Hana, la femme par qui le malheur arrive
« Je cherche à rendre mes récits véridiques, viables et vivants. Dans tous ce que j'écris il y a un fond de vérité, » dit l'écrivaine Alena Mornštajnová (1963) considérée comme un grand espoir de la littérature tchèque. Son roman Hana a été proclamé en 2017 Livre de l'année.
Les victimes d'une épidémie
Le roman Hana s'ouvre par un événement tragique qui s'est réellement produit et que la romancière a tiré de l'oubli parce qu'il avait touché aussi sa propre famille :
« Quand j'inventais cette histoire, mon point de départ était une tragédie qui s'était produite à Valašské Meziříčí, ma ville natale : c'était une grande épidémie de fièvre typhoïde en 1954. A cette époque, des centaines de personnes ont contracté la maladie et certains en sont morts. Et ce qui était surprenant pour moi, c'était qu'au moment où j'ai commencé à écrire ce roman, cette tragédie était pratiquement oubliée. Je me suis donc mise à chercher des informations et des documents sur cet événement et j'ai inventé une histoire dans le contexte de cette tragédie, l'histoire d'une petite orpheline qui est adoptée par une tante très étrange. »
La tante et la nièce
L'épidémie éclate dans la ville suite à la pollution de l'eau d'un puits et ce sont les petits gâteaux d'une pâtisserie qui diffusent la maladie parmi les habitants. La petite Mira perd dans l'épidémie de typhoïde toute sa famille et se croit seule au monde. Ce n'est qu'après un certain temps que la petite fille découvre que sa tante Hana, qui a également contracté la maladie et passe pour morte, a finalement survécu dans un hôpital éloigné et revient à la vie après une longue et douloureuse convalescence.
Hana est une femme étrange. Elle ne sort que rarement, elle semble toujours mentalement absente, elle déteste qu'on la touche, ses cheveux sont complètement blancs et sa bouche édentée ne sourit jamais. Mira éprouve d'abord de la répulsion pour cette femme habillée toujours en noir mais elle finit par se faire à l'idée que cette tante est son unique possibilité, son unique espoir. La tante et la nièce commencent à vivre ensemble et la petite fille découvre progressivement le passé de Hana et les méandres de l'histoire tragique de sa famille juive. Alena Mornštajnová constate :
« Souvent, quand on parle de mon livre Hana, on le présente comme un roman sur l'holocauste mais je ne peux pas et je ne veux pas accepter une telle opinion parce qu'écrire sur l'holocauste n'était pas ma première intention. Au début ce thème ne devait même pas figurer dans mon livre. »
Trois générations d'une famille juive
Malgré cela, l'holocauste est finalement devenu un des grands thèmes du roman. Petit à petit, la romancière reconstruit devant le lecteur l'histoire de trois générations d'une famille représentée par trois personnages féminins - Elsa, Hana et Mira, la mère, la fille et la petite-fille. L'histoire commence dans l'entre-deux-guerres et nous suivons les relations compliquées entre les membres de la famille et leur entourage, leurs amours, leurs croyances, leurs espoirs et leurs déceptions, leurs malheurs, leurs trahisons et leurs fautes commises dans les moments décisifs de leur vie. Hana est de ces êtres malheureux qui apportent le malheur à eux-mêmes et à leurs proches. Presque toutes les décisions qu'elle prend dans les moments cruciaux de sa vie, tournent au désastre. Et pourtant Alena Mornštajnová refuse de la considérer comme un personnage négatif et prend sa défense :
« Elle croit que tous les malheurs qui lui arrivent sont de sa faute. Mais ce n'était pas de sa faute, elle n'a fait rien de mal, elle a vécu, c'est tout. Elle ne pouvait pas prévoir la façon dont ses décisions changeraient son destin. Elle veut se battre pour son amour, il n'y pas de mal, elle veut vivre sa vie un peu à sa façon, il n'y a pas de mal non plus. Alors, ce qu'elle prend pour sa faute, ce qu'elle se reproche n'a jamais été fait avec une mauvaise intention. »
Les espoirs avortés
Sans trop en dire et pour permettre au lecteur de découvrir lui-même la suite de ce roman, nous pouvons révéler peut-être au moins qu'au début, la vie de Hana est pleine de promesses. Adolescente, elle est belle, elle croit au bonheur, à l'amour et à la fidélité, elle ne se rend même pas compte qu'elle est juive. Mais ses espoirs fragiles sont balayés par les secousses de la grande histoire, la guerre et la haine raciale. Sa vie se transforme en une suite de déceptions cruelles dont elle se croit responsable et ce sentiment de culpabilité est peut-être le plus grand des malheurs qui se sont abattus sur sa tête.
Traduire en mots les images intérieures
Quand j'écris, je vois des images, je traduis en mots les images que je vois.
L'histoire de Hana et de sa famille est racontée par Alena Mornštajnová avec une fine introspection psychologique et un indéniable talent évocateur. L'écriture est pour elle une façon d'exprimer par les mots ce qu'elle voit par son regard intérieur :
« Quand j'écris, je vois des images, je traduis en mots les images que je vois. C'est probablement pour cette raison que j'écris si lentement. J'en ai parlé avec le réalisateur Milan Cízler qui prépare un film basé sur mon roman Hana et il m'a dit qu'il était facile pour lui d'écrire le scénario du film parce que, en lisant le livre, il voyait ces images. »
Et Alena Mornštajnová se demande si elle n'a pas raté sa véritable vocation et si elle n'aurait pas dû plutôt devenir scénariste de cinéma.
Des questions sans réponses
Il y un proverbe qui dit: 'Ne juge pas ton prochain avant de te trouver à sa place.'
Le roman Hana et notamment l'histoire de la vie de sa triste héroïne font surgir de nombreuses questions. Dans quelle mesure sommes-nous responsables des vicissitudes de nos vies ? Pourquoi souvent un seul être doit expier les fautes des autres ? Si Dieu, qui est la Justice suprême, existe, comment peut-il tolérer une telle injustice ? Et avons-nous le droit de juger les autres ? Ce sont des questions difficiles à répondre et qui restent aussi sans réponse dans le roman Hana. Alena Mornštajnová est loin de se poser en arbitre des actes des personnages de son livre :
« Je m'efforce de ne pas juger mes personnages. Nous ne savons jamais ce qui a formé un homme, pourquoi il est tel qu'il est, pourquoi il dit ce qu'il dit, quelles sont ses expériences. Il y un proverbe qui dit: 'Ne juge pas ton prochain avant de te trouver à sa place.' »