Emission spéciale 17 novembre

Louis-Eugène Faucher, photo: CTK
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Aujourd'hui, émission spéciale 17 novembre, à l'occasion de cette journée qui est jour férié en République tchèque puisque jour de la Fête de la lutte pour la liberté et la démocratie. Deux moments importants sont commémorés : 1939 et 1989, deux dates au cours desquelles les étudiants se sont opposés aux régimes dictatoriaux en place, deux dates qui symbolisent la résistance et la défense de la démocratie. Alors pour illustrer cette date toute symbolique, nous avons choisi de vous parler d'une figure oubliée, peu connue, de la résistance, celle d'un ami des Tchèques. Louis-Eugène Faucher (1874-1964) fut chef de la mission militaire française en Tchécoslovaquie pendant l'entre-deux-guerres. Et surtout, il s'éléva seul contre la signature des Accords de Munich par les puissances occidentales, qui scellaient l'annexion des Sudètes par l'Allemagne nazie.

Stromovka
Il y a quelques mois, j'ai rencontré son fils, Vaclav-Eugène Faucher : ancien professeur à l'Institut de langues germaniques de l'Université de Nancy, il a bien voulu évoquer le destin de son père et celui de sa famille, pris dans la tourmente du XXè siècle :

« Je suis né dans le quartier de Bubenec, et mes premiers souvenirs, c'est l'odeur des roses de la Stromovka. Ca, c'est le premier souvenir, un souvenir de printemps. Le deuxième souvenir, c'est celui d'une baignade forcée toujours dans la Stromovka : la première fois que j'ai vu des canards, dans la pièce d'eau, qui est asséchée aujourd'hui, j'ai voulu leur courir après. Je me suis élancé à leur poursuite, sans me rendre compte que l'élément aquatique ne supportait pas les pas d'un garçon aussi fermement que l'élément terrestre. Je me suis donc retrouvé dans l'eau, c'était en hiver et il gelait. Ma mère m'a repêché tant bien que mal, on est rentré au grand galop à la maison, qui heureusement, n'était pas très loin. Et j'ai gardé en mémoire le souvenir du bruit de mes pieds dans les chaussures mouillées, un bruit très caractéristique. Depuis, je suis bien souvent tombé à l'eau, mais chaque fois que je rentrais et que j'entendais le bruit de mes chaussures pleines d'eau, je pensais à ma première baignade dans la Stromovka. Ce qui me frappe, c'est que je n'ai aucun souvenir de couleurs de cette période, les couleurs, je ne les ai découvertes en France que quand nous sommes arrivés au printemps 1939. »

T.G. Masaryk avec Maurice Joseph Pellé  (à gauche) et Louis-Eugène Faucher  (second de droite) en 1919,  photo: CTK
Le 28 octobre 1918, la République tchécoslovaque est créée. Soutenue par les puissances occidentales, et notamment la France, la nouvelle petite république indépendante est donc à l'époque un des terrains où agit la politique étrangère française. La France y installe une mission militaire, chargée de former la nouvelle armée. Placée sous la direction du général Pellé, Louis-Eugène Faucher fait partie de l'équipe : contre toute attente et tous les us de l'armée, il restera pendant 20 ans en Tchécoslovaquie, prendra la direction de la mission, s'éprendra d'une jeune femme Tchèque, tout comme du pays dans lequel il perçoit intimement quelque chose que la France a perdu : une population unanime, fière d'être maîtresse de son destin. D'après son fils, il a vécu « un rêve éveillé » pendant vingt ans : la France arrive comme une sorte de « père Noël », avec dans sa hotte, l'indépendance, la construction d'une armée.



« Cette association est née en 1949, à partir du moment où il est apparu clairement que l'association France-Tchécoslovaquie créée en 1945 et dont mon père a pris la présidence après son retour de déportation, se ferait la couroie de transmission du pouvoir communiste installé en février 1948. Très loyalement, mon père et ses amis sont restés dans France-Tchécoslovaquie jusqu'à la fin de 1949. A la fin de cette année, ils ont fait le bilan et ont vu que bon nombre de militants de France-Tchécoslovaquie approuvait l'arrestation du général Pika, président de l'Alliance française en Tchécoslovaquie, qu'ils approuvaient l'étouffement de la présence culturelle française à Prague, et dans ces conditions mon père et ses amis ne voyaient aucune raison de rester à l'intérieur de France-Tchécoslovaquie qui était devenue clairement une courroie de transmission du PCF et du PCT. Ils ont donc créé leur propre association qui s'appelle l'Amitié Franco-Tchéco-Slovaque. Les premiers numéros sont sortis durant le premier trimestre 1950. Les buts de l'association étaient d'une part d'informer le public français de ce qui se faisait en Tchécoslovaquie. Et là la tâche était immense car des organes de presse comme Le Monde qui était à l'époque dirigé par Hubert Beuve-Méry, avait tendance à sous-estimer le caractère barbare de la pratique du nouveau pouvoir pour des raisons qui se rapprochent beaucoup de ce que Clémenceau appelait en 1917 et jusqu'en 1930, le « défaitisme ». Une phrase résume bien la position d'Hubert Beuve-Méry en 1945 : « l'heure slave a sonné au clocher de l'Europe ». Alors si l'heure slave a sonné au clocher de l'Europe et si l'on considère qu'il est fou de lutter tout seul contre l'univers, contre le sens de l'histoire, ce que certains appeleront « l'opportunisme » et ce qu'Hubert Beuve-Méry considérait comme de la sagesse, consistera à aller dans le sens requis par les représentants qualifiés des Slaves de l'Europe à l'époque. Donc, systématiquement, Le Monde atténuait tout ce qui dans les informations objectives en provenance d'Europe centrale et orientale pouvait choquer le public français. Donc une activité constante de mon père a consisté à écrire au Monde. »

Des réponses à des articles qui sont à l'époque difficilement publiées tant elles vont à l'encontre de l'aveuglement général qu'une grande partie de la société se fait de la situation derrière le rideau de fer.

