Le « klausisme »

Václav Klaus, photo: Kristýna Maková
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Il y a un peu plus d’un an de cela, suite à son décès, nous avions consacré deux émissions aux mots et phrases prononcés par Václav Havel durant ses mandats de président et qui sont restés gravés dans la mémoire des Tchèques. Après dix années passées au Château de Prague, le successeur de Václav Havel, l’autre Václav, Klaus, a lui aussi récemment quitté ses fonctions de chef de l’Etat. Même s’il divise le pays en deux camps, entre ceux qui l’apprécient jusqu’à l’admirer et l’idéaliser et ceux qui ne l’apprécient pas jusqu’à le haïr et le diaboliser, il est un fait indiscutable : qu’on aime ou pas le personnage, Václav Klaus aura été, et reste avec Václav Havel, une des deux grandes personnalités politiques qui ont marqué ces plus de vingt années post-régime communiste en République tchèque. Son départ est donc pour nous l’occasion de nous intéresser aux mots qui ont marqué la présence au pouvoir d’un Václav Klaus jamais avare dans ses discours, interviews, commentaires et autres démentis de propos provocateurs prêtant souvent à débat et à polémique. Une chose est sûre : même si comme son successeur Miloš Zeman, lui non plus ne porte pas la majorité des journalistes en haute estime, Václav Klaus a le don de souvent régaler son auditoire par des déclarations qui sentent le soufre. Mais aussi l’art parfois d’inventer des mots… En voici un petit aperçu…

Václav Klaus,  photo: Kristýna Maková
« Je peux affirmer que je suis fier du peuple tchèque. Je pense que le peuple tchèque ne s’est pas laissé mener en bateau par l’incroyable campagne médiatique qui a été menée contre Miloš Zeman. Et si je voulais exagérer, je dirais que contrairement à ce qui a été dit et redit ces dernières semaines, la vérité et l’amour ont enfin triomphé du mensonge et de la haine. »

> Très ironique, c’est en ces termes faisant référence à Václav Havel que Václav Klaus avait commenté, fin janvier dernier, l’élection de Miloš Zeman à la présidence de la République. On s’en souvient, Miloš Zeman avait alors battu au deuxième tour Karel Schwarzenberg, ancien proche de Václav Havel au Château de Prague au début des années 1990 qui, durant la campagne électorale, avait bénéficié du soutien, il est vrai à peine voilé, d’une grande partie des médias tchèques. Or, jamais, au grand jamais, les deux Václav, Klaus et Havel, n’ont entretenu de relations très cordiales, c’est même là un euphémisme que de l’affirmer. Du reste, l’hebdomadaire britannique The Economist avait plutôt bien résumé l’affaire après le premier tour de la dernière élection présidentielle en titrant : « Présidence tchèque : Karel Havel ou Miloš Klaus ? », à savoir donc un Karel Schwarzenberg proche de Havel ou un Miloš Zeman soutenu par Václav Klaus. C’est une évidence, ce dernier n’est donc pas un « pravdoláskař », un mot composé des substantifs « pravda » - vérité, et « láska » - amour, qui désignait les disciples de Václav Havel et faisait référence à la célèbre devise de la révolution dite de velours de 1989 : « Pravda a láska musí zvítězit nad lží a nenávistí » - « La vérité et l’amour doivent triompher de la haine et du mensonge ».

Václav Havel,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
Ce slogan, Václav Klaus ne l’a donc pas fait sien. Toutefois, il aimait qualifier de « pravdoláskaři » les partisans des idées prônées par Václav Havel. Dans sa bouche, il s’agissait sinon d’une insulte, au moins d’un moyen de manifester son dédain, son mépris pour ses opposants. Ces adversaires, défenseurs d’idées qui n’étaient pas celles du très pragmatique économiste Václav Klaus, étaient aussi parfois appelés « havlisté », autrement dit les « havlistes ». Ce mot « havlisté » provenait d’un autre mot que Václav Klaus a inventé pour désigner la doctrine du « havlismus », littéralement le « havlisme », la doctrine, naïve à ses yeux, de la vérité et de l’amour qui doivent triompher. « Une perception du monde totalement différente de la mienne et pour laquelle je ne parviens pas à trouver d’autre nom », a-il une fois expliqué.

Mais ce « havlismus » n’était pas la seule marotte de Václav Klaus, qui plus généralement a fait des concepts idéologiques dont les noms s’achèvent par le suffixe « -ismus » - « -isme » un domaine de chasse gardée. En vrac, citons bien entendu tout d’abord l’européisme – evropeismus, et l’environnementalisme – environmentalismus, mais aussi encore par exemple l’homosexualisme – homosexualismus, dont l’évocation, suite à une Gay Pride à Prague en 2011, lui avait d’ailleurs valu de vives reproches. Reste que pour Václav Klaus, tous ces mots et théories en « -ismus » constituent avant tout une entrave aux libertés individuelles, à l’exception bien sûr de mots comme « kapitalismus »,« liberalismus » voire dans un certain sens, « nacionalismus ».

Photo: Kristýna Maková
Mais on ne peut pas évoquer le « havlismus » et tous les autres « -ismus » sans mentionner également le « klausismus » - le « klausisme », un mot dont l’invention, vous vous en doutez, n’est cette fois pas le fruit de l’imagination de Václav Klaus. Néanmoins, comme pour le « havlismus », le « klausismus » est un néologisme issu du nom de l’ancien président qui désigne l’idéologie proche de la pensée de Václav Klaus. Son apparition remonte, semble-t-il, au début des années 2000 et son emploi ne dérange pas l’intéressé, bien au contraire paraît-il même.

Dans ce monde de la pensée « klausiste », si l’on s’en tient à l’étude très sérieuse des plus de 460 discours officiels prononcés par Václav Klaus entre 1995 et 2013 et mis en ligne sur son site Internet, les mots les plus fréquents utilisés par l’ancien chef de l’Etat ont été les mots « země » - pays, « český » - « tchèque », « politický » - « politique », « evropský » - « européen », « stát » - « Etat », « republika » - « République », « Evropa » - « Europe », « ekonomický » - « économique », « vláda » - « gouvernement » ou encore « unie » - « union ». Une petite liste qui donne une idée assez précise des priorités et des préoccupations qui ont été celles de Václav Klaus…

Et si nous étions méchante langue, partiaux et injustes, nous ajouterions qu’il s’agit aussi d’une liste de mots dans laquelle on ne retrouve effectivement ni trace d’amour et de vérité. Mais c’est là une constatation qui n’est pas propre à Václav Klaus ou au « klausisme » et s’applique plus largement à l’ensemble de la vie politique et de la réalité économique, que celles-ci soient tchèques ou étrangères… Avant de nous retrouver dans quinze jours, nous espérons que cette constatation ne vous empêchera pas de vous porter du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez donc le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !