En Ukraine, une équipe de télévision tchèque prise pour cible début mars
Dans l’Ukraine en guerre, trois journalistes sont morts depuis le début du conflit, et plusieurs ont été enlevés par les forces armées russes. D’autres encore sont pris pour cible alors que le droit international exige des forces armées qu’elles les protègent. Déjà dans l’est de l’Ukraine avant le déclenchement de la guerre, la reporter de la chaîne de télévision CNN Prima News Darja Stomatová et son caméraman Jan Schürger ont fait l’objet de tirs de kalachnikov il y a quelques semaines. Si la chaîne privée a parfois été critiquée pour son traitement de l’info, le travail et le courage des deux journalistes pendant trois semaines ont été unanimement salués par leurs confrères. Au micro de RPI, Darja Stomatová est revenue sur l’incident survenu début mars, alors même qu’elle se prépare à repartir bientôt sur le terrain :
« Cela s’est produit le 4 mars. Nous avions passé la nuit dans la ville de Sokolov, au sud de Kharkiv. Le lendemain, nous avons appris qu’il y avait eu des bombardements à Yakovlivka, un petit village à 12-15 km de Sokolov. Nous avons décidé d’y aller. La route n’était pas surveillée, il n’y avait pas de check-points, c’était plutôt une route forestière pleine de trous. Nous sommes arrivés à Yakovlivka, nous avons tourné sur place. Puis nous avons fait demi-tour, et nous avons emprunté la même route. La sécurité est importante : nous savions que cette route était libre à l’aller, donc nous n’avons pas osé rentrer par une autre direction. A un moment donné, il y a eu un croisement : il était possible d’aller à gauche ou à droite, nous avons tourné à droite. Et soudain, là en lisière de forêt, il y avait des soldats et un véhicule militaire recouvert d’une bâche. A côté, il y avait quelque chose de plus petit, mais je n’ai pas pu déterminer de quoi il s’agissait. Nous avons été surpris par les couleurs du véhicule qui n’étaient pas celles que nous avons l’habitude de voir sur les convois ukrainiens. Elles étaient beige-gris-vert. Plutôt de la couleur du sable. Quand nous avons tourné au croisement, mon collègue Honza (Jan Schürger, le caméraman, ndlr) s’est arrêté car il y avait quatre soldats, deux étaient debout devant le véhicule et deux autres se sont cachés derrière le véhicule et ont pris des positions offensives. »
Comment avez-vous réagi ?
« Honza s’est arrêté et a mis les feux de détresse. Mais malgré cela, nous avons entendu des coups de feu et nous avons compris qu’ils nous tiraient dessus. Honza a dit : ‘protège-toi’, ce que j’ai fait. Il a commencé à faire marche arrière. Le véhicule devait être à quelque 100 mètres de nous. Ils ne pouvaient pas voir qui était dans la voiture, mais celle-ci était recouverte avec de bandes magnétiques où il est indiqué ‘CNN Prima News’ et ‘TV’. Honza a donc reculé et ils ont tiré des coups de feu jusqu’à ce qu’on ne soit plus visibles.
A distance, nous avons pu déterminer qu’il ne s’agissait pas d’armes de tir spécialisées, mais probablement des kalachnikovs. Nous sommes retournés à Yakovlivka. Là, j’ai tout de suite contacté le SBU, les services de sécurité ukrainiens situés à Kharkiv. Ils ont réussi à nous dire comment poursuivre notre route et par où, si les autres routes étaient libres d’accès. C’était un peu le chaos, mais ils nous ont dit comment faire et les locaux nous ont confirmé quelle route emprunter. »
Avez-vous pu identifier ceux qui ont tiré ? Pensez-vous qu’il s’agissait de soldats russes ?
« Quand nous avons appelé le SBU, ils nous ont dit d’après des informations internes qu’apparemment environ 170 unités russes étaient arrivées dans le sud de Kharkiv, qu’ils avaient réussi à bloquer une majorité d’entre elles, mais qu’environ quatre unités seraient en train de rôder dans la région où nous avions été. Il faut savoir que c’est une région un peu différente du reste de l’Ukraine, il y a des collines et des forêts, ce qu’on appelle la Forêt noire, où il est possible de se cacher. Donc ils nous ont de facto dit que c’était tout à fait possible. Mais rien n’a jamais été confirmé à 100 %. »
Y a-t-il des traces d'impacts de balles sur la voiture ?
« Non, heureusement. Mais ils ont tiré clairement sur nous. La voiture est assez grande et la question est de savoir : est-ce qu’ils auraient pu nous toucher à cette distance ? J’ai du mal à savoir. »
Combien de temps les tirs ont-ils duré ?
« J’ai une vidéo qui dure 20 secondes. Je l’ai lancée quand nous repartions sur la route principale en direction de Yakovlivka. Je pense dans l’ensemble 1 min, ou 40 secondes en tout. Dans nos reportages, nous avons toujours fait attention aux distances avec le front. Nous avons toujours demandé aux locaux quelle était la situation, nous avons respecté les protocoles de sécurité. Je pense que l’incident que nous avons vécu était surtout le fruit du hasard. Les soldats avaient l’air plus effrayés qu’autre chose. Je pense qu’ils ne savaient pas qui nous étions. Quelque chose a dû leur faire peur, qu’il se soit agi de Russes ou d’Ukrainiens. La situation est souvent floue. »
Comment vous sentez-vous aujourd’hui et avec le recul par rapport à ce que vous avez vécu ? Allez-vous retourner sur place ?
« Bien sûr, je prends la mesure de ce que j’ai vécu et de ce que j’ai vu sur place. Mais je dois dire que j’ai beaucoup de travail depuis mon retour, donc je n’ai pas trop le temps de réfléchir à tout ça non plus. D’ailleurs c’est pour ça que nous sommes revenus entre temps. Pour certains journalistes, cela devient dur de rester et de travailler au bout de quatre ou cinq semaines. On perd son recul justement, donc nous avons préféré rentrer. Même si depuis, nous n’arrêtons pas d’en parler, nous avons donné des interviews. C’est important, parce qu’il ne faut pas que tout cela s’oublie, que cela devienne une normalité. Actuellement, nous sommes en train de nous préparer, nous voulons retourner en Ukraine bientôt. »