La police communiste envisageait d'éliminer le journaliste Pavel Tigrid

Pavel Tigrid

La police secrète communiste (StB) envisageait d’enlever, voire d'éliminer le journaliste exilé en France, Pavel Tigrid. C’est ce qui ressort des recherches menées par un historien de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires. Une chasse à l’homme obsessionnelle qui n’a pris fin qu’avec la révolution de velours en 1989.

Pavel Tigrid a passé la majeure partie de sa vie en exil, pendant la guerre puis sous le communisme. Bête noire des autorités communistes dès 1948, il est surveillé de près par la police secrète dès le début, surtout après la création de sa revue Témoignage, dont il déploiera les activités à Paris. Une surveillance qui culmine dans les années 1960 par une opération d’enlèvement, qui devait mener à son élimination, comme l’explique l’historien Radek Schovánek :

Radek Schovánek

« Il y a eu une première tentative : les services d’Etat hongrois ont prévenu leurs homologues tchèques que Tigrid allait venir à Budapest le 16 octobre pour une rencontre du Pen Club. La centrale du contre-espionnage a proposé de l’enlever. Le 14 octobre, Tigrid débarque à Budapest et le 16, Jiří Sviták, nom de code Svoboda, part pour la Hongrie pour mener à bien l’opération. Il semblerait que seule la chute de Krouchtchev ait mis un terme à celle-ci. »

Les services hongrois, inquiets des conséquences de l’éviction de Krouchtchev et du fait que Tigrid a la citoyenneté américaine, préviennent le journaliste qui repart sain et sauf pour Paris.

Mais de leur côté, les services tchécoslovaques ne lâchent pas le morceau. Ils décident de lancer une campagne de désinformation contre Tigrid, en France, et essayent de faire croire qu’il est lié avec les membres de l’OAS, responsables de l’attentat manqué contre De Gaulle au Petit-Clamart. Pour ce faire, la StB dispose d’une taupe au sein même de la préfecture de police de Paris :

« Dans les années 1960, les services secrets ont employé leur agent spécial, Gérard Leconte, nom de code Samo. Même s’il s’agissait d’un agent très important qui leur fournissait des milliers de pages de documents top secret, le comité central du PC à décidé de l’utiliser contre Tigrid avec une lettre anonyme contre lui. Cela montre le manque de professionnalisme des services tchécoslovaques : ils ont mis en danger leur agent contre une personne qui ne publiait qu’une revue. Cela indique qu’il ne s’agissait pas d’un service de renseignement mais bien d’une police totalitaire. »

Ce qui surprend le plus dans cette véritable chasse à l’homme, c’est la violence quasi obsessionnelle qu’a suscitée Pavel Tigrid chez les communistes. Pour Radek Schovánek, ce n’est pas tant l’antisémitisme qui les agitait contre un homme d’origine juive, souvent la cible d’articles haineux dans la presse, que le besoin impérieux d’étouffer une voix contestataire :

« Je pense que la raison est la suivante : dans une société totalitaire, le papier, les textes, sont souvent bien plus dangereux qu’une arme à feu. Václav Havel en parle dans son célèbre essai : Le pouvoir des sans-pouvoir. L’information libre et le contournement de la censure se sont avérés les plus efficaces contre le régime. Il n’y avait rien de personnel spécialement contre Pavel Tigrid. »

Les services de renseignement tchécoslovaques continueront à surveiller Pavel Tigrid de près jusqu’à la révolution de velours. D’autres opérations, plus mineures, sont lancées, et la rédaction de Témoignage est mise sur écoute grâce à une personne inflitrée en son sein. Le plus « comique », relève Radek Schovánek, c’est l’un des tous derniers documents du dossier Tigrid : un message codé qui annonce la venue de Pavel Tigrid le 25 décembre 1989, soit un peu plus d’un mois après la chute du régime :

« Ces quarante ans d’efforts, de moyens mis en œuvre, ces centaines de personnes employées, qui ont coûté tant d’argent s’achèvent avec le retour de Pavel Tigrid dans une Tchécoslovaquie libre... »