Une exposition à Vítkov pour rappeler l’holocauste rom
A l’occasion de la Journée européenne de commémoration du génocide des Roms, l’exposition itinérante du Musée de la culture rom de Brno s’est installée au Monument national de Vítkov. Si la récente démolition de l’ancien camp d’internement rom de Lety témoigne d’une volonté d’hommage, l’holocauste rom a longtemps été ignoré par la société tchèque.
Depuis 2015, le 2 août commémore l’holocauste des Roms en Europe. Cette année, le Musée de la culture rom de Brno a décidé d’installer les panneaux de photos, de témoignages et autres documents d’époque dont est constituée son exposition itinérante « Le génocide des Roms pendant la Seconde Guerre mondiale » au Monument national de Vítkov, à Prague. Une exposition itinérante créée en 2010 dans une volonté d’ouvrir le thème du génocide des Roms pendant la Seconde Guerre mondiale et de rendre le sujet plus accessible à ceux qui ne visiteraient pas forcément le Musée de la culture rom de Brno – un musée dont l’exposition permanente présente l’histoire des peuples roms depuis leur départ d’Inde jusqu’aux années 1990, y compris avec une salle consacrée à la période de la Seconde Guerre mondiale.
Exposition itinérante
Existant en plusieurs exemplaires, cette exposition itinérante est actuellement également exposée au mémorial de l’ancien ghetto et camp de concentration juif de Terezín. Historienne au Musée de la culture rom et commissaire de l’exposition, Anna Míšková rappelle le triste destin des Roms sur le territoire tchèque pendant la période du Protectorat de Bohême-Moravie (1939-1945) :
« A l’époque du Protectorat de Bohême-Moravie, d’après les estimations et le recensement, en 1942, quelque 6500 Roms et Sintés vivaient sur le territoire. La grande majorité d’entre eux ont alors été déportés dans ce qui était appelé les ‘camps tziganes’ de Lety, dans la région de Písek, en Bohême du Sud, et dans celui de Hodonín, à côté de Kunštát, en Moravie du Sud. Il s’agissait en fait de camps de concentration. Les autres Roms et Sintés ont été déportés directement dans le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Par la suite, les Roms internés à Lety et à Hodonín, s’ils avaient survécu à cet internement, ont eux aussi été déportés au camp d’extermination d’Auschwitz. »
« Par conséquent, l’immense majorité des Roms et Sintés qui vivaient sur le territoire ont été exterminés pendant la Seconde Guerre mondiale. On estime que jusqu’à 90 % d’entre eux ont ainsi disparu, ce qui en fait l’un des génocides les plus importants de l’histoire humaine. »
« L’un des génocides les plus importants de l’histoire humaine »
Un génocide longtemps ignoré, volontairement ou non, par les autorités et la société tchèques. Il a fallu attendre les années 1990 et la publication du livre « Silence noir : les survivants de Lety parlent » pour que le thème soit officiellement abordé et connu du public. Décédé en 2021, son auteur, Paul Polansky, un Américain membre de la communauté rom, avait d’ailleurs vivement critiqué les responsables politiques tchèques pour avoir cherché à passer sous silence la vérité du camp de Lety. Anna Míšková :
« Pendant longtemps, le génocide des Roms a été un thème dont on ne parlait pas, et les archives n’étaient pas accessibles, ce qui rendait toute recherche sur le sujet impossible. C’est dans les années 1990 que le thème a commencé à être connu du grand public, lorsque l’écrivain américain Paul Polansky a publié un livre sur le camp de Lety. D’autres s’y étaient intéressés auparavant, notamment le professeur et historien Ctibor Nečas ; néanmoins, ce n’est qu’après la révolution de Velours que le thème a été véritablement ouvert, et que l’on a commencé à évoquer la suppression de la porcherie industrielle qui se trouvait alors sur le site de l’ancien soit disant ‘camp tzigane’. »
« Pourtant, le thème du génocide rom n’a jamais fait l’objet d’un traitement de grande envergure dans la société tchèque. Il est toujours resté à l’arrière-plan ; pourquoi en parler, d’ailleurs, quand on voit l’approche qu’a aujourd’hui encore la majorité de la société tchèque par rapport aux Roms. »
Lety : camp tzigane, puis porcherie... puis mémorial
« Oui, on en parle plus ces dernières années, mais je dirais que cela a un lien avec le fait qu’en 2017, l’ancienne porcherie de Lety a été rachetée ; par ailleurs, un monument commémoratif a été installé à Hodonín. De plus, depuis 2018, le Musée de la culture rom est responsable de la gestion du site de la porcherie ; à partir de là, un concours d’architecture a été lancé pour un futur mémorial sur ce site. Depuis, le thème du génocide des Roms est de plus en plus abordé en public, et je pense que c’est une très bonne chose. Car selon moi, savoir ce que les Roms ont subi pendant la Seconde Guerre mondiale – et en connaître les conséquences sur leur vie après la guerre et pendant la période communiste – est très important pour comprendre la situation actuelle. »
Une connaissance à laquelle devrait contribuer le futur mémorial dédié à l’holocauste des Roms qui doit être construit sur le site de l’ancienne porcherie industrielle de Lety, dont la démolition a commencé le 25 juillet. Un nouveau centre d’information y présentera une exposition permanente interactive concentrée essentiellement sur la vie dans ce qui était alors appelé le ‘camp tzigane’ en 1942-1943, mais aussi sur le génocide rom. La vie des Roms avant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que l’utilisation du site de l’ancien camp après 1945 et la lutte pour honorer la mémoire du lieu, y seront également présentées. Un « sentier de mémoire » permettra également aux visiteurs de se promener sur le site, qui sera reboisé, mais où seront conservées certaines ruines de la porcherie. Par ailleurs, un cercle situé sur la place centrale de l’ancien ‘camp tzigane’ rappellera les noms de tous ceux qui y ont été internés. Enfin, à l’endroit de la fosse commune, où se trouve déjà actuellement un petit monument commémoratif, les visiteurs auront la possibilité de rendre hommage aux victimes roms mortes et enterrées dans ce ‘camp tzigane’.
Date d’ouverture prévue pour la première phase du mémorial : mai 2023. En attendant, l’exposition « Le génocide des Roms pendant la Seconde Guerre mondiale » est ouverte au mémorial de Vítkov jusqu’au 15 décembre 2022.