Dame Morana
Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague ! Bon, d’accord, le temps, gris et pluvieux, ne serait-ce que dans le ciel de Bohême et Moravie, n’a pas été celui que beaucoup espéraient. N’empêche, la semaine qui s’écoule aura été marquée par le retour du printemps – jaro. Un moment de l’année attendu traditionnellement avec impatience, car il marque à la fois la fin d’un long hiver et le retour des beaux jours - un retour à la vie en quelque sorte. C’est donc à cette symbolique du printemps dans les Pays tchèques, et plus particulièrement à un rite ancestral, que nous allons nous intéresser dans cette nouvelle rubrique…
Morena est une déesse que les Slaves occidentaux, et pas seulement les Tchèques donc, honorent depuis très longtemps déjà. Nous sommes là en présence d’une tradition séculaire qui remonte à l’ère préchrétienne dans la région et qui, aujourd’hui encore, fait l’objet d’un rite païen, essentiellement dans les écoles en campagne. Pour saluer la fin de l’hiver, que les Tchèques désignent comme « loučení se zimou » - « les adieux à l’hiver », et l’arrivée du printemps – « vítání jara », on brûle donc Morena, une manière de faire fuir, de chasser la mort. Ce rite, désigné sous le nom de « vynášení smrti », consiste d’abord, à l’aide de paille et de tissu, à donner forme et donc vie à une figure de femme qui n’est personne d’autre, bien entendu, que Morena, aussi appelée Smrtka, personnage qui personnifie la mort – smrt. Placée ensuite sur une perche en bois ou tout simplement prise dans les mains, cette Morena de paille est alors portée hors du village avant, toujours accompagnée par les chants de la procession, d’être jetée à l’eau, le plus souvent dans une rivière, un ruisseau ou un fossé, de façon à ce que le courant l’éloigne du village le temps du printemps et de l’été, et jusqu’au retour de l’hiver. Elle peut aussi parfois être jetée du haut d’une falaise ou enterrer, mais peu importe finalement, l’essentiel étant de la voir disparaître…
Ce nom de Morena, et nous en arrivons là au point qui nous intéresse plus particulièrement, provient du mot slave « mořit - umořit », qui signifie « faire mourir, faire périr ». C’est aussi la base du verbe « zemřít » - « mourir, disparaître ». Ainsi donc, sans remonter à une origine latine comme en français, l’étymologie de Morena nous renvoie néanmoins bien à la mort – smrt.
Mais cette représentation de la mort nous amène aussi à la vie, ou plus précisément à la renaissance, au retour à la vie en cette période de Carême, temps de préparation à la commémoration de la Passion et de la Résurrection du Christ, à la fête de Pâques qui marque le début du printemps – jaro. Malgré son origine païenne, c’est donc de tout cela à la fois qu’il en va dans le rite de Morena… Célébrer en quelque sorte, à travers la fin de l’hiver, la mort de la mort, et, à travers l’arrivée du printemps, le retour de la vie.
C’est avec ce printemps dont nos ancêtres, proches et à l'écoute de la nature, ont longtemps considéré le retour comme le véritable début de l'année que se referme ce Tchèque du bout de la langue. Morena partie, ne nous reste plus qu’à vous souhaiter de vous porter le mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši!, salut et à bientôt - zatím ahoj !