Louis-Eugène Faucher,  photo: CTK
En 1997 est parue aux Etats-Unis la thèse d'un historien américain, Richard Francis Crane, intitulée Une conscience française à Prague : Louis-Eugène Faucher et l'abandon de la Tchécoslovaquie. Seul ouvrage à ce jour entièrement consacré au destin du général Faucher, son fils nous en dit un peu plus sur le travail :

« Il est intéressant de suivre le tracé de l'itinéraire par lequel Crane en est arrivé à fantasmer sur la figure de mon père. C'est par l'intermédiaire d'un roman d'une Anglaise, d'une lointaine origine allemande, Martha Gellhorn. Son roman est assez foisonnant, mais parmi les figures secondaires les plus marquantes, il y a celle d'un certain général, qui est une figure un peu féérique qui tranche complètement avec les autres figures, à tel point que la journaliste - car elle était journaliste à Prague en 1939 - dit : « Ce général, ces Français ont dû l'inventer ! » Elle était incrédule devant cette figure qu'elle considérait comme incompatible sans doute avec ce qu'elle savait des Français, avec ce qu'elle imaginait d'un officier, bref, une figure complètement invraisemblable et qui la fascinait. Et c'est en lisant ce roman de Martha Gellhorn que Crane s'est dit : voilà, ma carrière va commencer là, je vais étudier ce général dont personne ne parle. Certes il demandait à être décrypté.
Martha Gellhorn
Crane doit à Martha Gellhorn d'avoir trouvé l'accès à la figure de mon père et à avoir eu l'intuition que cette figure que personne ne connaissait, ni en France, ni aux Etats-Unis, ni en Tchécoslovaquie à l'époque, méritait une thèse de doctorat. Crane est allé encore plus loin. Les universités américaines ont parfois des préoccupations éthiques assez prononcées. On demande parfois aux universitaires américains, dans la mesure où la nature de leur enseignement s'y prête, de tirer de leurs recherches scientifiques des documents d'application éthique. L'université de Crane est de celles-là et elle a donc financé la publication d'un recueil consacré à l'éthique politique, dans quelle mesure les préceptes de l'éthique sont-ils transposables à la politique ? Crane a traité un des chapitres et a montré comment une éthique protestante peut déboucher sur des décisions et des attitudes politiques. »

Sudètes en 1938,  photo: Wikimedia Commons / PD
Les accords de Munich signés par la France et la Grande-Bretagne avec l'Allemagne de Hitler décident du sort de la Tchécoslovaquie. Fin septembre 1938, le général Faucher reçoit un blâme du général Gamelin, parce qu'il avait demandé à être relevé de ses fonctions de chef de la mission militaire française à Prague et surtout, qu'il s'était mis à la disposition du gouvernement tchécoslovaque.

« Mon père est resté jusqu'au 14 décembre 1938. Comme la France avait eu l'attitude que vous savez, le gouvernement tchécoslovaque n'a rien fait pour le saluer à son départ. Toutefois, à titre personnel, le général Syrovy et le général Krejci et un détachement d'honneur sont venus à la gare Wilson pour lui rendre les honneurs. Il y a eu là des discours assez remarquables et ce qui en ressort, c'est que les Tchécoslovaques étaient très reconnaissants à mon père de s'être épris de l'âme tchécoslovaque. Finalement, c'est de cela dont ils lui étaient le plus redevables. Je pense qu'il faut creuser la question de savoir pourquoi mon père s'est à ce point épris de l'âme tchécoslovaque. Ma réponse, je l'ai donnée tout à l'heure : il a trouvé la patrie dont il avait toujours rêvé. Lorsqu'il dit, pendant la cérémonie des adieux, que la Tchécoslovaquie est devenue sa seconde patrie, ce n'est pas le fond de sa pensée. Il ne pouvait pas dire, en tant que général français, portant l'uniforme, que la Tchécoslovaquie était devenue sa patrie, parce qu'il se serait rendu coupable de trahison. Imaginez un peu les réactions de la presse munichoise : on vous l'avait bien dit que Faucher n'était pas digne de confiance, c'est pas un Français ! La preuve, il a avoué lui-même que la Tchécoslovaquie était sa patrie ! Donc quand il dit : c'est ma seconde patrie, c'est une précaution de langage, il faut comprendre : c'est devenu ma patrie, c'est le pays dans lequel j'aurais toujours voulu vivre. »

La famille Faucher est revenue en France en 1939. Le général Faucher a été résistant sous l'occupation allemande. Arrêté vers la fin de la guerre, il a par miracle échappé à la déportation. A son retour de Tchécoslovaquie, avant la guerre, il a continué de diffuser le message humaniste de Masaryk, activité jusqu'à ce jour poursuivie par son fils.