Sur les pas de Josef Koudelka en Terre sainte
« Koudelka photographiant la Terre sainte » est à la fois le titre et la réalité documentée par un jeune photographe israélien, Gilad Baram, une réalité dont il a tiré un film présenté à Prague dans le cadre de One World, le festival du film sur les droits de l’Homme. Ce travail de Gilad Baram avait déjà été remarqué lors du festival du film documentaire de Jihlava en octobre dernier.
« Je ne pense pas que cela aurait pu se faire si cela avait été un réalisateur lambda voulant faire un film sur Josef Koudelka. Koudelka est un homme merveilleux, mais un homme dur. Je pense que quelque chose de son expérience sous le joug soviétique est resté en lui, une sorte de suspicion de base vis-à-vis des gens et de leurs intentions. Dans ce cas précis, nous avons créé une relation de confiance avec le temps. Deux éléments ont joué en ma faveur : il avait besoin de moi pour circuler, pour traduire… Il a dû se dire : je vais laisser ce gamin jouer. La deuxième chose, c’est qu’il m’a dit : ‘je vois bien ce que tu fais, et je veux être clair : tu peux faire ce que tu veux, mais tu ne peux rien montrer de cela à personne, pas même à tes amis de l’école’. Telles étaient ses conditions que j’ai dû respecter. »
Seulement, les choses ont évolué un peu différemment et, au fil du temps et des nombreuses visites de Josef Koudelka en Israël et Palestine, une véritable amitié se forge entre le jeune photographe et le vieux baroudeur solitaire qui acceptera finalement qu’un film soit monté à partir de ces rushes. A l’origine des multiples séjours de Josef Koudelka dans cette partie du monde, le projet d’un photographe français, Frédéric Brenner, qui souhaite faire venir un groupe de photographes connus dans la région pour un projet sur le long terme. On lui assigne un « assistant » en la personne du jeune étudiant Gilad Baram, déjà grand admirateur de l’œuvre du photographe tchèque. Comme le concède Gilad Baram, très vite, il se rend compte que Koudelka n’a nul besoin d’assistant, et c’est ainsi qu’il choisit de filmer son travail.Un travail très particulier puisque Koudelka documente le mur qui sépare Israël de la rive occidentale du Jourdain, où se trouve la Cisjordanie. Pour Gilad Baram, il ne fait aucun doute que c’est ce mur et ce qu’il charrie de représentations qui explique que Koudelka se soit finalement jeté à bras-le-corps dans ce projet, lui qui a vécu derrière le rideau de fer et l’a fui :
« C’est clairement pour cette raison qu’il a fait ce projet. Koudelka est un des rares photographes à pouvoir se permettre de dire non à de nombreux projets. C’est en grande partie dû à sa personnalité : c’est quelqu’un de très honnête avec lui-même. Quand Frédéric l’a contacté, il a d’abord refusé, expliquant qu’il ne voulait en aucun cas traiter du problème israélo-palestinien, déjà compliqué en soi. Frédéric l’a convaincu de venir au moins une fois et je pense que le déclic s’est fait quand il a vu le mur. C’était une manière de reconnecter avec lui-même, à une autre période de sa vie. Sa vie derrière le rideau de fer a formé en grande partie sa personnalité. Le fait qu’il soit photographe, c’est le résultat de sa curiosité à aller voir quelque chose qui lui était bloqué, interdit. C’est le résultat de sa vie en Tchécoslovaquie. »Comme on peut l’imaginer, ces divers séjours dans le contexte tendu du conflit israélo-palestinien s’avèrent passionnants mais aussi éprouvants, comme se souvient Gilad Baram :
« Cela a été extrêmement difficile émotionnellement. Pour lui et pour moi. Tandis que Josef Koudelka réalisait son projet et découvrait les lieux, moi, je faisais de même. De nombreux Israéliens n’ont jamais vu le mur. Si vous ne vivez pas à côté, vous n’en savez rien de plus que ce que vous voyez aux infos. Mais surtout, la plupart des Israéliens, surtout ma génération, n’a jamais vu ni été en Cisjordanie. Ce n’est pas comme en France ou ici. C’est vraiment au fond du jardin, pour ainsi dire. Depuis Jérusalem, il faut dix minutes de voiture pour être à Bethléem. Ce n’est pas la première fois que j’y suis allé car j’avais déjà participé à des manifestations près du mur, mais c’était clairement la première fois de manière aussi intensive. A chaque visite nous avons arpenté ce mur du nord au sud de sept heures du matin à huit heures du soir. »Le résultat des pérégrinations de Josef Koudelka et de Gilad Baram en Terre sainte, ce sont donc de nombreuses photographies du mur réalisées par le premier, intercalées dans le film du second où l’on suit Koudelka pas à pas. Et un documentaire très méditatif, souvent silencieux, ou en tout cas jamais dans l’excès de paroles, tout-à-fait à la mesure de ce qu’on peut imaginer de la personnalité de Josef Koudelka. C’est aussi et avant tout un film sur l’art de la photographie, et l’art de voir, ainsi que Gilad Baram dit lui-même l’avoir appris au cours de cette odyssée humaine et photographique.