Jeden svět – ‘Lost rivers’: à la découverte des rivières enfouies sous nos villes
Lost rivers est un documentaire de la réalisatrice québécoise Caroline Bâcle projeté dans le cadre de la quinzième édition du festival international du film documentaire Jeden svět. Radio Prague a rencontré l’auteur de cette œuvre qui plonge le spectateur dans l’univers mystérieux des rivières enfouies sous nos villes.
Au début du film, on est familiarisé avec ces personnes qui vont dans les souterrains des villes. Comment les avez-vous rencontrés ? Qu’est-ce qui vous a fasciné chez eux ?
« En les rencontrant, cela a été un peu notre porte d’entrée. L’idée qui est venue, c’est de se servir de ces explorateurs pour être notre porte d’entrée vers la curiosité, vers la découverte de ces rivières pour ensuite essayer de comprendre pourquoi elles sont là et ce qu’elles pourraient devenir dans le futur. Nous avons donc approché Andrew Edmond, photographe à Montréal, et nous avons découvert qu’en fait, tous les gens qui font ce genre de choses, ces ‘explorateurs urbains’, se connaissent. C’est comme un réseau ‘underground’, littéralement ! Il y a plein de forums sur Internet où ils partagent leur connaissance, leurs techniques, comment ils descendent sous terre, l’équipement qu’ils utilisent, etc. Ils se connaissent tous ! De fil en aiguille, on a rencontré Andrew Edmond qui nous a présenté Michael qui est à Toronto. Il y avait Danièle à Montréal qui nous a présenté des explorateurs à Londres, lesquels nous ont signalé des explorateurs en Italie… Ils ont plaisir à se voir tous dans le film puisqu’ils se connaissent tous ! »
Finalement, vous faites désormais partie de ce monde vous aussi ! Quels sentiments avez-vous eu en descendant dans les souterrains des villes ?« C’est drôle parce que je n’y ai pas trop pensé. Pour moi, c’était vraiment la curiosité de cette histoire là. Je ne me suis pas dit que je devenais moi-même exploratrice. C’était assez rigolo la première fois qu’on a fait ça, c’est vrai que j’étais un petit peu nerveuse. Avec les grosses salopettes, la lampe sur le front et tout ça, nous nous sentions vraiment comme des explorateurs. On allait dans un monde que très peu de gens voient. Donc c’était assez risqué, assez clandestin… »
L’aventure ?
« Vraiment c’était une grosse aventure ! »
S’agit-il d’un film militant qui pose la question de la place des rivières dans la ville ?
« Nous avons pris l’histoire de six rivières dans six villes en suivant l’évolution de notre perception de l’eau dans la ville. On voit beaucoup Toronto à cause de ses déchets dans ses voix d’eau naturelles. Mais c’est une histoire qui se répète dans beaucoup de villes. A y repenser, ce n’est pas un film militant, on ne milite pas pour faire revenir toutes les rivières. Comme à Londres par exemple : nous étions au bord de la Tyburn qui coule sous le palais de Buckingham. On ne va pas le détruire pour faire revenir une essence de ce qu’aurait été cette rivière ! Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un film militant, c’est plutôt un film d’éveil, de prise de conscience de l’évolution des différentes épaisseurs de la ville. Mon souhait, c’est de montrer que tout le monde a son mot à dire sur la façon dont l’environnement doit être développé. »
Vous avez d’ailleurs été à Séoul où il y a eu un projet de réaménagement d’une rivière qui avait été enfouie sous une autoroute. Or il y a des gens qui y étaient opposés car cela allait affecter leur activité…
« En fait, je pense que le film appelle à une évolution humaine des villes, un développement durable. Après, la durabilité est un concept discutable parce qu’on devrait toujours évoluer et changer les choses. Le film appelle à un développement responsable et à Séoul nous avons vraiment été très impressionnés par le projet. Mais, il y a des conséquences à toute évolution et la question se pose de savoir comment bien faire les choses et prendre en compte tous les facteurs. »Vous filmez aussi en Italie, à Brescia. Il y a des explorateurs urbains qui cherchent une ancienne plate-forme enfouie sous une place de la ville qui aurait été un lavoir. L’ont-ils trouvé finalement ?
« Non ! Ils n’ont toujours pas trouvé la plate-forme ! Ce qui est très drôle parce quand nous sommes descendus filmer avec eux, nous avons passé des heures sous terre à les suivre pendant qu’ils fouillaient et fouillaient encore. Et j’ai réalisé grâce à mon preneur de son italien qu’ils ne voulaient pas arrêter jusqu’à temps qu’ils trouvent. Pour la caméra, ils voulaient montrer qu’ils avaient trouvé la plate-forme ! »
Comment avez-vous choisi ces villes en particulier ?
« C’est un projet qui a demandé beaucoup de temps de préparation, avec une longue phase de développement. Nous avons été chanceux car nous avons obtenu une bourse de financement pour pouvoir mener ce développement, pour pouvoir écrire l’histoire. J’ai passé énormément de temps à faire des recherches sur les rivières sous les villes, je suis allée à Paris, etc. Et puis à un moment, il a fallu choisir parce qu’on ne peut pas faire le portrait de quinze mille rivières ! Donc, nous avons choisi six rivières sous six villes qui ont des histoires différentes mais qui suivent une sorte de chronologie dans le cadre de l’évolution de ces rivières sous les villes. Ce sont des villes dont l’histoire a été fascinante ou dont l’histoire a été modèle. A Yonkers, on a suivi un projet de mise au jour d’une rivière pendant un an et demi donc nous nous sommes beaucoup attachés aux personnages là-bas. Pour un documentaire, il y a eu un gros travail au niveau du scénario. »
Par exemple, Londres représente un modèle de ville pour les villes industrielles du XIXe siècle ?
« La migration de masse vers les villes, l’arrivée des usines, bref l’industrialisation, se sont passées tellement rapidement qu’il n’existait aucune infrastructure à l’époque et les gens se servaient des rivières pour y jeter leurs déchets. Les gens s’empoisonnaient, il y avait les épidémies de choléra… C’est une histoire qui s’est passée à Londres, à Paris et partout dans le monde. Donc c’est une histoire commune. On s’est servi de Londres comme exemple car leur système d’égout a servi de modèle pour beaucoup d’autres. Des ingénieurs anglais ont participé à la réalisation des égouts de Toronto par exemple. »Comment les municipalités gèrent-elles désormais cette question de l’eau selon vous ?
« Je crois que le mouvement de remise à la lumière des rivières, le fait de se dire que ces rivières enfouies peuvent nous aider dans le cadre par exemple de la gestion des inondations, de la qualité de vie dans la ville, date peut-être de dix ou vingt ans. Il y a encore des vieilles philosophies de recouvrement de rivières mais de moins en moins. Nous vivons dans une époque post-industrielle, nous vivons un retour à la ville et à l’importance d’avoir une certaine qualité de vie dans la ville. Je pense que cela fait partie de ce mouvement. On ne va pas faire des kilomètres pour aller à la campagne quand on peut avoir la nature près de nous et je pense que c’est cela, l’avenir des villes. »