Festival Jeden svět : Bahreïn, la révolution oubliée
Le festival du film des droits de l’homme Jeden svět (One World) s’est achevé mercredi. Mardi ont été annoncés les films vainqueurs de cette 15e édition. Parmi ceux-ci, le film de la réalisatrice française Stéphanie Lamorré « Bahreïn, le pays interdit », qui a été distingué par le jury Václav Havel, obtenant le prix du film qui contribue à la défense des droits de l’homme. Si la réalisatrice n’était pas présente au festival, le film y était représenté par l’activiste Reda Al-Fardan, qui a collaboré à sa réalisation.
Et pour cause : en février 2011, la jeunesse s’est enflammée, tout comme dans d’autres pays arabes. C’est cette révolte contre le régime autoritaire de la famille Al-Khalifa que la réalisatrice française Stéphanie Lamorré a décidé d’aller filmer de manière clandestine, aucun journaliste étranger n’étant autorisé à pénétrer dans le pays. Reda Al-Fardan nous en dit plus sur la genèse du film :
« L’histoire du film commence avec le projet de Stéphanie Lamorré qui voulait réaliser un documentaire sur les femmes et les révoltes arabes. Elle est allée dans tous les autre pays, et également au Bahreïn. Elle m’a dit qu’elle avait été surprise d’avoir bien plus de liberté dans les autres pays qu’au Bahreïn. Dès qu’elle a atterri à l’aéroport, les autorités ont confisqué sa caméra et lui ont dit qu’elle avait deux semaines pour quitter le pays. Elle a rencontré différents activistes et a été surprise de découvrir l’ampleur de la répression. »Stéphanie Lamorré va alors quitter son hôtel, disparaître, se fondre dans la masse des habitants de l’émirat. Dissimulant sa chevelure blonde sous un niqab, elle passe de famille en famille et tourne avec les caméras qu’on lui prête. Elle suit trois femmes qui luttent pacifiquement mais avec détermination contre le régime en place. Stéphanie Lamorré tourne alors des images qu’aucun autre média étranger ne peut obtenir. Reda Al-Fardan :
« Les médias étrangers pensaient que la révolution avait eu lieu pendant un ou deux mois et ensuite avait été réprimée. Mais en réalité, malgré l’intervention de l’armée saoudienne, les gens continuaient de sortir dans les rues, tous les soirs, risquant leur vie pour protester contre la répression. Et ça continue ces jours-ci. »
En suivant ces activistes, Stéphanie Lamorré découvre des femmes courageuses, qui collectent les témoignages des manifestants arrêtés, torturés, des familles de protestataires décédés dans des conditions plus que louches, mais qui également soignent clandestinement les blessés pendant les manifestations, interdits d’hôpital par le régime en place. Dans une société bahreïnie éduquée et où les femmes ont traditionnellement une place importante, celles-ci se sont révélées des actrices majeures de cette révolution oubliée, comme le précise Reda Al-Fardan :« Elles sont les leaders des manifestations. Elles ne sont pas celles qui lancent des cocktails Molotov, mais dirigent les protestations, écrivent les discours, prennent le micro. Les rôles sont totalement partagés entre femmes et hommes. L’opposition politique est composée de femmes et d’hommes. Tous les gens qui ont un cerveau et des talents essayent de l’utiliser. Donc quand Stéphanie est arrivée et a rencontré ces femmes et a vu leur implication, elle a décidé de faire le film uniquement sur le Bahreïn et non pas sur les autres pays. »
Le film de Stéphanie Lamorré est sorti en 2012, et selon les dernières nouvelles de la réalisatrice et Reda Al-Fahran, rien n’a malheureusement changé depuis dans le petit royaume du Golfe persique. Manifestations et révolte sont le lot quotidien des Bahreïnis engagés, exactions et répression se poursuivent du côté du pouvoir.