Stérilisations forcées : la complexité de la procédure d’indemnisation pointée du doigt par les ONG
Depuis le début de l’année, des centaines de femmes contraintes ou soumises illégalement à la stérilisation au cours des décennies passées peuvent désormais demander une indemnisation, sous la forme d’un versement unique de 300 000 couronnes, en vertu d’une loi adoptée l’an dernier. Mais depuis l’ouverture de la procédure seules 35 femmes ont pu bénéficier de cette indemnisation. Des représentants d’ONG ont récemment envoyé une lettre ouverte au ministère de la Santé, pointant du doigt la complexité administrative liée à la procédure.
Il semble aujourd’hui presque invraisemblable que, jusqu’au début des années 2000 encore, des femmes rom aient subi des stérilisations forcées en République tchèque. Cette pratique a été établie dans les hôpitaux du pays à partir des années 1960 sous le régime communiste. Mais cette intervention chirurgicale non consentie a continué d’être pratiquée bien après le retour de la démocratie dans le pays, au moins jusqu’en 2001. Aucune statistique précise n’est connue, mais on estime que plusieurs milliers de femmes, d’origine rom, ou bien souffrant d’une maladie mentale, ont ainsi subi une stérilisation forcée.
En 2021, après des années de lutte associative, une loi a enfin été adoptée ouvrant la voie à une indemnisation – très minimale – de 300 000 couronnes, soit 12 000 euros. Entre l’ouverture de la procédure en janvier et la fin du mois de mai, 261 demandes ont été déposées, 74 ont fait l’objet d’une décision et seules 35 demandes se sont vues satisfaites selon la Ligue des droits de l’Homme.
Pour Elena Gorolová, fer de lance de la lutte des femmes rom pour la reconnaissance du préjudice qu’elles ont subi, une bonne partie du problème réside dans la complexité de la procédure :
« Il y a plusieurs conditions : les femmes doivent pouvoir présenter le dossier médical établissant où elles ont accouché, ensuite remplir le formulaire de demande d’indemnisation et envoyer le tout au ministère de la Santé. Là, une commission traite le cas de chaque femme individuellement. »
L'indemnité concerne les femmes qui ont subi une stérilisation entre le 1er juillet 1966 et le 31 mars 2012 sans avoir pris librement une décision et sans avoir été informées des conséquences. Dans de nombreux cas, ces femmes ont pris leur décision après avoir été persuadées, voire même après avoir été menacées qu’on leur retire leurs enfants.
Dans le cadre de la procédure actuelle, le ministère de la Santé a 60 jours pour traiter la demande, et une fois la demande acceptée, il doit envoyer la somme dans les 30 jours. Le nombre de femmes pouvant prétendre à cette indemnisation a été évalué par la loi à 400, mais comme le souligne Elena Gorolová, de nombreux obstacles se dressent sur le chemin des réparations :
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« Cela s’avère souvent compliqué parce que certains hôpitaux conservent leurs archives quarante ans, d’autres dix ans seulement. Les femmes ont donc du mal à rechercher leurs dossiers et s’inquiètent du fait qu’elles ne puissent même pas bénéficier de l’indemnisation. »
Les associations de défense des victimes estiment que pour compenser ce déficit d’archives, la commission chargée d’évaluer les dossiers devrait prendre en compte par exemple des déclarations sur l’honneur de proches des femmes stérilisées, voire même de voisins ayant connaissance de leur calvaire.
Elena Gorolová a passé une bonne partie de sa vie à militer pour défendre ces victimes. En 2018, le palmarès de la BBC l’a classée parmi les cent femmes les plus influentes dans le monde en raison de son engagement. Il faut dire qu’elle sait de quoi elle parle : en 1990, âgée de 19 ans seulement, elle a été elle-même stérilisée sans son consentement, après avoir accouché de son deuxième enfant :
« A l’époque, je ne savais pas du tout qu’on pouvait donner naissance à un enfant par césarienne et qu’après, il arrivait qu’on soit stérilisée. Une sage-femme est venue me voir. Ma mère lui a demandé comment il était possible qu’ils m’aient fait cela. Elle nous a expliqué que je ne pourrais plus avoir d’enfants, que c’était irréversible. Elle m’en a dit un tout petit peu plus que le médecin qui ne m’avait quasiment rien dit. »
Elena Gorolová portera plainte, mais sans être entendue ni reconnue. Sa colère, elle l’a transformée dans son travail militant et en 2005, elle a rejoint l’ONG Vzájemné soužití (Vivre ensemble), une association d’Ostrava qui exigeait des excuses de l’Etat et le versement aux victimes de compensations financières. Elle en devient la porte-parole et commence à voyager dans le monde, à l’ONU ou au Conseil de l’Europe à Strasbourg, pour témoigner publiquement. Comme elle le reconnaît elle-même, d’autres femmes ont eu moins de chance qu’elle :
« Dans le cas de certaines femmes, cette stérilisation a eu des conséquences : certaines ont divorcé, parfois elles se sont remises en couple, mais sans pouvoir avoir d’enfant avec leur nouveau partenaire. Elles en payent donc le prix jusqu’à aujourd’hui. Moi-même j’ai vécu une période difficile car mon mari pensait que c’est moi qui avais voulu cette stérilisation. Il voulait d’autres enfants et ne me croyait pas. Mais il n’y avait plus moyen de faire marche arrière. »
En 2009, enfin, le gouvernement de Jan Fišer a offert des excuses officielles aux victimes. Mais aujourd’hui, le combat d’Elena Gorolová et des associations continue : cette fois, pour faire en sorte que les victimes ne subissent pas la double peine d’une procédure impossible à satisfaire.