En Tchéquie, une campagne pour redéfinir le viol et mieux protéger les victimes
Une campagne intitulée Chce to souhlas (Il faut un consentement) s’efforce depuis plus d’un an de redéfinir ce qu’est le viol dans la législation tchèque. Une discussion sur un éventuel changement a eu lieu mardi à la chambre basse du Parlement, de nombreux experts venant expliquer pourquoi, à leurs yeux, la définition actuelle ne protégeait pas efficacement les femmes contre les violences sexuelles.
Selon différentes études, environ 12 000 viols sont commis chaque année en République tchèque. Cependant, la police ne traite que 600 cas signalés par an, soit seulement 5% en tout. Pour mieux prendre conscience de la réalité de ce constat accablant, il faut imaginer que tous les jours 34 personnes, en majorité des femmes, sont victimes de viol en République tchèque, mais seuls un ou deux cas arrivent jusque dans les mains de la police. D’après l’association Konsent, une femme sur dix et un homme sur trente sont victimes de viol en République tchèque.
Dans la foulée du mouvement #MeToo qui a difficilement pris racine en Tchéquie, de nombreuses personnes, des femmes notamment, ont décidé d’appeler à une redéfinition du cadre juridique du viol. Selon le système juridique actuellement en vigueur dans le pays, les rapports sexuels non consensuels ne sont considérés comme un crime que s’il est prouvé qu’ils ont eu lieu sous la menace ou par l’usage de la violence. Selon les experts, une telle définition du viol décourage de nombreuses victimes de se tourner vers la justice.
Veronika Ježková, de l’association à but non lucratif proFem, est l’une des personnes qui demandent une redéfinition du viol, estimant que l’actuel cadre juridique ne protège pas suffisamment les victimes :
« Tout d’abord, le Code pénal tchèque ne prend pas en compte les cas où la victime se trouve dans cette situation définie comme le ‘frozen fright’, la peur qui fige, qui est un moment où elle est incapable d’exprimer adéquatement sa volonté ou de se défendre contre l’agresseur. De même, le Code pénal ne prend pas non plus en compte les pratiques sexuelles sans le consentement de la victime en l’absence de violence, de menace de violence ou de menace d’autres préjudices graves. »
Treize pays européens dont l’Allemagne voisine, le Danemark ou la Suède, disposent déjà d’une définition juridique du viol fondée sur le consentement, et la campagne tchèque Chce to souhlas cherche depuis un an à faire en sorte que la République tchèque ne soit pas à la traîne en matière de protection des victimes.
Cette question de consentement et de redéfinition du viol a redoublé d’actualité après les accusations de violence sexuelle portées l’an dernier contre l’ancien député du parti conservateur TOP 09, Dominik Feri, ou la récente inculpation de Jan Cimický, un psychiatre très médiatique poursuivi dans une trentaine de cas de viol et de chantage.
Selon Veronika Ježková, le gouvernement de coalition actuel ne serait pas hostile à un tel changement, mais elle souligne également qu’il ne se fera pas du jour au lendemain, car il nécessite une discussion approfondie de la part de la communauté professionnelle :
« Une discussion avec des représentants du pouvoir judiciaire, des facultés de droit et d’autres experts doit avoir lieu pour s’assurer que la redéfinition n’est pas mise en œuvre à la hâte et faite au détriment des victimes. C’est un pas énorme, c’est un changement énorme, et je ne pense pas qu’il faille faire cela dans la précipitation. »
Les associations de défense des victimes de violences sexuelles estiment toutefois que tout changement législatif doit également être accompagné par de profonds changements sociétaux, alors qu’une grande partie de la société tchèque croit encore que la victime est en partie responsable du viol subi :
« Il est également important de sensibiliser le public au problème du consentement et des violences sexuelles, non seulement les étudiants en droit, mais aussi les étudiants et les élèves des écoles primaires, afin que la confiance dans les questions sexuelles soit ancrée en eux dès le plus jeune âge. »
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Les représentants des organisations de défense des droits de l’Homme rappellent également que si la République tchèque est signataire de la Convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, elle ne l’a toujours pas ratifiée. En novembre 2021, le Parlement européen a appelé le pays à le faire sans délai. Et si le gouvernement de Petr Fiala (ODS), composé aussi de partis conservateurs, s’est engagé dans sa déclaration de programme à assurer une meilleure protection des victimes de violences sexuelles et domestiques, il a aussi demandé d’emblée le report de l’examen de la convention à janvier 2023, suscitant de vives réactions dans le milieu des défenseurs des victimes de violences.