« Je suis fascinée par la continuité historique de la France »
Rencontre avec Klára Notaro, écrivaine, auteure de plusieurs recueils de nouvelles et de poèmes. Klára Notaro est issue d'une famille tchèque de francophiles historiques, conquis par la culture française depuis des générations, en lien avec le soutien de la France à la création de la Tchécoslovaquie indépendante il y a un peu plus d'un siècle. C'est notamment de ce lien avec la France, où elle a fondé une famille et de sa création littéraire qu'il est question dans cet entretien.
Klára Notaro, bonjour. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots à nos auditeurs ?
Je m'appelle Klára, j'ai dépassé la soixantaine, c'est incroyable. Et je vis avec mon temps, très heureuse de voir tous les changements. La vie est magnifique. Je suis contente de pouvoir suivre tout cela. »
Question d'usage ces temps-ci : comment allez-vous, comment avez- vous vécu cette période étrange liée à la pandémie de coronavirus ?
« Mon mari et moi avons passé tout le temps du confinement à la campagne en France-Comté. C'est un paysage magnifique, somptueux, nous ne sommes pas loin de la Saône. C'est apaisant, il y a beaucoup de bois alentour. Nous avons eu une chance incroyable. En plus, on n'a pas souffert de la maladie appelée en tchèque, la maladie du sous-marin, 'ponorka', c'est-à-dire quand on est dans un espace clos. Juste avant j'étais à Prague, lui était ailleurs : on s'est retrouvés en Franche-Comté et c'était la joie absolue. Évidemment, après un mois, on s'est rendu compte que c'est très difficile pour les courses, et pour la société entière. On ne peut pas ne pas regarder la télévision, lire les journaux, avoir peur pour ses proches et sa famille qui, heureusement, ont supporté très courageusement tout cela en ville. On était bien sûr un peu tristes à la fin, malgré la joie d'être dans la nature. J'ai beaucoup jardiné, beaucoup écrit. Mon mari a beaucoup travaillé physiquement. Mais on a trouvé au bout d'un certain temps qu'une société à deux, ce n'était pas cela non plus. Il faut être trois ! »
Vous parliez du fait que vous avez beaucoup écrit pendant la confinement. C'est une des raisons pour lesquelles nous nous rencontrons : vous avez publié des nouvelles et des poèmes. J'avais envie de dire que pour quelqu'un habitué à travailler en s'isolant pour créer, un confinement comme celui-ci a peut-être été plus similaire à votre quotidien, seule avec vous-même, devant une feuille de papier ou un ordinateur...
« Vous avez raison. Quand on essaye d'écrire ou qu'on écrit, on s'isole, on en a besoin. Mais il faut équilibrer cette solitude avec des rencontres avec des gens joyeux, il faut s'inspirer ailleurs, il faut chercher de l'énergie auprès des autres. C'est magnifique. Je n'avais plus tout cela, personne n'avait plus cela. En cela, c'était vraiment difficile. »
Rappelez-nous en quelques mots votre parcours... Comment êtes-vous passée des pays tchèques à la France ?
« Cela commence en 1918, je n'étais pas née. Il n'y aurait jamais eu de Tchécoslovaquie s'il n'y avait pas eu la France, et ma grand-mère était totalement amoureuse de la France, comme beaucoup de gens en Europe centrale. C'était le modèle de démocratie et de culture. Mon père est né en 1920. Il a eu droit à une éducation française. A Prague, il y avait une école maternelle française, un lycée français. Il a fait toutes ses études en français. »
Il y avait donc une vraie francophilie dans la famille...
« Plus que francophile, même. Existe-t-il seulement un autre mot ? C'était une divinité absolue : la France. Tout ce qui était français n'était pas critiquable. J'ai donc moi-même fait des études de français. »
Cette francophilie est restée, même après 1938 et les Accords de Munich ?
« Je crois que c'était une grande blessure pour tous, pour les francophones, les francophiles, les gens érudits, les gens simples. C'était une catastrophe, mais c'était aussi la continuation de la Première Guerre mondiale. »
Et donc, des études de français ?
« Oui, j'ai étudié le français et l'italien. J'étais ravie, c'était très intéressant. J'aime beaucoup les littératures française et italienne, j'aime cet univers, le latin aussi... C'était très intéressant. Nous avons étudié la linguistique : c'est fascinant tout ce que la langue peut dire, exprimer, tout ce qu'elle porte. Tout est dans la langue. »
Ce n'était pas difficile de faire du français dans la Tchécoslovaquie communiste plus encline à favoriser le russe ?
« Bien sûr. La censure existait à l'époque donc il n'y avait pas beaucoup de livres traduits, il n'y avait que peu de possibilités de voir des films contemporains. L'accès à l'Institut français était surveillé. Aujourd'hui, c'est inimaginable. »
Votre premier vrai contact avec la France, c'était quand ?
