En Centrafrique, l’action concrète d’une ONG tchèque
Depuis quelques années, SIRIRI, une ONG tchèque, mène différentes actions en République centrafricaine, un des dix pays les plus pauvres au monde. Ce travail, dans les secteurs notamment de la santé et de l’éducation avec un projet très innovateur, est possible entre autres grâce à père Aurelio Gazzero, un carme missionnaire qui œuvre en Centrafrique depuis une vingtaine d'années. En visite à Prague, le père Aurelio nous a rendu visite dans nos studios, où il a répondu aux questions de Radio Prague :
« En fait, une réunion destinée à la société civile et aux ONG nationales et internationales s’est tenue avant la conférence. Nous avons donc écouté le programme que le gouvernement centrafricain a mis sur pied pour y apporter la contribution de la société civile et des ONG. L’objectif est d’aider l’Etat à s’impliquer davantage, mais aussi d’appeler la communauté internationale à répondre sérieusement aux besoins, et ce, au-delà de l’argent, à travers tous les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour que la Centrafrique puisse se relever. »
Quel est l’objet de votre visite à Prague, qui n’est pas la première ?
« D’abord Prague est une ville magnifique, et quand je suis en Europe, j’y viens volontiers. Mais surtout nous avons une communauté de Carmes dans la rue Karmelitská (là où se trouve également la statuette de l’Enfant Jésus de Prague, ndlr) et il y a le travail que nous menons ensemble avec SIRIRI depuis déjà dix ans. »
Vous avez accompagné SIRIRI, dont les premières initiatives en faveur de la Centrafrique remontent à 2006, durant ces dix ans. Différents projets ont été mis en place depuis. Quel regard portez-vous donc sur l’évolution de SIRIRI ?
« Nous sommes très contents de collaborer. Nous nous efforçons de définir ensemble les besoins pour pouvoir solliciter de l’aide. Au départ, il s’agissait d’interventions ponctuelles, alors que nous nous dirigeons désormais vers un engagement beaucoup plus fort, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé. »
« SIRIRI a conçu en République tchèque un syllabaire en sango »
Quels sont les principaux projets en cours ?
« Il y en a deux. Le premier dans le domaine de la santé : depuis trois ans, nous aidons les femmes à accoucher dans un environnement protégé, c’est-à-dire dans un hôpital avec des visites prénatales et l’accouchement qui est pris en charge par SIRIRI. Nous fournissons aussi un appui aux malades du sida, aux handicapés et aux malnutris. L’autre grand projet s’appelle ‘L’école en jouant’. C’est un projet que nous avons créé ensemble avec Jan Korda (directeur de l’école ‘intelligente’ à Prague, garant professionnel du projet et auteur du ‘Manuel des cinq principes pédagogiques’ destiné aux enseignants centrafricains, ndlr) et d’autres amis qui travaillent dans le monde de la pédagogie, et dont l’objectif est de répondre au défi de l’éducation en Centrafrique. Nous sommes en présence de classes avec des effectifs de 120 à 160 élèves. Le niveau y est très faible aussi parce que l’enseignement est conduit en majorité en français et pas dans la langue nationale ou encore parce qu’il consiste à faire apprendre par cœur plutôt que d’expliquer et d’aider les enfants à réfléchir. »C’est là que SIRIRI intervient avec une idée originale, pour ne pas dire révolutionnaire : permettre un enseignement durant la première année d’école en sango, qui est la langue véhiculaire en Centrafrique, à travers un syllabaire…
« Oui, un syllabaire qui a été conçu et imprimé en République tchèque. Nous avons d’abord mené un projet pilote durant la première année dans une école de trois classes. Puis nous avons formé 130 enseignants durant la deuxième année, ce qui fait que la méthode est désormais utilisée dans plusieurs dizaines d’écoles. »Et voyez-vous des progrès tant chez les élèves que chez les enseignants ?
« Je vais vous raconter une anecdote pour illustrer la situation : un jour, un parent est venu me voir pour me dire qu’il avait voulu retirer son enfant de l’école au début de l’année parce que le fait qu’il n’y ait que le sango ne lui plaisait pas. Et à la fin de l’année, il en était très heureux parce que son enfant travaillait beaucoup mieux et était bin plus éveillé que ses frères et sœurs qui avaient suivi l’école avec l’ancienne méthode. Et même l’inspecteur, quand il est sorti de sa visite officielle, est ressorti en affirmant qu’il pensait être dans une classe de niveau cinquième, alors qu’il était dans une classe de première… »
Est-ce là un projet qui est appelé à se développer dans le reste du pays, puisque vous opérez dans une région éloignée de Bangui la capitale ?
