Une 70e édition du Printemps de Prague pétrie d’histoire et de symboles
C’est une première à portée symbolique qui s’est déroulée ce mardi à la Maison municipale de Prague. La 70e édition de l’un des plus prestigieux festivals internationaux de musique, « Le Printemps de Prague » (Pražské jaro), a été inaugurée par l’Orchestre symphonique de Hambourg, sous la baguette de Thomas Hengelbrock, et comme de tradition, les premiers accords appartenaient au cycle de poèmes symphoniques de Bedřich Smetana « Má vlast » (Ma patrie).
Au regard des récentes commémorations du 70e anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale, la présence d’un orchestre allemand le premier jour du festival a donc une portée non négligeable. Le chef d’orchestre, Libor Pešek, qui avait lui aussi interprété Má Vlast avec l’Orchestre philharmonique royal de Liverpool en 1993, a dévoilé quelle impression lui inspirait cette situation inédite :
« C’est un geste merveilleux, mais aussi un geste logique. Pendant la guerre, j’ai grandi sous le Protectorat, nous n’aimions pas les Allemands, nous avions peur d’eux. Mais cette nation a connu une telle évolution, que cela fait d’elle un exemple de démocratie. »
Le festival du Printemps de Prague, qui commence traditionnellement le 12 mai, date du décès du compositeur Bedřich Smetana, a vu le jour au mois de mai 1946. Directeur du festival depuis 2001, Roman Bělor a dévoilé quel avait été l’impact de ce festival à ce moment-là :
« Ça a été un évènement très marquant à l’époque. En fait, il a représenté l’accomplissement de plus de cinquante ans d’efforts du milieu musical tchécoslovaque pour créer un grand festival durable de musique international. Cela a également été le premier anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que les cinquante ans célébrant la création de l’Orchestre Philharmonique tchèque, fondé en 1896. Tout cela s’est donc rejoint. L’inspirateur de ces évènements a été Rafael Kubelík, qui avait renoué avec les efforts d’avant-guerre de son prédécesseur Václav Talich. »Marquant ainsi après la guerre, le début d’une nouvelle ère, de la liberté retrouvée, le Printemps de Prague a lui aussi été touché par l’avènement du régime communiste peu de temps après, et ce en dépit du fait qu’il ait tenté de conserver son aura culturelle en continuant d’accueillir des artistes de renom international, comme le chef d’orchestre autrichien Herbert von Karajan. Roman Bělor poursuit :
« Il est paradoxal que la troisième édition du festival, au printemps 1948, ait été dans une certaine mesure encore libre. L’endoctrinement communiste n’avait pas encore eu le temps de l’influencer. Rafael Kubelík y a même dirigé l’oratorio d’Antonín Dvořák, Sainte Ludmila (Svatá Ludmila). Mais c’est durant l’été qu’il a profité de l’invitation au festival d’Edimbourg pour quitter le pays. Il a déclaré à l’époque : ‘J’ai dû quitter ma patrie, pour ne pas quitter ma nation’. »
Le personnage clé de l’histoire du festival reste bel et bien le chef d’orchestre, Rafael Kubelík, qui a été de nouveau témoin d’un changement historique après la Révolution de velours. Roman Bělor se souvient :
« Comme pour l’ensemble de la société tchèque, l’année 1989 a bien évidemment eu un impact positif sur le festival. Cela a permis un retour de dernière minute de personnalités significatives de la musique tchèque et ce avant tout du fondateur du festival, Rafael Kubelík. Il a dirigé Má Vlast avec l’Orchestre philharmonique tchèque en 1990. Il existe des enregistrements audio et vidéo formidables de ce moment. La clôture a été confiée à Leonard Bernstein, qui revenait lui aussi au festival après 41 ans, car il avait été une des vedettes des deux premières années du festival en 1946 et 1947. »Pour ce 70e anniversaire, le palais du Rudolfinum présente également l’exposition de Jovan Dezort et Zdeněk Chrapek, qui ont photographié le Printemps de Prague pendant plusieurs décennies.
Si la grande majorité des tickets des 45 concerts prévus a déjà été vendue, soulignons quelques perles du programme, telles que le chanteur d’opéra Adam Plachetka, l’Orchestre de l’Académie nationale Sainte-Cécile de Rome, l’Orchestre symphonique de Budapest ou encore le violoncelliste français Charles-Antoine Duflot. La radio tchèque prévoit également la retransmission d’une quinzaine de concerts en direct. La clôture du festival, les 2 et 3 juin prochains, a été confiée à l’Orchestre philharmonique royal de Liverpool, sous la direction du chef d’orchestre russe Vassili Petrenko, marquant peut-être bien aussi un autre geste de portée symbolique.