Alceste à bicyclette ou Molière sur l’île de Ré
Dans le cadre du Festival du film français, qui s’est déroulé à Brno, České Budějovice et Prague, le cinéaste Philippe le Guay était de passage dans la capitale tchèque pour présenter son dernier long-métrage, « Alceste à bicyclette », dans lequel Fabrice Luchini, Lambert Wilson, Molière et l’Île de Ré se donnent la réplique. L’histoire ? Un acteur à succès se rend sur la fameuse île charentaise-maritime pour tenter de convaincre un ancien ami à lui, reclus de Paris et du monde du cinéma, de jouer un rôle dans l’adaptation qu’il souhaite réaliser de la pièce du Misanthrope. Pour Radio Prague, Philippe le Guay a évoqué la naissance du projet.
Ce n’est pas votre première collaboration avec Fabrice Luchini avec lequel vous avez travaillé sur quatre films au total. Qu’appréciez-vous dans ce travail commun avec lui ?
« J’apprécie d’abord son intelligence. Il a un regard sur le monde, sur les textes et sur celui de Molière en particulier, un regard tout à fait tranchant et pertinent. J’aime aussi la façon dont il regarde les gens. A la différence de beaucoup d’acteurs qui ne regardent qu’eux-mêmes, Fabrice est très branché sur les autres. Et puis bien sûr, il y aussi une qualité que peu d’acteurs partagent, le sens comique, c’est-à-dire un regard halluciné, une énergie incroyable… Et donc c’est vraiment un partenaire de travail merveilleux. »
Le personnage joué par Fabrice Luchini, Serge Tanneur, a d’ailleurs des propos assez durs sur le monde du cinéma. Est-ce un regard sur cet univers que vous partagez ?« Le personnage de Serge Tanneur dit qu’il s’agit d’un monde où tout le monde trahit tout le monde, un monde où il n’y a pas de fidélité… Lui-même est un personnage aigri et blessé. Il a été trahi par son meilleur ami qui était producteur. Evidemment dans le milieu du cinéma, il y a une rivalité terrible, il y a peu de films qui se font, il y a de l’argent bien sûr mais aussi des rapports de force qui peuvent être très parfois violents. Mais non, je ne partage pas du tout ce point de vue. Je suis très content de faire ce métier. J’aime travailler avec les gens avec lesquels je travaille et surtout j’aime travailler avec les acteurs. »
L’autre personnage principal est joué par Lambert Wilson et partage plutôt ce point de vue. Son personnage est un acteur à succès à Paris qui joue dans un feuilleton télévisé. Pourquoi avoir porté votre choix sur Lambert Wilson ?
« Lambert a cette grande qualité qu’il n’est pas un acteur de la rivalité. Il a envie d’être un partenaire. Je savais que pour jouer avec Fabrice, il ne fallait pas du tout essayer de créer une espèce de duel artificiel avec des acteurs qui essaient de rivaliser sur le plateau. Même si le résultat qu’on obtient à l’écran, c’est effectivement la sensation d’un duel. Mais ils cherchent quelque chose ensemble, chacun de manière très différente. Ce qu’ils cherchent, c’est tout simplement de rendre justice à la complexité du texte de Molière, à la beauté de la langue et encore à la force comique qu’il y a chez Molière et en particulier dans Le Misanthrope. »Le personnage de Lambert Wilson arrive sur l’Île de Ré avec l’idée de faire jouer son ancien ami, de monter cette pièce du Misanthrope à Paris. Pourtant, on a l’impression que le personnage de Lambert Wilson n’a pas vraiment d’idée sur la façon dont il va monter la pièce et c’est plutôt le personnage de Fabrice Luchini qui va l’orienter à travers leurs répétitions…
« Lambert Wilson, son personnage, n’a aucune expérience du théâtre. Il aime la pièce de Molière comme tout le monde. Il ne se rend pas compte de la difficulté que cela représente, ni de la complexité du rôle qu’il faut jouer, incarner. Le personnage de Fabrice Luchini est complètement abasourdi de voir que son partenaire, alors qu’il n’a aucune expérience de la scène, va se confronter à une sorte de monument, d’Himalaya du théâtre, dont il ne mesure pas la complexité. »
Fabrice Luchini est reclus sur cette île. Il fuit le monde du cinéma et pourtant l’Île de Ré n’est pas forcément l’endroit le plus isolé de la Terre…« L’Île de Ré, c’est les deux choses à la fois. En été, c’est un lieu ultra-mondain où on retrouve toute la société artistique, journalistique et politique de Paris, donc vraiment un condensé de mondanités absolument effrayant. Mais en même temps, le reste de l’année, il n’y a plus personne et c’est effectivement un lieu désertique. Donc, l’ambivalence du décor par rapport à la mondanité était intéressante.
L’autre chose, c’est que l’Île de Ré est tout simplement un lieu très beau. Il y a des plages magnifiques. Il y a la présence de cette lumière, de l’Océan Atlantique, et quelque chose qui moi me touche énormément, sans parler des pistes cyclables puisque l’Île de Ré est aussi un des grands endroits où l’on peut faire du vélo. »
Pour revenir au cinéma et à la République tchèque, connaissez-vous le cinéma de ce pays et notamment celui de la période de la Nouvelle vague cinématographique tchécoslovaque des années 1960 ?
« Oui, je le connais. Je suis un fan vraiment assez inconditionnel du cinéma tchèque de cette période. Et en me promenant dans les rues, j’évoquais bien sûr Les Petites marguerites de Věra Chytilová, Miloš Forman, Ivan Passer… Jaromír Jireš et son adaptation d’un roman de Milan Kundera, La Plaisanterie. Je suis amateur de tout ce cinéma. »Qu’appréciez-vous dans ce cinéma ?
« Le sentiment de la liberté, qui était d’ailleurs celui que la Tchécoslovaquie rencontrait dans ces années-là, juste avant l’écrasement du Printemps de Prague par les forces soviétiques en 1968. Cette liberté était liée aussi avec forme particulière. Il y en avait un équivalent en France mais le cinéma tchécoslovaque avait quelque chose de différent, peut-être avec une sorte d’ironie et un commentaire social plus aigu que notre cinéma. »
Comment avez-vous découvert ces films ?
« Principalement grâce au cinéclub de France 2, qui était animé à l’époque par le critique de cinéma Claude-Jean Philippe, qui est un peu un père spirituel pour moi. Et ces films, je me souviens en particulier des Amours d’une blonde et de L’As de pique (tous deux de Miloš Forman), m’ont absolument marqué. Des films que j’ai retrouvés dans un cinéma parisien, Le Champollion, où ils étaient régulièrement programmés. »