Faire un bébé en République tchèque, ou le tourisme florissant de la fertilité
Chaque année, de nombreux couples étrangers viennent en République tchèque pour suivre un traitement de fertilité, aussi appelé procréation médicalement assistée, la fameuse PMA. Bien que celle-ci soit interdite aux couples de femmes et aux femmes seules, comme en France jusqu’à récemment, plusieurs cliniques se spécialisent dans ce type d’assistance médicale pour répondre aux désirs de couples aux motivations diverses. Reportage.
A Prague, il existe treize cliniques de fertilité. Toutes possèdent un site internet disponible en plusieurs langues afin d’informer le maximum de clients potentiels. Le Prague Fertility Center est une de ces cliniques multilingues qui accueille de nombreux patients étrangers. Zuzana Švejcarová y est coordinatrice du programme de fécondation in vitro (FIV) :
« Je pense que nous pouvons avoir de 200 à 300 patients venant de France par an. Nous avons désormais aussi beaucoup de patients Tchèques en raison de la situation liée au Covid-19. Mais disons qu’avant ça nous avions 60% de patients étrangers et le reste de la République tchèque. »
Concernant plus particulièrement les couples français, Zuzana Švejcarová précise les raisons qui les poussent à se rendre en République tchèque pour leur PMA :
« En Europe, les deux plus grands pays à proposer la FIV sont la République tchèque et l’Espagne. Le prix et l’absence de files d’attente comme en France expliquent le choix de la République tchèque. »
L’attente dont parle Zuzana Švejcarová concerne le don d’ovocytes. En effet, en France, lorsqu’un couple hétérosexuel a besoin d’ovocytes car ceux de la future mère ne sont pas fonctionnels, il faut attendre de deux à trois ans pour obtenir un don de la part d’une autre femme. En République tchèque, cette attente n’est souvent que de quelques semaines. Une rapidité qui s’explique par l’intérêt qu’ont certaines femmes tchèques à faire don de leurs ovocytes :
« Ici, les donneuses reçoivent une forme de compensation pour le temps qu’elles passent à la clinique, leur absence au travail et d’autres désagréments de ce type. Souvent, ce sont des jeunes femmes, des étudiantes, des mères. Elles pensent faire quelque chose de bien, mais peut-être y a-t-il aussi des femmes qui font ça pour l’argent. »
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Le montant de cette indemnisation versée par ces cliniques privées pour un don d’ovocytes s’élève à 15 000 couronnes (environ 570 euros), soit à peine plus que le salaire minimum.
Un aspect financier qui attire bien évidemment aussi les étrangers. En République tchèque, la PMA coute moins cher qu’en Espagne notamment, pays pourtant connu pour être la pouponnière de l’Europe. En République tchèque, il faut compter 2 500 euros pour une fécondation in vitro sans don de sperme ou d’ovocytes, 3 800 euros avec un don d’ovocytes, et le remboursement est possible si le couple répond aux critères français de remboursement, à savoir que la future mère soit âgée de moins de 43 ans. Céline et Manuel sont un couple de Français venus en République tchèque il y a environ trois ans pour y effectuer une PMA. Ils sont aujourd’hui les heureux parents de jumelles et expliquent n’avoir pas choisi une clinique de Zlín, ville du sud-est de la République tchèque, uniquement pour un motif économique :
« L’autre avantage était la proximité. Nous habitons dans l’est de la France et la République tchèque est à peu près à 600 kilomètres de chez nous. C’est quand même plus proche que l’Espagne. »
Jusqu’à peu encore, les lois françaises sur la fertilité étaient plus strictes que les tchèques. Par exemple, l’âge des femmes autorisées à recourir à une PMA est longtemps resté limité à 43 ans, contre 50 ans en République tchèque. Par ailleurs, les cliniques tchèques transplantent généralement plus d’embryons que les françaises, augmentant ainsi le taux de réussite, même si cela peut aussi impliquer quelques surprises, notamment celle de faire coup double comme s’en amuse Céline :
« Nous avons fait deux voyages en République tchèque. Le premier a abouti à une grossesse biochimique, c’est-à-dire qu’il y a eu une accroche mais pas de grossesse. Nous y sommes donc retournés le mois suivant, puisque nous avions encore des embryons congelés. Au final, nous avons eu la surprise d’avoir deux petites poulettes sept mois plus tard, puisqu’elles sont nées prématurément. »
Si comme en France une donneuse d’ovocytes tchèque doit rester anonyme, certaines conditions diffèrent. Par exemple, la donneuse doit être tchèque, alors qu’elle peut être étrangère en France. Elle doit également justifier d’un diplôme au moins de fin d’études secondaires. Dans les deux pays, la correspondance de la couleur de la peau de la donneuse et de la receveuse est respectée, la majorité des parents souhaitant absolument que leur enfant leur ressemble.
