Coronavirus : malgré la réouverture des frontières, Tchèques et Polonais restent séparés en Silésie
Avec le Portugal et la Suède, la voïvodie de Silésie, dans le sud de la Pologne, région frontalière avec la République tchèque et la Slovaquie, reste la seule zone rouge en Europe aux yeux du gouvernement tchèque, à savoir où le risque de contamination reste élevé et dont les personnes en arrivant sont tenues de présenter à la police un test au Covid-19 négatif lors du passage à la frontière. Le maintien de cette mesure de restriction déplaît considérablement plus particulièrement aux habitants des communes limitrophes de Cieszyn, côté polonais, et de Český Těšín, côté tchèque. Lundi soir, plusieurs centaines de personnes ont de nouveau manifesté pour réclamer la réouverture de la frontière.
Si, ailleurs, le confinement a pu resserrer les liens entre voisins et rapprocher les gens d’un même quartier qui jusqu’alors ne se connaissaient pas ou peu, à Český Těšín et à Cieszyn, on n’avait pas besoin de cela. Liées par une longue histoire commune, les deux petites villes jumelles ne sont séparées que par la rivière Olza. Et cela fait déjà plusieurs semaines que leurs habitants expriment leur ras-le-bol des mesures prises à Varsovie et à Prague pour enrayer la propagation du coronavirus qui les empêchent de rendre visite aux membres de leurs familles et à leurs amis vivant de l’autre côté de la frontière.
A leurs yeux, les deux communes forment en effet de facto une seule et même ville et la vie dans les régions frontalières est très différente de celle menée à l’intérieur des pays. Or, seuls les déplacements pour des raisons justifiées, notamment professionnelles, sont autorisés, et ce pour une durée toujours limitée.
Le désarroi des habitants est d’autant plus profond depuis les décisions prises en fin de semaine dernière par les gouvernements polonais puis tchèque de rouvrir leurs frontières. Depuis samedi pour la Pologne et lundi pour la République tchèque, il est ainsi de nouveau possible de voyager librement dans les deux pays. Sauf donc pour les habitants de la voïvodie de Silésie, voisine de la région de Moravie-Silésie dans l’est de la République tchèque.
Même s’il s’en amuse et en rit même, Andrzej Klar fait partie de ces mécontents. Restaurateur de livres anciens et d’œuvres graphiques, ce Polonais d’une cinquantaine d’années vit juste à côté du pont de l’Amitié (most Přátelství) qui permet de traverser la rivière et de passer d’un pays à l’autre. Cœliaque, il achète en temps normal son pain sans gluten à Český Těšín où, explique-t-il, celui-ci est bien meilleur marché qu’à Cieszyn. Côté tchèque, Andrzej Klar possède de nombreux amis, qui lui ont proposé de lui acheter et de lui ramener son pain. Sauf que la police tchèque, qui surveille le pont, continue d’empêcher le passage de tous ceux qui ne sont pas en possession d’un test Covid-19 négatif.
Du coup, comme beaucoup de ses concitoyens, dont certains ont même décompté les dernières secondes devant le pont, Andrzej Klar espérait bien lui aussi pouvoir reprendre ses bonnes habitudes samedi dernier. Leur déception a donc été grande quand la police tchèque, au bout du pont, leur a refusé l’entrée en République tchèque. Lundi soir, c’est au même endroit qu’environ 200 personnes se sont rassemblées, en silence, pour manifester leur incompréhension, comme le confirme Bogdan Kasperek, responsable de l’antenne locale de la Silésie de Cieszyn, une Eurorégion qui compte quelque 810 000 habitants. Bien que lui aussi polonais, son bureau se trouve du côté tchèque et il n’a donc pas pu s’y rendre depuis trois mois :
« Début mars encore, nous nous réunissions avec nos partenaires tchèques au moins deux à trois fois chaque semaine. Ne plus pouvoir se rencontrer est donc un grand problème. Tout le monde attendait avec impatience la réouverture des frontières, alors vous imaginez la déception… Nous ne savions pas que le gouvernement en avait décidé autrement. Pour moi, en tant que Silésien, c’est un sentiment très désagréable, je parlerais même d’une stigmatisation. »
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Ce maintien de la fermeture de la frontière s’explique par les foyers de contamination et une flambée des cas de coronavirus dans les mines de charbon en République tchèque – où les employés polonais sont nombreux - et plus encore en Pologne, où douze mines ont récemment été fermées pour trois semaines, mettant à l’arrêt des milliers de personnes. Bogdan Kasperek explique cependant qu’à la différence du gouvernement tchèque, le gouvernement polonais a lui imposé de tester l’ensemble des employés dans les mines.
En attendant que la situation sanitaire s’améliore, la rénovation de la rue principale qui relie Český Těšín à Cieszyn a été remise à plus tard. Les travaux devaient être financés par les deux municipalités que le coronavirus et la fermeture de la frontière continuent de diviser.