Aide aux migrants en gare de Prague : « Des volontaires motivés par l’attitude négative des médias et politiciens tchèques »
Depuis environ un mois, des volontaires se relaient à la gare centrale de Prague pour venir en aide aux migrants qui sont passés par la République tchèque en espérant continuer leur route vers l’Ouest. Initié par la conseillère municipale de parti des Verts Monika Horaková, ce mouvement de solidarité regroupe plusieurs centaines de personnes désireuses d’apporter une aide concrète à des étrangers qui sortent de camps de rétention tchèques récemment critiqués par la médiatrice de la République pour leurs conditions. Parmi ces volontaires, Kateřina Dvořáková, qui enseigne le français à l’université d’économie :
Où sommes-nous ici ?
« Nous sommes dans un bureau du bâtiment de la gare centrale, qui a été mis à notre disposition la semaine dernière par la direction de la gare centrale. Il y a de l’électricité, des étagères et des bureaux. Surtout on peut y déposer les affaires et les grands sacs qu’on devait avant trimballer et surveiller dans la gare, donc aujourd’hui ça nous aide pas mal. On vient ici chercher la nourriture, les boissons, les vêtements ou les valises pour les réfugiés – qui arrivent souvent avec des sacs plastiques – pour qu’ils puissent poursuivre leur chemin jusqu’en Allemagne. »
Votre ‘public cible’, si je peux dire ça comme ça, ce sont des gens qui viennent d’être libérés des centres de rétention pour migrants sur le territoire tchèque et qui arrivent à Prague souvent sans assez d’argent pour continuer leur voyage vers l’Allemagne, c’est bien ça ?
« Oui, ils sont enfermés sans comprendre pourquoi dans ces centres de rétention. Ils ne savent pas quand ils seront libérés. Ils passent souvent deux à trois mois là-bas. On a même eu quelqu’un qui a passé plus de 150 jours dans un de ces camps. Une moitié d’entre eux sont des Syriens, ces derniers temps ce sont souvent des Afghans. Beaucoup de Kurdes aussi, d’Iran et d’Irak, plusieurs cas du Bangladesh et un Ghanéen qui vient de demander l’asile ici. Mais c’est vraiment une exception, car le plus souvent ils continuent jusqu’en Allemagne. »« Donc nous on les accueille ici. 20% des cas nous sont signalés en amont par la Croix Rouge quand elle sait que certains viennent d’être libérés. Nous, on va voir sur le quai quand arrivent des trains en provenance des régions des trois camps : Bela, près de Mladá Boleslav, Vyšní Lhoty près d’Ostrava et Zastávka u Brna près de Brno. »
« Quand on repère des gens qui pourraient être des réfugiés on les aborde calmement, parce qu’ils sont souvent effrayés. On dirait qu’ils ne sont pas traités de manière vraiment humaine dans ces camps. Un Afghan a par exemple été libéré à 3h du matin par des policiers – qui se moquaient de lui vraisemblablement – et il est arrivé la peur aux yeux ici à la gare. Il ne savait pas où il se trouvait, sans argent car on leur prend tout dans ces camps et souvent on ne leur rend que 400 couronnes, une somme qui ne suffit que pour aller à Prague. »
Le fait est qu’on leur prend leur argent pour payer leur séjour dans le camp…
« Exactement, et on ne comprend pas trop pourquoi. En plus il faut payer par personne, donc une famille de quatre personnes qui passe plusieurs semaines dans un camp cela représente une somme énorme pour eux… Nous, on leur permet, grâce à l’argent de la Croix-Rouge, de se payer un billet de train pour Dresde. »Combien ça coûte un billet Prague-Dresde ?
« Environ 700 couronnes. Et à Dresde nous avons un autre groupe de volontaires qui les reçoivent là-bas, s’ils ont eu la chance de ne pas se faire arrêter par la police à la frontière. Ils les aident pour l’enregistrement dans les camps de réfugiés, pour ne pas qu’ils se sentent trop mal après l’expérience qu’ils ont vécu ici. On a aussi eu une femme avec un bébé qu’ils ont aidée pour faire en sorte qu’elle retrouve son mari dans le nord de l’Allemagne. »
Parvenez-vous à payer le billet jusqu’à Dresde à tous ceux qui arrivent ici grâce à la Croix Rouge ?
