Cycle Helena Třeštíková au Centre Pompidou : « Un projet de vie global »
Le Centre Pompidou à Paris propose depuis mercredi et jusqu’au 12 février la première grande rétrospective française de l’œuvre de la documentariste tchèque Helena Třeštíková. Un programme en ligne, en raison des mesures sanitaires, qui a été préparé en coopération avec le Centre tchèque de Paris, et qui met à l’honneur cette cinéaste peu connue en France, mais dont les films au long cours gagnent à être connus dans l’Hexagone. Elle y est présentée aux côtés de la réalisatrice française Marie Dumora. Pour parler de l’événement, Radio Prague Int. a interrogé Julien Farenc, responsable de la programmation :
« C’est une sorte de continuité. Son film, Cosmos privé, avait été présenté au Centre Pompidou, dans le cadre du Mois du film documentaire, en 2012 pour ouvrir une programmation qui s’appelait Que sont-ils devenus ? Il était déjà question d’accompagner, de filmer, de tourner avec des gens sur une longue période. Puisqu’on avait présenté un film d’Helena Třeštíková, on voulait voir s’il n’y avait pas un moyen de présenter un cycle entier. »
L’idée de l’associer à Marie Dumora, cela faisait sens par rapport à la façon de faire des deux réalisatrices ?
« La chose la plus saillante qui les rapproche, c’est justement ce compagnonnage, cette forme de fidélité que les deux cinéastes entretiennent avec les gens qu’elles filment. C’est un point commun assez évident. De plus, nous partons du principe qu’Helena Třeštíková n’est pas très connue en France, même si certains de ses films ont été diffusés épisodiquement, l’idée était de présenter un corpus qui fasse sens. Les mettre côte à côte, c’était essayer, dans l’œil et l’esprit du spectateur, de le faire travailler sur des rapprochements. Quand on met en regard une œuvre avec une autre, c’est essayer de susciter une forme de compagnonnage et des liens entre les deux. »
Qu’est- ce qui vous a séduit au Centre Pompidou dans l’œuvre d’Helena Třeštíková ?
« Je connaissais Cosmos privé et en découvrant ses autres films, Katka, René, etc., ça m’a paru très intéressant de les mettre ensemble. Ce qu’elle arrive à développer de manière intéressante avec un pacte qui du point de vue déontologique est exemplaire, c’est cette relation très forte entre filmeur et filmé. Elle explique elle-même très bien qu’elle pose dès le départ ce pacte, des principes dans la relation qu’elle va entretenir, même si elle ne sait pas fondamentalement ce qu’elle va devenir, si les gens ne vont pas s’enfuir, abandonner le projet. Ce qui prouve qu’elle pose bien les choses et qu’elle a vraiment ce talent relationnel, c’est que personne ne l’a jamais lâchée pour l’instant. »
C’est plutôt rare les documentaristes qui filment des gens pendant aussi longtemps, sur plus de vingt ou trente ans, n’est-ce pas ?
LIRE & ECOUTER
« Ça existe quand même. Il y a quelques projets. Il y a eu un projet plus long que les plus longs des projets d’Helena Třeštíková : c’est The Up Series en Grande Bretagne, qui a commencé en 1964 et dont le dernier épisode date de 2019. C’est un projet plus sociologique où dix écoliers ont été choisis un peu partout dans le pays et qui sont suivis tous les sept ans. Il y aussi eu un projet en Allemagne de l’Est, Die Kindern von Golzow, qui est dû à un couple de documentaristes qui s’est intéressé à un lieu très précis, cette petite ville à l’actuelle frontière de la Pologne. En France, il y a une expérience plus réduite réalisée dans les années 1980, avec Que deviendront-ils ? de Michel Fresnel. Ils ont filmé des collégiens en les suivant tous les ans pendant dix ans. »
Comment caractériseriez-vous le cinéma et la signature d’Helena Třeštíková ?
« Au-delà de ces projets précis, le cinéma documentaire fourmille de projets où on revient voir les gens dix ou vingt ans après. Après, des projets comme les mène Helena Třeštíková, non ! Elle est en fait la plus continue dans sa démarche. Si elle pouvait les filmer tout le temps, elle les filmerait tout le temps… Vu de loin, on a l’impression qu’elle a un grand tableau dans lequel elle suit énormément de vies. Son désir serait de filmer toute leur vie. Mais elle n’intervient qu’à certains moments : soit elle revient les voir, soit elle répond aussi à des sollicitations de leur part. Elle ne revient pas les voir à échéance fixe comme c’est le cas pour The Up Series. Elle ne tisse pas le même lien et voit beaucoup les gens en-dehors des tournages. Elle prend vraiment le temps, c’est une sorte de projet de vie global. »
« Puis, le deuxième aspect, c’est la façon linéaire dont elle ordonne ces fragments de vie pour donner la forme à un récit. Elle respecte strictement la chronologie. Elle nous a expliqué qu’elle avait essayé d’être moins linéaire mais qu’elle y est toujours revenue parce qu’elle pense que c’est ce qui reflète avec le plus d’authenticité, de véracité et d’honnêteté la vie des gens qu’elle filme. Elle est très attentive, dans ce découpage, à fixer des dates et des lieux quand c’est nécessaire. »
« Une autre chose qui fait que c’est un cinéma d’auteur, c’est qu’il n’y a pas de commentaire. C’est un refus net de sa part, sauf pour son tout premier film qu’on a programmé avec Cosmos privé car c’est une préfiguration. Ce commentaire est présent, mais il est surplombant et n’est pas celui de la réalisatrice. »
Le cycle a commencé mercredi, il s’achèvera le 12 février. Il est en ligne, donc c’est peut-être un peu dur d’avoir des retours, mais en avez-vous eu quand même quelques-uns ?
« On a eu un bon retour de spectateurs après la diffusion de mercredi soir. On a eu un petit papier dans Le Canard enchaîné et qu’on aura un article dans Les Cahiers du cinéma, mais plutôt en février. »