« Le confinement a été plus strict en France qu’en Tchéquie »
L’écrivaine tchèque Magdalena Platzová vit depuis quelques années à Lyon avec son mari et ses enfants. Depuis deux semaines, ils peuvent sortir plus d’une heure, mais pas à plus de 100 km de leur appartement, comme le veut la règle encore en vigueur en France. Elle raconte et compare son expérience pendant cette période extraordinaire avec ce qui s’est passé dans son pays natal.
Bonjour Magdalena Platzová, comment allez-vous après ce confinement à Lyon ?
« Ça va, cela n’a pas été trop dur pour nous. On a été épargnés, on n’a pas été pas malade. C’était juste un peu long. Les deux dernières semaines ont vraiment pesé lourd. Je connais quelques personnes qui ont eu des problèmes psychiques à la fin du confinement. C’est devenu un peu difficile sur la fin, c’était long et puis il y avait trop d’insécurité pour les gens je pense. Pour nous cela allait, on était à la maison, on se promenait une heure chaque jour. »
Il faut rappeler que la première étape du déconfinement en France ne date que du 11 mai dernier, qu’avez-vous fait à cette date avec vos enfants, votre famille ?
« Rien de spécial. Maintenant, le déconfinement se passe mieux mais je dois dire qu’au début on était assez choqués parce que tout le monde était dehors d’un coup. C’était très chaotique, il y avait des gens avec des masques et d’autres sans. Je ne me suis pas sentie bien, on était très exposés tout d’un coup. On n'était pas trop dehors, il y avait beaucoup de jeunes qui buvaient de l’alcool. C’était très chaotique, on ne se sentait pas vraiment protégés. »
Êtes-vous sortis de la ville depuis ?
« Oui. Petit à petit, on s’adapte. On a même fait une sortie à la montagne car maintenant il est permis de se déplacer jusqu’à son 100 kilomètres de son domicile. On a pris le train puis le bus. On s’accommode petit à petit, la peur s’estompe. »
Vous l’avez évoqué - une heure de sortie par jour -, il faut préciser qu’en comparaison avec ce que l’on a connu ici, en République tchèque, le confinement en France était plus strict…
« Oui c’était strict. Pour chaque sortie, il fallait remplir une attestation, un formulaire. Les premières semaines c’était un papier à imprimer ou un papier à remplir à la main. Il fallait écrire l’heure de sortie, puis le motif. Il y en avait cinq ou six 'officiels' qui nous autorisaient à sortir : pour raison médicale, pour prendre soin de quelqu’un âgé, faire les courses de première nécessité pour manger. Puis il y avait faire de l’exercice physique individuel comme le jogging ou pour que les enfants jouent. »
Est-ce que la différence avec la Tchéquie vous a surprise ? Est-ce que cela a surpris votre famille en Tchéquie ou vos amis auxquels vous racontiez comment ça se passait en France ?
« Oui, il y avait le sentiment que c’était un petit peu trop strict en France. Mais au tout début ce n’était pas comme cela. Au moment de la première annonce du président français Emmanuel Macron, il fallait être prudent, ne pas sortir, respecter la distanciation… Et puis il y a eu un week-end où tout le monde était dehors, tout le monde a pique-niqué. Personne n’a pris cela au sérieux et lors d’une allocution suivante, le chef de l’Etat a annoncé des mesures beaucoup plus strictes en disant que sans des règles vraiment plus sévères ça ne marche pas, que les gens ne respectent pas les recommandations. »
Comment vous expliquez cela ? Il y a eu des tentatives d’interprétation ici et là…
« Je pense qu’il y a la différence de mentalité, entre une mentalité tchèque ‘austro-hongroise’ et la mentalité française qui s’en fiche un peu des recommandations…
Un manque de civisme selon vous ?
« Oui, je pense qu’il y a beaucoup de monde qui ont fait les choses exprès, ont agi contre ce qui était recommandé car ils n’en avaient rien à faire des autorités. Je pense que les Tchèques sont beaucoup plus disciplinés, on a pu le voir quand ils ont commencé à coudre des masques. Le gouvernement tchèque a eu l’audace d’annoncer le port du masque obligatoire sans en fournir, mais les Tchèques sont tellement dociles qu’ils ont fabriqué eux-mêmes leurs masques. Ici, avant de dire que le port du masque était recommandé, et non obligatoire, je crois que le gouvernement n’aurait jamais osé dire qu’il était obligatoire sans en fournir. Maintenant le port est recommandé et seulement obligatoire dans les transports publics. Dans les magasins, c’est juste recommandé. La ville nous a fourni, à chacun, des masques. Ce n’est pas suffisant mais au moins, ils ont fait l’effort de fournir ce qu’ils demandent. »
Vous parliez de la communication politique et des différentes déclarations du président français, Emmanuel Macron. Vous qui suivez les médias tchèques, avez-vous vu une différence d’approche car il y a eu des scandales similaires à Prague et Paris notamment autour de la pénurie des masques ? Avez-vous vu des différences dans la manière de communiquer des deux gouvernements ?
« Oui, c’était assez frappant. En France, à ma connaissance, personne n’a essayé de profiter politiquement de cette situation, de 'ramasser des points'. Le gouvernement français a été surpris, ils ont peut-être réagi un petit peu lentement au début mais on ne peut pas dire qu’ils ont profité, d’une quelconque manière, de la situation. En revanche, en Tchéquie, je pense que Babiš et son gouvernement ont essayé de profiter depuis le début pour s’enrichir - personnellement bien sûr - mais aussi pour obtenir tout le crédit, être perçus comme un gouvernement très efficace et impressionner la population. De ce qu’on m’a dit - car je ne regarde pas la télévision -, Babiš était très présent médiatiquement notamment sur les plateaux télévisés. Il se fait de la publicité tout le temps, ce qui est ridicule et pénible. En ce qui concerne Emmanuel Macron ou Edouard Philippe (Premier ministre, ndlr), on ne les a pas tellement vus. Macron s’est exprimé uniquement quand il y avait vraiment quelque chose de très important à annoncer. Tout le monde attendait, tout le monde écoutait. Bien sûr il y a des opinions différentes mais je crois qu’il n’y avait pas trop de critiques sur Emmanuel Macron mais plutôt les ministres, comme celui de la Santé (Olivier Véran, ndlr). J’ai regardé le discours d’Edouard Philippe, avant le 11 mai, quand il annoncé le plan d’ouverture. C’était très apolitique. »
Est-ce que vous attendez avec impatience l’ouverture complète des frontières pour pouvoir passer des vacances en Tchéquie ?
« Oui, mais c’est un peu compliqué. Je ne sais pas dans quelles conditions nous pouvons rentrer, s’il faut se placer en quarantaine ou faire des tests. Je ne sais pas non plus comment faire avec mes parents car j’ai un peu peur de les approcher. Je n’ai pas trop souffert de cette distance car même si j’avais été en Tchéquie, je n’aurais pas pu vraiment les voir. Je crois que j’aurais été plus frustrée d’être à Prague, enfermée, que d’être ici. »