Festival du film français : Xavier Beauvois et son film hommage au cinéma
« La Rançon de la gloire », c’est l’histoire inspirée d’un fait divers de deux types, interprétés par Roschdy Zem et Benoît Poelvoorde, qui déterrent le cercueil de Charlie Chaplin pour demander une rançon auprès de sa famille. Un film qui a été projeté dans le cadre de la 18e édition du Festival du film français, lequel s’achève ce dimanche en Tchéquie. Son réalisateur, Xavier Beauvois, qui a obtenu une large reconnaissance en 2010 pour son long-métrage Des hommes et des dieux, Grand prix au festival de Cannes, était pour l’occasion de passage dans la capitale tchèque. Il était là aussi sans doute un peu pour répondre aux questions de Radio Prague :
Il y avait un côté pèlerinage…
« Totalement ! J’avais l’impression d’être dans le cinéma. Et puis quand on filme sa petite fille ou que je deviens ami avec son fils… C’est bizarre, j’ai des textos où il y a écrit Chaplin. Plus ça va, plus on se rend compte que c’est une famille, ce sont vraiment des gens bien. Il y a une espèce de grande modestie et de gentillesse. Là je viens de tourner avec James Thierrée, le petit-fils de Charlie Chaplin, dans Chocolat (film de Roschdy Zem qui doit sortir sur les écrans français début février, ndlr). »Le duo d’acteurs qui tient le film est composé par Roschdy Zem, que vous connaissez bien, et Benoît Poelvoorde, que vous filmez pour la première fois. Comment avez-vous construit ce duo ?
« A la base dans l’histoire, c’était un Bulgare et un Polonais qui avaient piqué le cercueil de Chaplin. Très vite je me suis dit que ça n’avait aucun intérêt de faire un film sur ce fait divers. Ce n’était pas très passionnais mais qu’il s’agissait d’une occasion de faire un hommage au cinéma. Et j’avais très envie de tourner avec Roschdy Zem, qui est mon ami, mon frère de cinéma. J’avais Roschdy d’abord et pour trouver un couple il faut toujours commencer par en trouver un. Poelvoorde, c’est sûr que j’avais très envie de tourner avec lui. Roschdy Zem, c’est quand même le mec très calme, très zen, et Poelvoorde, c’est une pile électrique. Donc les deux vont très bien ensemble. Il y a un côté Laurel et Hardy, il fallait trouver deux choses antinomiques. On avait des loges doubles, des espèces de bus séparés en deux. Entre les prises, il y avait Poelvoorde qui dansait en écoutant de la musique pendant que l’autre faisait la sieste, qui essayait de faire la sieste. »
Ce titre « La Rançon de la gloire », il fait écho à l’histoire en elle-même mais aussi j’imagine au film « Les Feux de la rampe ». Y a-t-il un prix à payer à la « célébrité » ?
« Oui, forcément. Si moi, je me fais arrêter par les flics parce que j’ai une embrouille quelconque et que je me retrouve en garde-à-vue, c’est balancé à l’AFP et c’est publié dans la presse sur internet le lendemain. Et mes enfants voient ‘tiens, il est en garde-à-vue’. Alors que quelqu’un de normal va en garde-à-vue et ça s’arrête là. C’est un petit détail mais tout est comme cela. Il y a des avantages mais il y aussi des inconvénients. Une actrice ne peut pas aller chercher une baguette si elle n’est pas maquillée, pas coiffée. Je vois Poelvoorde, à Bruxelles, c’est la tour Eiffel. Quand on entre dans un endroit, les gens ne le reconnaissent pas forcément parce qu’ils sont en train de faire quelque chose mais il parle fort. Son niveau sonore est très élevé et tout le monde l’entend et alors là… Il y a des gens à qui on n’ose pas demander un autographe et avec lui les gens ne peuvent pas s’en empêcher parce que c’est une icône. Donc ça veut dire qui si on va dans un endroit avec Benoît, et bien on ne se parle pas, parce que lui ne refuse jamais une photo. Ça sert à rien de sortir parce qu’on ne parlera pas, on ne peut pas. C’est terrible. Même en voiture, tout le monde le klaxonne parce qu’il a une Porsche et on sait que c’est la voiture de Poelvoorde. »Il y a la dimension que Benoît Poelvoorde prend cinématographiquement en ce moment avec notamment ses rôles dramatiques. Il est à l’affiche de plusieurs films durant ce festival…
« Comme tous les grands comiques, ce sont des grands tragédiens évidemment. Il est très bipolaire, capable de rester enfermer dans sa cuisine une semaine à regarder l’horloge du four, en pleine déprime. Surtout, il est immensément cultivé. C’est quelqu’un qui a un goût exquis. Sa maison est l’une des plus belles que j’ai vues. Tout est absolument divin, les peintures, les lumières, les objets. Benoît, sa passion, c’est la littérature. Il lit au moins un livre par jour. Il a créé un festival de littérature à Namur. Il est très intelligent, et très triste. »Vous mettez cinq-six ans entre chacun de vos films. Vous en avez tourné six en 25 ans. Cela ne vous manque pas les plateaux de tournage ?
« C’est pour ça que je fais acteur de temps en temps. Mais je ne le fais pas exprès parce qu’il faut trouver le bon sujet. J’avoue que je dois être un peu paresseux aussi… »
Sur votre film La Rançon de la gloire, la longueur de certains plans a été remarquée…
« Oui, j’en ai pris plein la gueule… »
… les plans de travail, où on voit les deux acteurs qui déterrent le cercueil, qui le mettent dans la voiture et qui l’enterrent plus loin… Quelle était votre volonté en tournant ces plans ?« Hitchcock disait que quand on tue quelqu’un, c’est très compliqué et ça prend un temps fou. Je suis désolé, étrangler quelqu’un, ça prend un moment. Et le sujet, c’est quand même des mecs qui déterrent le cercueil de Chaplin, je ne vais pas faire une ellipse comme ça. C’est lourd, c’est long. Certains journalistes ont dit ‘c’est bien qu’il ait montré ça’ et d’autres ont dit ‘mais, c’est trop long !’. Et le distributeur m’a pourri la gueule. Il a dit : ‘j’ai tout compris’, il voulait remonter le film à sa façon. Ils n’ont pas le final cut en France. Alors qu’aux Etats-Unis, il y a un moment où le producteur te dit ‘hop, tu t’en vas, tu dégages’. En France, ce n’est pas encore le cas. Donc le mec m’a pourri dans ma sortie. Je n’ai pas obéi. En gros, cela s’appelle l’étagère. ‘Tu vois ton film, il va rester sur l’étagère’, donc très peu de publicité, très peu de copies. Et en plus, il sort le 7 janvier. Quand on pense aux Etats-Unis, il y a seulement un ou deux réalisateurs qui ont le final cul. Tous les autres… »
Vous pensez qu’en France, on se dirige vers un système similaire ?
« C’est ce que je viens d’expliquer. C’est l’étagère. Il y a un moment si tu n’obéis pas... On va résister. On va résister parce qu’on a inventé le cinéma et on est quand même des auteurs. »