l’internat du lycée:
« Nous sommes dans le bâtiment historique du lycée Carnot, où la section tchèque remonte quasiment à la création de la Tchécoslovaquie. Bien sûr, dans les années 1920 le régime pour ces lycéens était très sévère, presque militaire dirait-on. »« Aujourd’hui beaucoup de choses ont changé. Désormais il y a aussi des filles. Cette année nous avons dix-huit élèves, dont neuf filles et neuf garçons. Tous sont logés à l’internat, où il faut se tenir aux règles, qui ne plaisent pas toujours même si elles sont beaucoup plus souples qu’avant. Cela dit, ce n’est pas toujours facile pour eux d’être loin de leur famille, donc c’est un peu mon rôle de remplacer d’une certaine manière les parents et d’être un peu psychologue… »
Parmi les dix-huit lycéens tchèques cette année, il y a Martin, en terminale, et Jakub, en seconde.
Martin : « Je passe mon bac ES dans quelques jours et je vais en fac l’année prochaine.»
Jakub : « Au début ça a été très difficile pour moi. Passer de Prague à Dijon, changer de rythme de vie avec un règlement différent de mes habitudes, l’éloignement des amis et de la famille… »
Martin : « Pour moi ça a été un peu un choc culturel au début. Un historien (Jiří Hnilica, ndlr) a publié un livre sur les sections tchèques dans lequel il écrit que l’enrichissement intellectuel et personnel se fait un peu au détriment de la vie privée. On peut sortir le vendredi soir mais c’est vrai que nous n’avons pas la même liberté que chez nous. »C’est difficile au début les cours en français ?
Martin : « Avant d’arriver, je n’avais pas eu de cours de français intensifs, mais au bout d’un moment ça vient naturellement, aussi grâce aux week-ends qu’on passe dans nos familles d’accueil. »
A l’occasion du spectacle tchèque de fin d’année, plusieurs anciens élèves tchèques reviennent au lycée Carnot, comme cette année Adam et Slavomir.
Adam : « C’est chouette de revenir, ça me rappelle de bons souvenirs. J’ai passé mon bac ici il y a deux ans, maintenant je fais une double licence économie/géographie à la Sorbonne. »Slavomír : « Moi, j’ai passé mon bac ici en 2015, j’ai fait une double licence droit/histoire et maintenant je suis en relations internationales, toujours à l’Université Paris I. »
Adam : « Le lycée Carnot c’est une étape importante de notre vie qui nous a permis de nous ouvrir sur le monde et de poursuivre nos études en France. »
« Au début c’est un peu un défi, parce que le français n’est pas totalement maîtrisé et que les systèmes éducatifs français et tchèque sont différents. »
Slavomír : « Quand on arrive ici la première année, au début de la seconde, c’est un peu un défi, parce que le français n’est pas totalement maîtrisé et que les systèmes éducatifs français et tchèque sont différents. On apprend des nouvelles méthodes de travail, des choses qu’on n’a jamais fait avant comme les dissertations ou les commentaires de texte. C’est ce qui est très compliqué au début mais c’est une question d’habitude. »
« Je suis en passe d’être naturalisé français. La France m’a apporté beaucoup de choses et je trouve que la personne que je suis maintenant est aussi le résultat de cette expérience française ; je vais le concrétiser en obtenant la nationalité. »
« C’est une valeur ajoutée pour le lycée Carnot d’avoir ces élèves tchèques ici. »
La professeur d’anglais, Madame Garnier, s’est même mis à apprendre le tchèque : « Dobry den ! C’est une valeur ajoutée pour le lycée Carnot d’avoir ces élèves tchèques ici. En plus comme ils sont à l’internat, ils ne peuvent pas sécher les cours ! »
Le spectacle monté cette année par les dix-huit élèves tchèques du lycée Carnot était composé d’une pièce écrite et jouée par eux en français, avec plusieurs pauses musicales pendant lesquelles ils entonnaient quelques tubes de la variété de leur pays natal.
L’ambassadeur tchèque en France, Petr Drulák, avait lui aussi fait le déplacement depuis Paris pour l’occasion :
« Le lycée Carnot est un lieu très important pour nous parce qu’il symbolise l’amitié franco-tchèque et c’en est une incarnation assez concrète, fondée seulement deux ans après la fin de la Grande guerre, deux ans après la création de la Tchécoslovaquie. »On va donc fêter le centenaire de cette section tchèque l’année prochaine – l’ambassade prévoit-elle quelque chose de spécial pour cet anniversaire ?
« Oui, évidemment, nous avons d’ailleurs déjà commencé à réfléchir cette semaine à ce que nous allons organiser. L’ambassade sera impliquée, nous allons réfléchir à des idées de colloques, d’événements culturels, avec une visite de haut niveau depuis Prague aussi. »
La région de Bourgogne a cessé il y a quelques années de participer au financement de la section tchèque de Dijon. Où en est-on aujourd’hui ?
« Il y a toujours un soutien décisif français, avec aussi une participation tchèque, donc c’est aujourd’hui un cofinancement, avec plusieurs institutions impliquées dont l’institut français et l’ambassade de France à Prague, le département et le ministère tchèque de l’Education. »
Ce mode de financement est-il menacé à l’heure actuelle ?
« On a aujourd'hui dépassé le stade durant lequel nous avons pu avoir certaines craintes. Je pense que le financement est stabilisé pour les prochaines années. »