La sensation Ester Ledecká
Ce week-end aura été ponctué de victoires tchèques aux Jeux olympiques de Pyeongchang entre le hockey sur glace qui a vu les victoires successives, samedi puis dimanche, de la République tchèque contre le Canada (3-2), puis contre la Suisse (4-1), amenant les Tchèques en quarts de finale. Il y aussi eu le bronze remporté par Karolína Erbanová au 500 mètres dame de patinage de vitesse. Mais l’événement qui restera gravé dans toutes les mémoires, c’est la sensation Ester Ledecká, la snowboardeuse qui, à la surprise de tous – et d’elle-même en premier – a magistralement enlevé l’or en ski, dans le Super-G. Portrait de la « reine des neiges » tchèque et retour sur cette victoire époustouflante.
Mise sur des skis à 2 ans, sur une planche de snowboard à 5 ans, elle se souvient bien des tentatives répétées – infructueuses heureusement, est-on désormais tenté de dire –de lui faire choisir une des deux disciplines, comme elle le confiait à l’automne dernier au New York Times qui avait déjà flairé la sportive à suivre : « Depuis le début, les gens m’ont dit : ‘Tu ne peux pas faire les deux ; tu dois te spécialiser, sinon tu n’atteindras jamais le plus haut niveau. Depuis que j’ai 14 ans, j’ai des discussions avec mes entraîneurs qui me disent ‘Tu dois faire un choix et bla bla bla’. Je leur réponds : ‘Non, je veux faire les deux, et si ça vous gêne que je fasse les deux, alors je dois trouver un autre entraîneur, parce que c’est comme ça que je le veux.’ »
Et son entraîneur actuel, l’Américain Justin Reiter, ancien snowboardeur qui a participé aux JO de 2014, de renchérir : « Si elle jouait au golf et au tennis au niveau auquel elle pratique le ski et le snowboard, elle serait une personnalité aux Etats-Unis et dans l’émission SportsCenter tous les soirs. Je pense qu’elle est l’une des plus grandes athlètes vivantes. »
Et force est de constater aujourd’hui que sa persévérance et son opiniâtreté, couplées au talent, auront payé. Jusqu’à présent la Pragoise de naissance pouvait se targuer d’un beau palmarès au compteur, à 22 ans à peine puisqu’elle est déjà double championne du monde de snowboard. A l’aune de la victoire de samedi, ce n’est pas lui faire trop d’honneur que de rappeler qu’Ester Ledecká cumule les performances : déjà en lice sur le slalom géant jeudi (29e), elle est la seule à être inscrite aux JO en ski alpin et en snowboard, sur le slalom parallèle dont l’épreuve se déroulera ce jeudi, une première historique. Son meilleur résultat en Coupe du monde de ski alpin était jusqu’à présent une septième place en descente, alors qu’elle n’a commencé dans le circuit de la discipline qu’en 2015.Samedi, en tout cas, elle a donné la mesure du chemin parcouru : alors que tous attendaient le moment de sacrer à nouveau l’Autrichienne Anna Veith, médaille d’or du Super-G à Sotchi il y a quatre ans, Ester Ledecká a bouleversé la donne pour un petit centième de seconde de différence (soit l’équivalent de 25 cm sur un parcours de 2010 mètres).
Après sa descente mémorable, elle est restée bouche-bée devant le tableau d’affichage, croyant, comme elle le confiera plus tard à la presse, à une erreur de chronométrage. C’était sans compter l’enthousiasme suscité dans les tribunes par cette victoire inattendue, Ester Ledecká offrant au public olympique une de ces belles histoires comme le sport les affectionne tant, alors que l’époque voit s’amenuiser le nombre de records, les sportifs de toutes disciplines étant en général parvenus aux limites des possibilités humaines.Jusqu’à présent, et en dépit de son double titre de championne du monde de snowboard, Ester Ledecká n’était pas la seule célébrité de sa famille : son grand-père maternel, Jan Klapáč, est une ancienne star de hockey sur glace, médaillé olympique en 1964 et 1968 et membre de l’équipe tchécoslovaque qui a battu l’Union soviétique au championnat du monde de 1969, victoire historique survenue moins d’un an après le début de l’occupation soviétique du pays et qui mena à de nombreuses manifestations violemment réprimées.
Autre nom connu dans le pays, celui de son père, Janek Ledecký, une star de la pop tchèque qui a composé quelques comédies musicales à succès par le passé, dont une version de Hamlet, qui, à l’époque, a franchi les frontières pour atteindre notamment… la Corée du Sud, actuel hôte des Jeux olympiques d’hiver !Mais après sa performance de samedi, et la perspective prometteuse du slalom parallèle, jeudi, Ester Ledecká, favorite pour ce dernier, pourrait bien s’inscrire définitivement dans l’histoire des Jeux olympiques. Sinon cette bosseuse acharnée, passionnée de vitesse, on l’aura compris, se trouve être aussi amatrice de planche à voile. De là à l’imaginer capable de mettre sa polyvalence au service d’une nouvelle discipline olympique, mais sous le soleil cette fois, il n’y a qu’un pas, désormais pas si difficile à franchir !