Des « armoires publiques » pour sauver des vies
Lorsque le mercure du thermomètre chute en dessous de zéro, rien de tel qu’un gros pull, un manteau et des gants pour se réchauffer. Mais, parfois, les moyens manquent. L’association Architectes sans frontières (Architekti bez hranic) a voulu remédier à cela en lançant les « Armoires publiques » (Veřejné skříně), une initiative dont l’objectif est d’aider les plus démunis lorsqu’il fait froid. Qui le veut peut alors déposer habits ou couvertures dans des armoires installées à différents endroits de la capitale, et qui pourront par la suite être récupérés sur place par toute personne en ayant besoin. A travers cette initiative solidaire, l’association entend non seulement alerter du problème du gaspillage textile, mais aussi montrer que le recyclage des vêtements peu permettre de sauver des vies. Radio Prague a rencontré Vojtěch Sygmund, un des fondateurs d’Architectes sans frontières, au Café Na půl cesty (Café A mi-chemin), dans le quartier pragois de Pankrác. Car c’est aussi là que se trouve une de ces armoires publiques.
« Armoires publiques », un élan de solidarité
« Ce n’est pas là une idée originale. Nous nous sommes inspirés à l’étranger. Nous avons vu sur internet que des gens faisaient cela en Iran, et j’ai également vu quelques exemples du même genre en France. Ce n’était pas vraiment des armoires publiques, mais des lieux où les gens pouvaient amener des choses dont ils n’avaient plus besoin et que d’autres pouvaient récupérer. Nous avons trouvé que c’était une bonne idée, et l’on a juste appliquée à la République tchèque. »Comment cela fonctionne concrètement et à qui cette initiative est-elle destinée en premier lieu ?
« Le principe est tout simple : au lieu de jeter vos vêtements, vous pouvez les amener et les personnes qui en ont besoin les récupèrent. Ce n’est pas du tout limité aux sans-abris ou à des personnes pauvres. Tout le monde peut se servir. La seule chose importante, c’est que chaque armoire ait une personne qui s’en occupe et qui la nettoie de temps en temps. Car si c’est bien rangé, c’est mieux toléré. »
Quand cette initiative a-t-elle vu le jour en République tchèque ?
« Cela fait maintenant plus d’un an que nous avons créé la première « armoire publique ». A l’époque, nous l’avions dessinée uniquement sur un mur graffiti en y ajoutant des portemanteaux. Puis la deuxième armoire, c’est lorsque nous avons été invités à participer à une exposition de mode qui présentait des vêtements créés à partir d’objets recyclés. Notre armoire était donc un objet comme un autre. Mais par la suite, cela nous a fait un peu de publicité et nous avons finalement installé l’armoire dans la rue, et cela a marqué le point de départ. »Qui se cache derrière cet élan de solidarité ? Qui sont les Architectes sans frontières ?
« Tout d’abord, je ne crois pas que nous soyons les seuls à mettre en place ces « armoires publiques ». Cela avait déjà inspiré des gens par le passé. A Prague, nous avons créé quatre armoires. En fait, ce projet d’Architectes sans frontières fait partie de plusieurs autres projets que nous sommes en train de réaliser. Nous voulons contribuer au lancement des projets destinés aux personnes défavorisées, dans des lieux défavorisés. Les Architectes sans frontières sont bien connus en France. C’est un réseau international qui relie toutes les initiatives d’architectes humanitaires, ainsi que des projets sociaux. Et nous sommes ouverts. Nous voulons motiver d’autres gens à nous rejoindre. Nous espérons donc nous agrandir. »
Combattre le gaspillage vestimentaire et alimentaire
L’organisation réunit-elle uniquement des architectes ?
« Non pas du tout, nous sommes justement ouverts à d’autres personnes aussi. Il y a des designers..Récemment, nous sommes entrés en contact avec un collègue très sympathique qui a lancé l’initiative des « réfrigérateurs publics », mais lui n’est pas architecte. »Les « réfrigérateurs publics se sont donc ajoutés aux « armoires publiques » ?