« Nous y sommes allés en 1967 avec mes parents et mon frère. Mon père était médecin, endocrinologue, et avait été invité à Marseille pour donner un cours. C'était merveilleux : je me souviens du parfum de la boulangerie à Paris. C'était divin ! C'était le printemps, les arbres étaient en fleurs, les gens étaient élégants, gentils, il y avait des bruits de voiture partout. Bref, c'était Paris ! »
Et puis, finalement vous avez bouclé la boucle. D'une famille francophile, vous avez fini par vous installer en France avec votre mari, français.
« Oui, j'ai rencontré un homme très gentil, très souriant, très optimiste. C'est mon mari. C'est sympathique de vivre en France, de pouvoir revenir en Tchéquie aussi. Les changements politiques ici ont fait qu'on peut voyager librement et respirer ! »
Vous avez publié un recueil de nouvelles appelé Svatba ve městě Chambéry, Un mariage à Chambéry. Pourquoi avoir opté pour le format de la nouvelle, plutôt que celui d'un roman au long cours ?
« Comme je suis un peu nomade maintenant, je n'ai pas souvent le temps de m'installer dans l'univers d'un roman. Vous avez une histoire, vous avez très envie de la raconter et vous la racontez assez rapidement dans une nouvelle. Pour un roman, il faut se concentrer, avoir un bureau, ce que je n'ai pas. La nouvelle, c'est donc plus facile, mais on peut aussi dire énormément de choses avec une nouvelle. Vous pouvez changer facilement d'univers, de personnages, de sujets. »
On met aussi un peu de soi dans une création qu'elle soit picturale ou qu'il s'agisse d'un roman ou d'une nouvelle. Dans ces nouvelles, y en a-t-il une qui vous est particulièrement chère ?
« J'ai un fond très écolo. Plus je vieillis et plus je vois comme la nature change. Elle change dans la mauvais sens, nous le voyons tous, tous les jours. J'ai une petite nouvelle qui parle de la dégradation des champs, des vignobles avec l'utilisation excessive de produits chimiques. Mais je m'aperçois avec beaucoup de plaisir que cela a beaucoup changé depuis que j'ai écrit cette nouvelle il y a quatre ans. Je suis très contente car je vois qu'on fait plus attention à l'usage de produits chimiques dans les gens, et notamment dans les vignes. Les consommateurs aussi achètent du vin bio beaucoup plus couramment. »
Dans plusieurs de ces nouvelles, vous ne peignez pas la France sous des traits idéalisés. Est-ce que cela n'a pas surpris certains de vos lecteurs tchèques, notamment ceux qui ont en tête une vision justement plus romantique et idéalisée de l'Hexagone ?
« Ils sont surpris bien sûr. La France n'est pas une carte postale. Ce n'est pas seulement le bon fromage, les magnifiques spectacles à Paris etc. Il y a parfois des situations difficiles aussi. Je pense que je le décris quand même avec bienveillance puisque j'aime la France. J'ai beaucoup de chances, je vois essentiellement des choses positives. »
Il est souvent coutume de demander aux personnes vivant entre deux pays de les comparer. Je vous demanderais plutôt ce que vous auriez envie de retenir dans la culture des deux pays qui vous est le plus proche ?
« En France, ce qui me fascine, c'est l'histoire, la continuité qui donne à ce pays une force et une beauté extraordinaires. Alors que côté tchèque, la continuité historique a été hachurée par différents événements. L'histoire n'a pas été si tendre avec les Tchèques. C'était un petit royaume autrefois. Il y a eu des guerres de religion. Et la vie ici a été, pendant longtemps, plus difficile. En France, quand un étranger vient, ce n'est pas autant une surprise qu'ici. Les Tchèques se sont beaucoup construits par rapport aux Allemands, aux étrangers. C'est un sujet important, pour de gros livres qui ont déjà été écrits d'ailleurs. Notre histoire est un vrai sujet en soi. »
Le deuxième pan de votre création littéraire, c'est la poésie. Qu'est-ce qui vous est le plus proche, entre la prose et la poésie ? Avez-vous besoin des deux ? Qu'est-ce qui vous pousse à écrire plutôt l'une que l'autre ?
« C'est le temps qui me pousse à écrire plutôt l'une que l'autre. Si le roman est long, la nouvelle demande moins de temps, et un poème en demande encore moins ! On peut y dire la même chose, sauf que dans un poème on ne prend qu'un épisode de la vie, des choses qui nous entourent. Ma poésie est juste épique. C'est du concret, des choses de la vie que je décris. J'aime peut-être autant les deux. Mais on a juste moins d'espace que quand on écrit en prose. »
L'écriture, c'est l'activité de toute une vie ?
« Non, pendant longtemps, j’écrivais seulement un journal intime. Un jour j'ai réalisé que ça faisait des textes littéraires, indépendants, qui pouvaient exister en dehors du flux du journal. J'aime beaucoup, oui, j'ai une grande liberté d'écrire. »