« Rattrapés par la nuit » : les artistes tchèques en France lors de la Seconde Guerre mondiale exposés à Brno
Pendant les années 1920 et 1930, l’âge d’or des relations franco-tchèques, de nombreux artistes tchèques se sont rendus à Paris pour chercher l’inspiration et continuer leur création dans ce berceau de la culture européenne. Cette situation change néanmoins avec l’arrivée de la Seconde Guerre mondiale. Que s’est-il passé pendant ces temps difficiles ? Et quel a été l’impact des Accords de Munich sur les artistes tchèques ? C’est à ces questions qu’essaye de répondre l’exposition « Rattrapés par la nuit » qui se tient actuellement à la Galerie morave de Brno, après avoir été récemment exposée à la Galerie de Cheb. Radio Prague s’est entretenue avec sa commissaire, Anna Pravdová, qui revient sur cette période troublée :
La période de la Seconde Guerre mondiale a donc été marquée par l’arrivée d’une nouvelle vague d’artistes tchèques en France. Les raisons pour lesquelles ces artistes ont quitté leur pays avaient pourtant changé, la plupart d’entre eux n’étant pas venus pour chercher la gloire dans cette « Mecque de l’art » mais pour échapper au pire. Contrairement à leurs prédécesseurs, même les auteurs sans engagement politique visible avant la guerre commencent alors à s’exprimer afin de soutenir leur patrie d’origine et participent activement à la vie politique des exilés. Ainsi est créée la « Maison de la culture tchécoslovaque à Paris », le centre de la propagande en faveur de l’Armée tchécoslovaque et de ce petit pays occupé, représentés principalement par les peintres Adolf Hoffmeister, Antonín Pelc, Maxim Kopf ou Alén Diviš.
L’histoire de ces artistes, arrêtés ensuite par la police française et emprisonnés pendant six mois à la prison de la Santé avant d’être envoyés dans des camps pour « étrangers indésirables », représente une partie importante de l’exposition « Rattrapés par la nuit » présentée à la Galerie morave de Brno, une exposition basée sur le livre éponyme d’Anna Pravdová qui a été publié en 2009 :
« Je me suis retrouvée en France pour étudier l’histoire de l’art. Je me suis dit que je me retrouvais dans la même situation que ces artistes tchèques à l’époque. Alors, simplement par curiosité personnelle, j’ai voulu découvrir comment ils avaient vécu leur séjour à Paris. Mais je me suis rendue compte qu’il y avait très peu de publications traitant de ce sujet de manière synthétique. C’est donc la raison pour laquelle j’ai commencé à m’intéresser au sujet. Je trouvais qu’il y avait des choses à explorer. J’ai donc écrit une thèse sur ce sujet. La partie sur la guerre ne représentait qu’un des chapitres mais c’est celui qui a le plus intéressé le jury pendant ma soutenance. Ils m’ont dit qu’il faudrait publier cette partie qui est devenue plus tard le livre ‘Rattrapés par la nuit’. »
Outre d’autres artistes connus de l’époque, tels que František Kupka ou Jan Zrzavý, l’exposition présente des œuvres méconnues nées pendant la guerre alors que leurs auteurs ont souvent fait partie de la résistance clandestine, comme c’est le cas de Josef Šíma, Rudolf Kundera ou Jan Vlach, ou encore des artistes qui ne sont pas connus en République tchèque car ils travaillaient surtout en France. Ainsi, le public tchèque peut découvrir, par exemple, Edita Hirschová, dite Tita, une peintre juive dont la plupart des œuvres ont été détruites après sa déportation à Auschwitz d’où elle n’est jamais revenue, ou la production du « Groupe des artistes plasticiens tchécoslovaques », fondé en 1939 et dirigé par František Matoušek, qui était à l’origine de la publication de l’album « Pour la Tchécoslovaquie. Hommage à un pays martyr » à laquelle participaient également des artistes parisiens de renom, notamment Marc Chagall ou Pablo Picasso. Anna Pravdová souligne que ce qui rend l’exposition intéressante, ce ne sont pas seulement des œuvres concrètes mais surtout le contexte historique et les destins des artistes présentés :« Il y a, par exemple, quelques œuvres complètement inconnues comme celles de Fédor Löwenstein qui a été actif dans la résistance dans le centre de la France et dont les œuvres ont été saisies par la gestapo, donc il y en a très peu aujourd’hui. Ces œuvres ont été récemment découvertes par le Centre Pompidou qui veut les présenter davantage alors que chez nous cet artiste reste complètement inconnu. »Pour mieux illustrer l’atmosphère, les œuvres sont complétées par divers documents, projection cinématographique ou encore des morceaux de la musique de l’époque. L’exposition, présentée en partenariat avec la Galerie nationale de Prague, se tiendra jusqu’au 10 janvier 2016.