« Oui jusqu’à présent nous n’avons eu aucun refus. Et si jamais la Croix Rouge ne marchait plus, les gens nous donnent de l’argent sur un compte sous l’égide de l’Autonomní sociální centrum KLINIKA (http://klinika.451.cz/), l’une des seules collectes de matériaux et de finances à Prague pour aider les réfugiés. Les gens peuvent envoyer leur contribution en précisant que l’argent est destiné ‘à un billet de train pour Dresde’. »
On voit autour de nous dans ce bureau des couvertures, des vêtements. De quoi avez-vous besoin en priorité si les gens veulent vous aider ?
« Nous avons déjà beaucoup de vêtements pour les enfants et les familles grâce à la collecte de la Klinika. Surtout ne pas nous les amener ici à la gare où nous n’aurons plus de place. En fait si quelqu’un veut nous aider, qu’il vienne nous voir, après avoir fait un tour sur notre page Facebook, et une personne est chargée du recrutement et de la formation de nouveaux volontaires. Ou alors ils peuvent contribuer financièrement en nous donnant de l’argent en espèce ou sur notre compte qui est transparent et peut être consulté sur internet. »Quand les migrants arrivent à la gare trop tard le soir je crois savoir que vous avez également les moyens de les héberger parfois…
« Oui nous avons une liste de gens qui proposent un service d’hébergement. Et nous avons la direction d’un hôtel qui a très gentiment mis à notre disposition plusieurs chambres. C’est une aide importante. »
Ce qui est primordial aussi aujourd’hui pour les migrants ce sont les moyens de communications. Est-ce que vous leur prêtez des cartes SIM, des téléphones ?
« Oui, mais dans les centres de rétention il est fréquent qu’on leur prenne non seulement leur argent mais aussi leur téléphone… Si on leur a rendu leur téléphone on leur achète des cartes SIM, pour qu’ils puissent appeler leurs proches en Allemagne ou ceux restés dans les camps. C’est aussi utile pour nous pour pouvoir les contacter et savoir s’ils ont bien passé la frontière et sont arrivés dans un camp de réfugiés en Allemagne. On a besoin pour nos activités de savoir s’ils sont bien arrivés. »
Quel est le profil-type des volontaires qui aident ici à la gare de Prague ?
« Les profils sont très variés ! Nous avons des professeurs d’université, des journalistes, un chauffeur de taxi, beaucoup d’étudiants, des femmes en congé parental… »
Ce sont des gens qui parlent des langues comme l’arabe ?
« Nous avons à notre disposition une liste d’interprètes pour les langues orientales. Le plus souvent les gens parlent anglais. Et on a aussi un petit lexique avec des phrases de base pour communiquer avant d’appeler des gens qui connaissent la langue parlée par le ou les migrants. »Avez-vous l’impression que cette aide et ces initiatives sur les réseaux sociaux ont été motivées par l’attitude du gouvernement tchèque ?
« Tout à fait. En tout cas c’est mon cas et celui de tous les volontaires à qui je parle. Ils sont motivés pour aider les réfugiés et déprimés par la sensation de se trouver dans un pays qui a une attitude tellement négative vis-à-vis des réfugiés, relativement compréhensible quand on voit l’attitude des médias et des politiciens. Ils font tout pour faire comprendre aux réfugiés qu’il faut éviter notre pays pour transiter, comme avec cette politique des centres de rétention. Ce n’est vraiment pas l’image d’un pays accueillant. Moi, je fais ça d’une certaine manière pour réparer cette image. »
« Surtout il faut parler aux gens. A mon avis, il s’agit moins d’une attitude xénophobe ou raciste que de la peur tout simplement. La peur de l’inconnu et des cultures avec lesquelles ils n’ont jamais été en contact. Cet afflux massif fait peur, je le comprends. J’essaie d’en parler, avec mes collègues de travail ou avec mes voisins notamment, pour essayer d’éclaircir le sujet. Parfois je réussis, parfois non… »
Nombreux sont ceux qui pensent qu’il s’agit avant tout de migrants économiques. D’après votre expérience, vous en pensez quoi ?
« C’est un mélange. Mais quand on parle des Syriens et des Afghans qui viennent ici c’est difficile de mettre en doute les raisons de leur migration. Ensuite, oui, nous avons des cas d’Algériens, de Ghanéens… Si c’est une migration économique, les autorités compétentes en Allemagne ou ici vont en juger et décider s’ils ont le droit de rester en Europe ou pas. C’est un mélange je dirais, mais moi pour les Syriens et les Afghans je ne me pose pas de questions. »On dit que le flux avec l’hiver va s’estomper. Mais en ce qui concerne ceux libérés des camps tchèques, cela ne dépend pas vraiment de la saison en fait. Jusqu’à quand pensez-vous rester à la gare de Prague ?
« C’est vrai, on va voir s’ils vont continuer de les libérer et nous allons continuer notre mission. »