Le résultat dans les deux pays, et particulièrement en République tchèque en raison du critère des études, est que les donneuses appartiennent rarement à une minorité et sont le plus souvent blanches. Une réalité que confirme Zuzana Švejcarová :
« En fait, nous n’avons pratiquement que des donneuses de type caucasien et européen. Nous n’avons pas de donneuses métisses, peu de donneuses asiatiques, et cela pose évidemment problème. »
Cette pénurie de donneuses issues de minorités dans un pays, la République tchèque donc, où la très grande majorité de la population est blanche de peau, allonge forcément l’attente pour les couples eux-mêmes issus d’une minorité. Un couple dans lequel les deux futurs parents sont noirs attendra plus longtemps qu’un couple blanc, et sans doute est-il alors préférable de tenter sa chance en Espagne ou dans un autre pays.
Céline et Manuel ne cachent d’ailleurs pas qu’ils se sont rendus en République tchèque aussi pour des raisons de ressemblance physique entre la donneuse et la receveuse :
Céline : « Je suis grande aux yeux clairs et physiquement je suis plus proche des Tchèques que des Espagnoles, notamment pour ce qui est de la couleur des yeux. Ce critère a aussi réduit notre temps d’attente pour un don d’ovocytes. »
Manuel : « Nous avons effectivement choisi la République tchèque pour la simple et bonne raison que d’un point de vue morphologique, ma femme a des traits un peu plus proches de l’Europe centrale que de l’Europe méridionale. Des grandes aux yeux clairs, il m’a semblé en voir quelques-unes en République tchèque. »
En République tchèque, les couples peuvent même aller jusqu’à demander des photos des donneuses pour choisir celle qui correspond le mieux à leurs critères de sélection, alors qu’en France c’est aux médecins qu’il appartient de recommander aux couples receveurs qui le demandent, mais sans être autorisé à montrer des photos des potentielles donneuse. Le fait que les couples se rendant en République tchèque puisse avoir accès à de nombreuses informations sur la donneuse pourrait compromettre l’anonymat de celle-ci et défavorise le choix de donneuses issues de minorités.
Par ailleurs, il convient de préciser que beaucoup de couples Français, avant de sauter le pas et de s’intéresser aux procédures de PMA à l’étranger, attendent souvent préalablement de nombreuses années en France. Ce n’est qu’après avoir épuisé toutes les ressources possibles en France, ou être eux-mêmes épuisés par la difficulté de l’entreprise, qu’ils se tournent vers l’étranger. C’est le cas de Céline :
« J’ai arrêté la pilule en 2002 a l’âge de 25 ans afin de pouvoir avoir un enfant avec mon ancien conjoint. S’en est suivi un parcours PMA dans ce que j’appelle aujourd’hui ‘mon ancienne vie’ qui n’a abouti à aucun résultat positif. J’ai ensuite rencontré mon mari actuel. Je suis d’abord tombée enceinte naturellement en 2011, mais notre fille était gravement malade et nous avons été contraints d’interrompre la grossesse. Puis j’ai fait à nouveau six inséminations et quatre FIV avant donc de me tourner vers le don d’ovocytes en République tchèque. »
Satisfaits de leur choix, Céline et Manuel sont toutefois bien conscients que le tourisme de la fertilité en République tchèque est avant tout une affaire de gros sous :
« Nous sommes passés du statut de patients en France à celui de clients en République tchèque. En France, c’est la sécurité sociale qui prend en charge la procédure. Les méthodes sont à peu de choses près les mêmes dans les deux pays, mais nous n’avons eu aucun souci en République tchèque puisque nous avons été vraiment choyés en tant que clients. Pour tout dire, c’était même une expérience très agréable, car tout le monde était aux petits soins avec nous. »
Preuve que ce marché du bébé est porteur en République tchèque, certaines cliniques tchèques de fertilité font partie d’un groupe fondé par le Premier ministre, le milliardaire Andrej Babiš qui a d’abord fait fortune dans l’industrie agroalimentaire. Ces cliniques accueillent beaucoup de clients venus des quatre coins de l’Europe, et même au-delà. Rien que dans la clinique de Zlín où Céline et Manuel ont enfin vu leur vœu le plus cher s’exaucer, plus de 5 000 enfants ont ainsi déjà été conçus grâce à la procréation médicalement assistée depuis l’an 2000. Qui oserait donc encore prétendre que les petits enfants naissent dans les choux ?