« Oui c’est ça, mais lui n’est pas tout seul non plus. Ce sont deux initiatives qui se rejoignent, qui coopèrent et qui essaient de contacter les municipalités pour pouvoir installer des armoires et des réfrigérateurs publics à différents endroits. »
Justement, aviez-vous besoin d’une autorisation particulière, par exemple des municipalités des arrondissements de Prague pour installer ces armoires dans la rue ? Avez-vous été confrontés à des refus de la part de certains quartiers ou, au contraire, avez-vous été accueillis avec enthousiasme ?
« Il y a plusieurs types d’installations d’ « armoires publiques ». Par exemple, ici, nous nous trouvons dans un café communautaire, qui a accepté de garder l’armoire dehors. Et elle fait désormais partie de ce café. Nous sommes donc vraiment contents de pouvoir collaborer avec eux. Dans d’autres cas, cela n’était pas tout à fait autorisé, mais les municipalités les ont tolérées. Comme par exemple dans le sud de Prague dans le quartier de Modřany. Cela fait maintenant un an qu’une armoire y a été installée. Je pense que le plus important est de s’en occuper. De cette façon, la société va davantage les tolérer. Nous essaiyons également de trouver des endroits où cela sera officiellement autorisé, mais ce n’est pas toujours facile. Ce que je peux dire aussi, c’est que ces armoires sont installées dans une ambiance street-art. Tout le monde ne va pas y trouver des habits à son goût. Mais nous voulons surtout montrer le problème du gaspillage vestimentaire. Nous voulons montrer qu’il existe des problèmes sociaux et que certaines personnes n’ont pas les moyens de s’acheter des vêtements. »
« Architectes sans frontières », un collectif qui encourage la réappropriation de l’espace public
Aujourd’hui, où trouve-ton ces armoires publiques à Prague ?
« Nous avons initié l’installation de quatre « armoires publiques ». La première est donc à Modřany. La deuxième a été installée ici au Café Na půl cesty - le Café A mi-chemin. La troisième a été créée devant le centre social autonome Klinika, tandis que la quatrième est également située dans une rue du quartier de Žižkov. Mais, depuis le début, nous nous efforçons d’inspirer d’autres gens. Nous pratiquons des sortes de consultations pour faire partager notre expérience. Je ne sais pas si cela a marché et si nous avons vraiment inspiré quelqu’un, mais d’autres armoires, dont nous n’avons pas la gestion, ont récemment vu le jour. C’est d’ailleurs exactement ce que nous voulions dès le début. Nous ne pouvons pas nous occuper de toutes les « armoires publiques » en Tchéquie, nous n’en avons pas les capacités. Nous voulons plutôt inspirer les gens à le faire. »Comme cela a d’ailleurs été le cas dans le quartier de Dejvice, où une armoire a été installée…
« Je ne suis pas en contact avec ces personnes, donc je ne peux pas dire si c’est nous qui les avons inspirées. Mais c’est le même principe et nous ne gardons pas notre « know-how », notre savoir-faire, pour nous. Au contraire, nous voulons partager et inspirer les gens. Je pense que c’est la dure période de l’hiver qui a inspiré les gens. Cela peut être vraiment difficile pour certaines personnes de survivre dehors quand il fait -15 °C ou -20 °C. Nous avons tous dans nos armoires des vêtements que nous n’utilisons pas. Alors, par ce geste, cela peut sauver la santé, cela peut sauver la vie de personnes, et je pense que c’est très important. »
Le collectif Architectes sans frontières, qui bénéficie désormais d’un grand soutien de la part de particuliers, continue de tisser d’importants réseaux sociaux tant au niveau local, par le biais d’autres associations comme Naděje et de ses travailleurs sociaux, qu’au niveau international avec des collègues étrangers d’autres associations d’Architectes sans frontières.
Si les projets d’Architectes sans frontières, qui se sont formés il y a seulement deux ans de cela, sont variés, ils se donnent pour objectif principal d’aider la société en améliorant l’espace public et en apportant leur soutien aux plus défavorisés.L’association veut poursuivre dans une logique de réappropriation de l’espace public : elle a l’intention de transformer prochainement un passage souterrain de mauvaise réputation, situé dans le quartier de Holešovice, en galerie, ou encore d’installer des douches publiques dans la capitale. Et comme nous l’a révélé Vojtěch Sygmund, après Prague, c’est probablement la ville de Brno qui accueillera bientôt la prochaine « armoire publique ».