La juge constitutionnelle tchèque Kateřina Šimáčková élue à la CEDH
La juge constitutionnelle Kateřina Šimáčková a été élue la Cour européenne des droits de l'Homme, pour remplacer l'actuel juge tchèque Aleš Pejchal dont le mandat arrive son terme en novembre 2021. La magistrate tchèque a obtenu 204 des 222 votes valides exprimés, et a donc été élue à la majorité absolue par les membres de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE).
C’est une nouvelle étape dans la carrière de la juriste tchèque Kateřina Šimáčková qui s’ouvrira le 1er novembre prochain pour une durée de neuf ans. Agée de 54 ans, celle-ci peut se targuer d’un parcours sans faute : d’abord avocate en début de carrière, elle est plus tard devenue juge à la Cour constitutionnelle, la plus haute instance juridique de République tchèque. Un poste qu’elle a été une des deux femmes à occuper sur un collège complet de quinze magistrats. Ce parcours et son intérêt professionnel pour les questions liées aux droits humains l’ont notamment sensibilisée au manque de parité dans la justice tchèque.
Désormais donc, elle exercera ses compétences à la CEDH à Strasbourg, une institution composée de 47 juges, un par État membre du Conseil de l'Europe, et qui traite des plaintes des Etats, des ONG ou des groupes d'individus concernant des violations de la Convention européenne des droits de l'homme.
En février 2020, Radio Prague Int. était allé à la rencontre de Kateřina Šimáčková à Brno, siège de la Cour constitutionnelle de la République tchèque, pour évoquer son parcours et notamment la question de la représentation des femmes dans la monde de la justice.
« Etre juriste n’était ni le choix de mon cœur, ni une tradition familiale. Je voulais étudier la sociologie ou la théorie de la littérature, car ces deux disciplines m’attiraient. Ma mère m’a conseillé d’exercer un vrai métier qui soit utile pour les gens et aussi pour la société. Ma mère était médecin, psychiatre. Et ses patients rencontraient souvent des problèmes juridiques, alors j’ai commencé à étudier le droit. »
Avant de devenir juge, au Tribunal administratif suprême puis à la Cour constitutionnelle, vous avez été avocate. Qu’est-ce que cette première partie de votre carrière a apporté à votre travail actuel de juge ?
« Ce type de carrière est plus anglo-saxon que tchèque ou français, mais la possibilité d’avoir ces deux expériences est, à mon avis idéal, pour exercer la profession de magistrat. L’expérience du métier d’avocat vous permet de bien repérer les erreurs dans le fonctionnement de la justice, de voir comment les gens souffrent en attendant longtemps une décision de justice et de savoir aussi à quel point on peut être en colère si on n’y trouve pas de réponses suffisantes. Je pense donc que cela m’a beaucoup aidée. »
Vous êtes une des deux seules femmes juges à la Cour constitutionnelle. Le monde de la justice tchèque est-il un club masculin très fermé ? En tout cas au niveau de la hiérarchie supérieure, on pourrait le penser puisqu’à la Cour constitutionnelle on compte seulement deux femmes sur un collègue d’une quinzaine de juges…
« C’est un peu plus compliqué à expliquer mais simple à comprendre. En République tchèque, il y a plus de femmes que d’hommes dans la justice – je pense que c’est la même chose en France. Nous avons 61 % de femmes juges dans la justice en général, mais dans les hautes juridictions, la situation est complétement différente. A la Cour suprême, il y a seulement 22 % de femmes. En 2003, quand la Cour administrative suprême a été créée, la proportion hommes/femmes était équilibrée. Aujourd’hui, on n’y trouve que 28 % de femmes, donc c’est pire que quand cette cour a été créée. Les présidents de toutes les juridictions supérieures sont actuellement des hommes, c’est seulement au niveau des tribunaux de district qu’on trouve quelques femmes au poste de président. Les chambres d’avocats, de notaires et d’huissiers de justice sont présidées par des hommes. Ainsi, dans la justice tchèque, des femmes décident en première et deuxième instance, mais les hautes juridictions sont réservées surtout aux hommes. »
Au cours de votre carrière, avez-vous dû faire face à des obstacles, parce que vous êtes une femme ?
« Merci pour cette question. C’est exactement la même question qu’un journaliste m’avait posée il y a quelques années et qui m’a amenée à réfléchir sur nos règles juridiques et sociales dans la perspective du genre. Je n’ai pas été discriminée en tant que femme mais j’ai été obligée de jouer selon les règles créées surtout par les hommes et pour les hommes. Quand vous êtes prête à respecter le système créé par les hommes, surtout par les hommes traditionnels, et par les hommes du passé puisque les règles ont été créées autrefois, alors vous n’avez pas de problèmes. Mais les règles sont masculines. »
Cela répond un peu à ma question suivante. Je voulais vous demander si vous aviez eu l’impression de devoir, parfois, vous « comporter en homme » afin de faire entendre votre voix ? C’est un peu le cas en somme…
« Oui, c’est aussi une question que je me pose moi-même. Et c’est peut-être vrai quelque part. Si je pouvais changer quelque chose dans mon passé, je serais moins agressive et j’agirais de manière plus consensuelle. Personne ne peut gagner en utilisant des instruments qui ne sont pas les siens. »
Un juge est censé être neutre et impartial : mais chaque personne a une histoire personnelle et peut-être une approche différente selon son sexe. Les juges ne sont pas des robots. Dans quelle mesure, selon vous, le fait d’être une femme juge peut avoir une incidence sur une décision de justice, par rapport à celle d’un juge homme ?
« Dans notre société, en général, les femmes et les hommes ont toujours des expériences de vie très différentes. Il y a par exemple l’expérience de soigner, de s’occuper de quelqu’un. C’est une expérience plutôt féminine, car ce sont surtout les femmes qui s’occupent des enfants, des personnes handicapées, des seniors. Les juridictions, surtout les cours suprêmes ou les hautes juridictions, doivent avoir une composition multicolore – en raison de l’expérience personnelle différente des individus, mais aussi pour des raisons symboliques. »
Une juge femme aura peut-être plus fait l’expérience de la discrimination en raison de son sexe et aura sans doute une autre vision dans le traitement d’une affaire de discrimination ?
« C’est possible. Mais quelque part, on voit aussi des femmes nient cette expérience parce qu’elles ont été obligées d’être fortes pendant leur carrière. Elles ne veulent pas parler des problèmes qu’elles ont eu à surmonter, elles ne veulent pas raconter des expériences de ce type. Il y a différentes approches féminines sur la question. »