Les Tchèques ont-ils perdu leur sens de l’humour ?
Ilios Yannakakis, politologue et universitaire français, connaît intimement la République tchèque pour y avoir vécu pendant de longues années et pour y donner aujourd’hui des cours à l’université. Avant les fêtes de Noël, il avait bien voulu dresser un bref bilan de la situation du pays au cours de l’année écoulée. Aujourd’hui, nous l’avons de nouveau invité pour l’interroger sur les évolutions à attendre.
« Je suis un être relativement optimiste, dans les évolutions. Ce pays a été traumatisé par ce qu’on appelle la normalisation qui l’a cassé. L’élan, cette promesse du Printemps de Prague, la normalisation de Husak l’a complètement vidé de son dynamisme. Donc je pense qu’en vingt ans depuis la chute du communisme, reconstruire une classe politique qui peut se dire qu’elle forme les représentants de la société, qui rentre dans le jeu démocratique, qui lutte pour le bien-être de la société, c’est trop tôt. Malheureusement, il faut attendre encore quelques années, qu’il y ait de nouvelles générations qui montent, qui entrent dans la politique, pour que ce pays devienne politiquement normal ».
Quels regards portez-vous sur les jeunes Tchèques ?
« J’ai un regard multiple. Et je pense que j’ai un regard faussé, parce que siégeant au conseil à l’université, je ne sais pas pourquoi je fais un parallèle entre le monde des étudiants en France et en République tchèque. Je vais faire quelques observations et quelques remarques. Je pense qu’il y a toujours une jeunesse prête à s’ouvrir, à s’intéresser au monde, à bouger, à voyager, à apprendre. Deuxièmement, c’est encore une jeunesse qui a des défauts et des qualités, c'est-à-dire qu’elle est encore un peu trop soumise à une certaine image de discipline, d’acceptation de situations, c’est une jeunesse qui n’est pas assez dynamique, qui ne se bat pas assez pour ses propres intérêts. C’est bien et c’est mal en même temps. C’est bien, parce qu’il n’y a pas le désordre comme dans les universités françaises. C’est mal, parce que c’est une jeunesse un peu molle, un peu égoïste, un peu renfermée sur elle-même, pas assez ouverte au monde. Mais je dis que c’est une jeunesse qui est à l’image de ce pays. »Les Tchèques ont-ils gardé leur sens de l’humour ?
« Je pense que non. Je suis vraiment de ce point de vue totalement triste. Souvent, je fais de l’humour avec les Tchèques, avant on rigolait, on riait, ils savaient répondre avec humour à l’humour, mais maintenant, ils ont l’air tellement sérieux, j’ai même ressenti une certaine tristesse chez les Tchèques, ce que je n’avais pas ressenti il y a quelques années. C’est comme s’ils sont fatigués de quelque chose. De quoi – je ne sais pas. Toute la société elle-même est fatiguée. C’est à l’image de la fatigue de toute la société tchèque. Une société à mon sens qui a perdu une certaine vitalité. Et ce qui m’a frappé, c’est une société qui se complaît dans la médiocrité, alors qu’elle ne se complaisait pas dans la médiocrité, surtout au niveau de ses élites ».