Découverte d’images d’archives inédites du plus célèbre procès stalinien en Tchécoslovaquie
C’est une découverte comme il ne s’en produit sans doute jamais, ou alors une seule fois, dans la vie d’un historien. A la mi-mars, vingt caisses remplies de films audio et vidéo retraçant les huit jours du procès Slánský ont été retrouvées, par hasard, dans un entrepôt situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Prague. Cette trouvaille inattendue et inespérée devrait, à terme, permettre aux historiens de changer la perception de l’événement et de comprendre davantage les enjeux et l’atmosphère du plus célèbre des procès truqués, organisés par le régime communiste tchécoslovaque contre ses propres membres.
Quatorze caisses en fer et six caisses en bois couvertes de poussière, laissées là, à l’abandon, dans l’entrepôt d’une entreprise ayant fait faillite. Lorsque les employés d’une société chargée de sa liquidation judiciaire découvrent ces caisses, remplies de films et de documents, ils ne se rendent pas immédiatement compte de l’importance de leur contenu, comme le décrit l’une des administratrices, Barbora Novotná Opltová :
« Je ne soupçonnais rien du tout. J’ai juste rapidement aperçu une des étiquettes sur ces boîtes en métal contenant des films. Mais au premier abord, cela ne m’évoquait rien du tout. Ce n’est qu’après, en lisant en détail ce qui était marqué… Avec mon collègue, nous nous sommes regardés pendant un quart d’heure. Nous avons ouvert d’autres caisses encore, et nous avons commencé à avoir froid dans le dos. »
Se rendant compte qu’ils se trouvent devant des films et des images historiques inédites, ils finissent par faire venir sur place, par un jeu de contacts, l’historien Petr Blažek, qui travaille à l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires et Martin Vadas, un documentariste tchèque qui a, entre autres, réalisé une série sur le procès de Milada Horáková, seule femme condamnée par le régime communiste dans un autre procès retentissant. Très vite les deux hommes réalisent qu’ils sont devant une mine d’or, comme s’en souvient Martin Vadas :« Nous étions très impatients de voir ce nous allions découvrir. Et nous sommes restés sous le choc en voyant qu’il y avait autant de matériel et surtout qu’il s’agissait là a priori du procès complet, même s’il est possible qu’une grande partie soit abîmée. »
Dans ces caisses, des négatifs de films audio et vidéo, des copies de ceux-ci, des copies combinées image et son, des bandes magnétiques ainsi que des photos de documents d’archives provenant du Comité central du Parti communiste tchécoslovaque. Tout ce matériel retraçant jour après jour l’ensemble du procès de Rudolf Slánský.
Né en 1901, Rudolf Slánský était un des hommes forts du nouveau régime communiste en place en Tchécoslovaquie à partir de février 1948. Devenu secrétaire général du Parti, et donc numéro deux du pouvoir derrière le président Klement Gottwald, il était aussi l’artisan intraitable de la terrible répression lancée contre les « petit-bourgeois » et les « suppôts de l’Occident » pour affermir la prise de pouvoir du parti.D’abord dirigée contre les non-communistes, cette terreur va ensuite décimer les rangs du Parti communiste lui-même, la « révolution finissant par manger ses propres enfants », comme le notait dans ses mémoires le professeur Václav Černý.
A la fin de l’année 1952, c’est Slánský lui-même qui se retrouve sur le banc des accusés, aux côtés de treize autres personnes. La plupart ont d’ailleurs en commun, comme Slánský d’ailleurs, d’être d’origine juive, nous rappelant qu’une des caractéristiques notables de ces procès staliniens était leur tonalité antisémite. Ces procès sont tous mis en scène.
Pendant leurs interrogatoires, les accusés sont torturés et forcés d’apprendre par cœur le scénario de leur procès. Slánský et ses coaccusés finissent par s’accuser publiquement de conspiration avec les puissances occidentales pour renverser le socialisme, de dérive petite-bourgeoise et de sionisme. Rudolf Slánský est condamné à mort et pendu le 3 décembre 1952.
Jusqu’à aujourd’hui, seules quelques minutes du procès Slánský étaient connues, comme le rappelle Martin Vadas :
« Ce sont des séquences maintes fois diffusées qui ont été montrées pour la première fois au cinéma en 1968, époque à laquelle on a commencé à discuter des procès. Mais la masse de films qui vient d’être retrouvée, c’est une première et espérons que cela va pouvoir être exploité malgré les informations selon lesquelles des parties sont endommagées ou moisies. Néanmoins, rappelons que comme s’y trouvent les négatifs originaux, les copies et les copies combinées, cela signifie que nous sommes en possession de la même chose trois fois. Le négatif original est le plus précieux, mais s’il y manque quelque chose, on peut espérer pouvoir le remplacer par une des deux autres versions copiées. »Une bonne nouvelle toutefois, en ce qui concerne les bandes-son magnétiques : les Archives nationales du film, désormais en charge de tout ce matériel audio et vidéo, ont transmis une dizaine de ces bandes à la Radio tchèque, chargée d’en établir l’état. D’après Miloslav Turek, des archives de la radio, elles sont en parfait état :
« Je ne m’attendais pas du tout à quelque chose comme cela. C’est un enregistrement absolument parfait. Si quelqu’un m’avait dit que ça avait été enregistré hier, je l’aurais cru sans problème. »
Sur l’ensemble des 177 bandes-son magnétiques, destinées à être numérisées, se trouve l’enregistrement de plus de 60 heures, faisant naître un espoir désormais plus que concret de reconstituer l’ensemble du procès dans sa version audio.
Mais ce qui suscite sans doute encore davantage d’espérances, ce sont évidemment les séquences vidéo, pour ce qu’elles pourront nous dire de nouveau sur ce procès sans équivalent, comme l’explique l’historien Petr Blažek :« Il ne s’agit pas d’apprendre qui se trouvait sur place, qui étaient les accusés, le procureur, les avocats. Mais il s’agit surtout de l’atmosphère ! Nous allons avoir des séquences visuelles exceptionnelles parce que totalement authentiques. Cela veut dire que le public pourra regarder et d’une certaine manière participer au procès. On pourra voir les détails sur les visages, les réactions, les gestes. On pourra voir qui d’autre était assis, déterminer qui étaient ces personnes, quelle tête faisaient les spectateurs présents, les avocats, etc. Je pense que cela peut devenir un film clé pour savoir comment ces procès se déroulaient concrètement, pour en ressentir l’atmosphère. C’est donc une découverte tout à fait exceptionnelle. »
Désormais, la balle est dans le camp des restaurateurs des Archives nationales du film qui vont devoir déterminer l’état général des séquences et éventuellement procéder à des réparations.
De nombreuses questions restent également en suspens, comme le rappelle Petr Blažek. Notamment celle de savoir comment ces caisses ont pu se retrouver dans cet entrepôt, qui les y a déposées après la révolution de velours et qui était au courant ? D’après lui, il est primordial de savoir dans quelle mesure le Parti communiste de l’époque était au courant et si la direction de l’actuel Parti communiste de Bohême-Moravie en était consciente.Le passé finissant toujours par rattraper le présent, cette découverte arrive à point nommé alors que la formation d’un gouvernement minoritaire avec le soutien des communistes est aujourd’hui toujours d’actualité. Si cette éventualité venait à se réaliser, il s’agirait d’une première depuis la révolution de velours en 1989.