Univers des cafés pragois (III) : le café cubiste de la Maison à la Vierge noire
Dans le magazine touristique aujourd’hui, nous vous proposons la troisième partie de notre série de reportages sur les cafés les plus connus et les plus intéressants de la capitale tchèque. Cette fois, nous vous ferons découvrir le Grand Café Orient, situé à proximité de la place de la Vieille-Ville, le seul café cubiste de Prague (et probablement un des rares cafés au monde emménagés dans ce style). Le café se trouve dans la célèbre Maison dite « à la Vierge noire », bâtiment qui abrite également un musée du cubisme tchèque.
« Ce qui est intéressant dans ce bâtiment, c’est qu’il a été conçu, en 1911 et 1912, en tant que grand magasin. Or, à l’époque, contrairement à ce que l’on connaît aujourd’hui, les magasins n’étaient pas ouverts 24 heures sur 24 et pendant les week-ends. Pour rendre le café accessible pendant ce temps-là, ce dernier avait sa propre entrée, du côté de la place Ovocný trh. La deuxième particularité, c’étaient les éléments cubistes à l’intérieur du café créés par Gočár : par exemple le bar ou les objets en verre comme les lustres et les lanternes. »
Pourtant, ce beau café cubiste de Prague a eu une vie éphémère : après la Première Guerre mondiale, il a été fermé, son mobilier détruit et le bâtiment transformé en banque. Rudolf Břínek explique :
« Il y avait plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, le cubisme n’était plus à la mode après la guerre de 14-18. Il se retrouvait dans une impasse et n’intéressait plus personne, même si on retrouve encore certaines influences cubistes dans l’Art Déco à la fin des années 1920. La deuxième raison était le contexte historique d’après-guerre. N’oublions pas que le café s’appelait Grand Orient. Il se trouvait, comme aujourd’hui, au premier étage, mais au sous-sol, il y avait, outre la cuisine et les lieux de stockage, un bar également appelé ‘Orient’. C’était un bistrot où l’on dansait et qui était aménagé dans un style turc. Mais, comme vous le savez, la Turquie a perdu la guerre. Et celui qui perd est toujours rejeté… »
Depuis l’entre-deux-guerres et jusqu’à la chute du régime communiste, la Maison à la Vierge Noire abritait des bureaux. En rénovation depuis le milieu des années 1990, le bâtiment a rouvert en 2003 et depuis ce temps-là, on peut y admirer une exposition permanente consacrée au cubisme. Une internaute française écrit sur son blog :« Le principal atout de ce musée est d'être ... petit ! Sans lasser le visiteur, en quelques œuvres majeures, il lui fait découvrir l'esprit dans lequel travaillaient les artistes tchèques, curieux d'explorer les domaines traditionnels de la peinture ou de la gravure mais aussi de la photographie, de l'architecture, de la céramique, du mobilier ou du graphisme. S'arrêter d'abord au café est une bonne idée. Cela permet de se restaurer, mais surtout d'habituer son œil à ses formes, toutes géométriques, exclusivement géométriques, avec une préférence pour l'angle droit. J'avoue un petit faible pour les porte-manteaux et surtout pour cette délicieuse habitude des cafés pragois de mettre les journaux à la disposition de leurs clients. »
En 2004, Rudolf Břínek, juriste de profession, grand amateur et collectionneur d’art, ouvre au premier étage de la Maison à la Vierge noire, à l’emplacement du café qui y existait à l’origine, le « nouveau » Grand Café Orient, entièrement aménagé dans le style cubiste. La tâche était difficile, du fait que seules quelques photographies en noir et blanc de l’ancien café se sont conservées. Il n’empêche que le résultat est très plaisant : chaises et sofas revêtus de tissus rayés de couleur blanche et verte, lustres, glaces et vaisselle respectant les fameuses formes géométriques. La spécialité du Grand Café Orient : un « věneček cubiste », donc une pâtisserie tchèque ressemblant à une couronne de crème, mais carrée. Rudolf Břínek :« Notre café est un lieu de rencontre privilégié des étudiants et de leurs professeurs. Par ailleurs, nous organisons régulièrement des débats sur l’architecture, animés par Zdeněk Lukeš, des présentations de nouveaux livres. Ce n’est pas un milieu snob, notre clientèle est très variée. J’aimerais vraiment savoir qui fréquentait ce café au début du XXe siècle. Le problème est que dans les livres et les journaux, il est impossible de trouver quoi que ce soit sur ce café. Il n’y a aucune information, aucune trace. Il est vrai que pendant la Première Guerre mondiale, rien ne fonctionnait. Après 1918, le café était déjà fermé. Là encore, je ne connais même pas la date exacte de sa fermeture. Je sais seulement qu’au début des années 1920, tout le bâtiment était en rénovation. » Le Grand Café Orient dispose d’une centaine de places situées à l’intérieur et sur le balcon qui sert de terrasse. Il est ouvert en semaine à partir de 9 heures, les week-ends à partir de 10 heures et il ferme tous les jours à 22 heures. Vous trouverez plus d’informations sur son site Internet, en versions tchèque, anglaise et allemande, au www.grandcafeorient.cz.A savoir que Rudolf Břínek est également propriétaire d’un autre café pragois assez particulier, installé dans un vieux tramway au milieu de la place Venceslas. Il n’est pas sans intérêt de savoir que ce tram fut utilisé pour servir de barricade lors de l’insurrection de Prague, en mai 1945. Rudolf Břínek habite dans le quartier praguois de Baba, dans une villa fonctionnaliste édifiée par l’architecte hollandais Mart Stam, reconstruite à plusieurs reprises et qui a retrouvé, grâce à son actuel propriétaire, son style originel.