Bertrand Bonello : « La maison close, un lieu de cinéma »
L’Apollonide, souvenir de la maison close est sorti en salles le 1er décembre dernier après son avant-première au Festival du Film Français. Son réalisateur, Bertrand Bonello était à Prague.
Quand vous dites avoir fait des recherches, comment avez-vous procédé pour le côté historique ? Quand on voit le film, il y a tout cet aspect du quotidien qui y est décrit, toutes ces choses qu’elles doivent faire, auxquelles on ne penserait pas… La toilette par exemple, qui est évidemment différente de celle du commun des mortels…
« Ce qui m’intéressait le plus, c’était les détails. Cela fait toujours peur quand on se lance dans une reconstitution. Je me suis dit que la manière de m’en sortir serait de m’attacher aux détails. Je suis tombé sur quelques bouquins de journalistes qui m’ont aidé. On sait par exemple ce que les femmes faisaient entre huit heures le soir et trois-quatre heures du matin, car il y a des témoignages masculins, des peintres, des écrivains qui étaient là, qui y passaient du temps avant de rentrer chez eux, peignaient leurs livres. La maison close fait presque partie de notre inconscient collectif… Mais ce qui se passe entre trois heures du matin et vingt heures, quand ces femmes sont seules, on le sait moins : je me suis vraiment attaché à savoir à quelle heure elles se lèvent, comment elles se coiffent, comment elles se parlent etc. L’ennui, l’attente. Il faut savoir que ces femmes n’avaient pas le droit de sortir, la prostitution était autorisée à l’intérieur de ces maisons, dehors c’était du racolage. Ce lieu hallucinant de beauté devient aussi une prison. J’avais envie de traiter ce côté prison, attente… Il y a une séquence dans le film où un médecin vient : ça, c’est historique, une fois par mois le médecin venait pour voir si elles étaient malades ou enceintes. Tout cela, c’est ce que j’appelle la chronique… Je me suis donc procuré des livres, mais aussi j’ai consulté des archives de police, des lettres, des journaux intimes. »1900, c’est le tournant du siècle. On associe cette date à beaucoup d’idées, au « mal de fin de siècle ». 1900, c’est aussi la fin d’un monde, on se rapproche de la première guerre mondiale, même si les personnes ne le savent encore… C’est ce qui vous intéressait, de décrire la fin d’une certaine forme de civilisation…
« Le déclin, la fin… oui, la fin des choses, c’est toujours quelque chose qui m’a touché. 1900, on le voit à Paris, c’est l’arrivée de l’électricité, du téléphone, du métro… Il y a une forme de modernité qui se met en place. La fin du XIXe siècle vit dans l’idée que le prochain siècle sera formidable, sans guerres et sans maladies. L’histoire montrera que ce sera le siècle le plus sauvage de l’humanité. Il y a quand même une forme de crépuscule à ce moment-là. Vous parliez de la première guerre mondiale : on ne la voit pas encore arriver, mais on peut la sentir. J’ai beaucoup hésité sur la date, puisqu’historiquement, les maisons closes ferment en 1946. J’avais pensé situer le film en 1946, traiter la fermeture des maisons closes… mais l’après-guerre ne m’intéressait pas et je voulais me concentrer sur une maison en particulier. J’ai donc choisi 1900 pour toutes ce raisons. En 1905-1906, le statut des maisons avait changé, on pouvait pressentir une Europe en train de bouger. 1900 me semblait plus intéressant, et esthétiquement plus fort. »Retrouvez l’intégralité de cet entretien dans Cultures sans frontières ce samedi.