« Effectivement, nous nous trouvons à Bozoum, une ville qui se situe à 400 kilomètres au nord de Bangui. C’est à six heures de voiture, c’est donc encore raisonnable et ce projet a vocation à grandir. Nous avons commencé très discrètement dans une seule école, parce que nous redoutions les réactions non seulement des parents, mais aussi du ministère. Par contre, une fois que nous avons eu la confirmation que les choses se passaient bien, nous en avons parlé au ministère, où ils sont très contents de pouvoir appuyer cette initiative. Désormais, ils sont même impatients de voir comment cette expérience pourrait être élargie. »Derrière cette volonté des autorités, y-a-t-il des moyens financiers derrière, ou alors est-ce là que le bât blesse ?
« Justement, il faudrait là un appui important. Nous avons déjà eu un appui de la part de la ville de Plzeň et de l’ambassade de France pour cette première étape de formation des enseignants. Celle-ci a été menée par dix volontaires tchèques en septembre dernier. Quelque 130 enseignants ont ainsi été formés, cela c’est très bien passé. Maintenant, il faudrait évoluer. Nous sommes à la fin de la deuxième année de ce projet qui commence à s’étendre à d’autres écoles. Nous cherchons à l’élargir à d’autres pays. »
« Nous espérons que la coopération française pourra continuer à appuyer nos projets »
Comment pourrait-on expliquer en quelques mots cette histoire entre la République tchèque, la Centrafrique et l’Italie, votre pays d’origine ? C’est un cercle qui permet aujourd’hui cette coopération en Centrafrique…
« Les choses sont assez simples. Je suis Carme italien. Ici, en République tchèque, nous avons une communauté à Prague et à Slaný. Nous avons toujours travaillé ensemble, y compris avec les fondateurs de l’ONG SIRIRI. Au fil des années, l’ONG s’est agrandie et nous continuons à collaborer. »
Ce qui est aussi intéressant, c’est que l’actuel ambassadeur de France en République tchèque, M. Charles Malinas, arrive en provenance de Bangui, où il a occupé les mêmes fonctions durant quelques années. Vous le connaissez personnellement. On suppose donc que vous l’avez rencontré lors de ce passage à Prague.« Nous nous sommes effectivement rencontrés mardi soir, nous avons dîné ensemble, en compagne d’autres amis qui travaillent en Centrafrique ou en faveur du pays. Il est très intéressé par la promotion des projets de SIRIRI, surtout par le projet éducatif en Centrafrique. Nous avons eu un dialogue très intéressant. »
Concrètement, quelle pourrait être la suite ?
« Nous espérons que l’ambassade de France et la coopération française pourront continuer à appuyer financièrement ces projets, pour qu’ils ne se limitent pas uniquement à Bozoum, mais pour qu’il soit possible de les élargir à Bangui et à d’autres zones du pays. »
« Je suis optimiste de nature, mais… »
La situation est très compliquée partout en Centrafrique. Son évolution pourrait-elle remettre en cause ces projets ? Vous êtes missionnaire, votre cœur ne vous dictera donc pas autre chose, vous resterez sur place à moins que la situation ne devienne vraiment invivable. Mais pour les ONG qui envoient des bénévoles sans lesquels leur action ne serait pas possible, qu’en est-il ?
« Depuis la visite du pape en 2015, les choses ont un peu changé. Mais quand même, les trois quarts du pays sont dans les mains de la Seleka. De plus en plus de zones retournent sur le domaine de la Seleka, même non loin de Bozoum. Ce qui fait défaut, c’est l’engagement des Nations Unies. Il existe une force de 12 000 personnes, mais celle-ci est peu efficace et opérationnelle. Il y a un réel manque de volonté à s’engager, pour que la situation se calme sérieusement. Les ONG essaient de travailler, certaines sont plus exposées, d’autres ont plus de craintes, du fait qu’elles ont du personnel étranger sur place… Nous, en tant qu’Eglise, nous sommes là surtout quand il y a des problèmes. Nous restons sur place. »Etes-vous plutôt optimiste ? Il le faut, certes mais il faut aussi être réaliste…
« En général, je reste optimiste. Ce qui me fait un peu peur, c’est le fait que tout ce qui s’est passé dans le pays ces dernières années n’ait pas encore fait l’objet d’une leçon apprise. Cette expérience devrait faire bouger les choses, surtout au niveau du gouvernement, mais ce n’est pas le cas. En revanche, parmi la population, nous voyons beaucoup de réactions positives. Les actes de l’archevêque de Bangui, devenu cardinal, représentent un élan de reconnaissance et de responsabilité pour les gens comme pour l’Eglise. Cela nous encourage à continuer. »
Dans quelle mesure cette présence de l’Eglise est-elle essentielle ? Celle-ci étant une autorité respectée en Afrique, on se dit parfois que si elle était encore plus présente, il y aurait peut-être moins de conflits.« Presque toutes les paroisses se sont ouvertes aux musulmans et aux chrétiens qui se fuyaient les uns les autres. C’est un milieu où les gens peuvent se confronter, une plate-forme où les chrétiens et les musulmans travaillent ensemble pour la paix. Beaucoup de travail a été fait, mais beaucoup de travail reste encore à faire. Dans les moments difficiles, l’Eglise a acquis une autorité morale, très importante et qu’il faut mettre au service des gens. »