Le "numéro français" de la revue A2

"Les plumes du coq gaulois" - c'est sous ce titre que s'est présenté le 10e numéro de la revue A 2, hebdomadaire qui comble une lacune béante dans la presse culturelle tchèque. Ce numéro, sorti le 7 décembre dernier, est consacré essentiellement à la culture française. On y trouve des articles sur le cinéma français, mais surtout des textes concernant Yves Bonnefoy, Henri Michaux et Jean-Paul Sartre.

Jan Machonin,  photo: www.ipetrov.cz
Jan Machonin, rédacteur en chef adjoint de la revue, explique la genèse de ce "numéro français":

"L'idée de composer un numéro français est survenue quand Milos Dolezal, un poète tchèque, nous a proposé de publier une interview avec le poète français Yves Bonnefoy. C'était le point de départ. C'est pourquoi, également, on a demandé à Vaclav Jamek, célèbre traducteur et théoricien de la littérature française, d'accompagner cette interview de traductions et de textes qui expliqueraient au lecteur de quel auteur il s'agit. Vaclav Jamek a élargi le thème en ajoutant un extrait d'un essai d'Yves Bonnefoy sur Henri Michaux. C'est pourquoi on a publié également les traductions d'Henri Michaux. C'est de cette façon-là que le numéro a été composé."

N'avez-vous pas envie de récidiver et de consacrer aussi un autre numéro à la culture française ?

"En tout cas, on a un projet qui nous permettrait de traiter la culture française régulièrement une fois tous les trois mois. C'est en coopérant avec l'Institut français de Prague qu'on voudrait réaliser ce projet."


Yves Bonnefoy
Le lecteur trouve dans la revue une interview avec Yves Bonnefoy, réalisée par Milos Dolezal et Petr Turek, ainsi qu'un essai consacré à ce poète français par Vaclav Jamek. La contribution de celui-ci est d'ailleurs essentielle pour toute cette édition de la revue :

"En fait j'ai fait une contribution à trois étages parce qu'au premier abord on m'a demandé de traduire un essai d'Yves Bonnefoy, or les essais d'Yves Bonnefoy sont longs et la revue n'a pas beaucoup d'espace, j'ai donc choisi un texte relativement bref que j'avais sous la main parce que je suis en train de faire un cours sur Henri Michaux à l'université, et c'était un texte que Bonnefoy a consacré à Michaux. J'ai enfin fait ma contribution en l'élargissant d'un côté et de l'autre : j'ai donné à la revue une traduction de quelques textes de Michaux tirés de son livre qui s'appelle "Ailleurs", " Voyage en Grande Garabagne" qui est la première partie d' "Ailleurs", un texte sur des voyages imaginaires, sur des moeurs et des coutumes de peuplades bizarres. Et à ce texte de Bonnefoy, qui fait écho à Michaux, j'ai ajouté une troisième contribution qui venait de moi. J'ai écrit un petit texte sur Bonnefoy, peut-être aussi long que celui de Bonnefoy sur Michaux. J'ai donc présenté aussi un petit texte sur la poésie et sur les essais de Bonnefoy."


Le centenaire de Jean-Paul Sartre est évoqué dans la revue par trois textes - une étude de Miroslav Petricek sur une espèce de symbiose qui existait entre Sartre philosophe et Sartre écrivain, une courte réflexion de Witold Gombrowicz sur les pièges de la philosophie de Sartre et, finalement, un texte de Jan Vladislav consacré aux contradictions entre la pensée du philosophe français et ses attitudes politiques et civiques. Le poète et traducteur, Jan Vladislav, jette un regard très critique sur celui qui a été probablement, dans l'après-guerre, le philosophe le plus célèbre du monde. Il s'explique :

"J'ai nommé Jean-Paul Sartre non en tant que personne, en tant qu'écrivain et philosophe, mais en tant qu'un citoyen qui parlait de certaines choses de la vie politique de son temps d'une manière équivoque. D'un côté, c'était un philosophe de la liberté, d'autre part il menait une activité politique qui était à mon avis assez douteuse. C'était surtout irresponsable parce que ce qu'il proclamait dans sa philosophie, il ne le faisait pas dans sa vie politique et dans son action. Il était philosophe et être philosophe cela veut dire aimer la vérité, mais parfois en connaissant la vérité, il l'a démentie, il l'a niée et l'a violée. C'était au moment de la guerre de Corée, s'était lors des procès de Prague, c'était au moment de son retour d'Union soviétique en 1954, quand il a écrit plusieurs textes sur la belle vie menée par les citoyens soviétiques. Il n'a même pas mentionné les camps de concentration et les millions de personnes qui souffraient et qu'on tuait dans les camps, tandis qu'il accusait les intellectuels français du XIXe siècle, les Goncourt, Flaubert etc., d'irresponsabilité parce qu'ils n'avaient pas protesté contre la mort des communards fusillés. C'était affreux, la mort des membres fusillés de la Commune de Paris, mais le nombre des fusillés, des torturés et des anéantis en Union soviétique, c'était des millions, ce n'était pas des centaines et des milliers comme à l'époque de la Commune de Paris. Et vous savez, c'est ce que je ne comprends pas. Je ne le reproche pas, mais je ne comprends pas."