Haïti, un mois après : témoignage d’un médecin tchèque qui travaille pour MSF
Le chirurgien Jan Trachta, 32 ans, est le premier Tchèque retourné d’une mission de Médecins sans frontière en Haïti. Puisque la charte d’un médecin MSF est de soigner et aussi de témoigner, voici la suite du témoignage de Jan Trachta qui s’est envolé pour Haïti moins de 24 heures après le désastre.
Les débuts étaient sauvages, c’est ainsi que décrit Jan Trachta la situation à son arrivée à Carrefour, ville satellite au sud-ouest de Port-au-Prince. Les avions acheminant du matériel médical ne pouvaient pas atterrir dans la capitale, c’est pourquoi il a fait sa première intervention, une césarienne, en pleine rue, avec pour seul instrument stérile des gants. Deux jours plus tard, l’équipe de logisticiens tchèques a ouvert un hôpital d’une capacité de 70 lits dans la zone de Léogâne où la pénurie de soins médicaux était totale. Les blocs opératoires ont été aménagés en plein air car les patients ainsi que les membres du personnel de MSF avaient peur de rester dans des bâtiments en dur, en raison des répliques du séisme, raconte Jan Trachta :« Nous étions dehors, sous un auvent en tôle où quatre lits servant comme salles opératoires et de réveil étaient aménagées. Nous étions deux chirurgiens et trois anesthésistes qui endormaient des patients, toujours deux à la fois pour ne pas perdre le temps lors des interventions. De cette manière nous avons fait plus de vingt opérations chirurgicales par jour. A côté des blocs opératoires, nos collègues soignaient chaque jour plus d’une centaine de patients. » Jan Trachta se rappelle de nombreuses situations paradoxales vécues dans ce qu’il appelle le cirque humanitaire qui régnait en Haïti les premiers jours après le désastre. Une fois il a été appelé à l’hôpital de campagne d’un pays dont il ne veut pas révéler le nom pour aider à sauver la vie d’une femme après un accouchement compliqué. Une trop grande spécialisation a empêché ses collègues médecins de résoudre une situation standard. Ce cas n’était pas le seul où Jan Trachta a pu mettre à profit l’expérience de ses deux précédentes missions avec MSF au Congo. A la question de savoir s’il y a vécu un moment critique en Haïti, Jan Trachta répond qu’il en a eu plusieurs et le stress l’a accompagné pratiquement pendant toute la mission :« La première journée quand j’ai opéré à Carrefour, sur le trottoir devant l’ancien hôpital détruit, j’avais sur la table un enfant avec une jambe écrasée. Autour de moi, une foule de personnes, et d’un coup, j’ai senti qu’un couvercle au-dessous de moi commençait à vibrer. J’ai d’abord cru que les logisticiens avaient mis en marche un moteur, or les gens se sont mis à crier et à courir. J’ai compris qu’une nouvelle vague du séisme arrivait. Personne d’autre n’est resté là, juste nous trois - un chirurgien anglais, moi et une anéstésiste allemande, sans oublier notre petit patient. En trois secondes, tout l’emplacement devant le bâtiment s’est vidé. » A la question de savoir dans quelle mesure la mission en Haïti l’a marquée et s’il est possible de faire une comparaison avec ses missions précédentes au Congo, Jan Trachta répond :
« Des deux côtés, les souffrances sont énormes et dépassent l’entendement humain. Le drame vécu est inimaginable et on n’a parfois pas la force de l’accepter. La catastrophe en Haïti est probablement la plus importante au cours de la décennie écoulée : jusqu’à 300 000 blessés en 45 secondes, puis des jours et des semaines d’attentes de soins médicaux. Cette concentration de souffrances est sans précédent. »
Photos : Archives de Jan Trachta