Cinéma : l’odyssée des pilotes tchèques à travers l’Europe en guerre
Ils se rangent parmi ces pilotes tchécoslovaques légendaires qui ont combattu l’armée hitlérienne d’abord en France, puis au sein de l’armée de l’air britannique et, enfin, sur le front de l’Est. Pilotes de chasse, mais également écrivains de talent, František Fajtl et Filip Jánský revivent, à travers leurs livres et des images d’archives européennes, dans un nouveau documentaire tchèque intitulé « Good Old Czechs » qui sort en salles le 15 septembre.
Réalisé par le documentariste Tomáš Bojar, le film est basé sur les souvenirs des deux pilotes, tirés de nombreux ouvrages que les deux hommes ont rédigés après la guerre. Mis à part quelques apparitions furtives de František Fajtl sur des images d’époque, les pilotes ne sont présents dans le film que par leurs voix, jeunes en l’occurrence, puisqu’ils avaient respectivement 27 et 17 ans au début de la guerre.
Tirés de leurs livres, parfois transformés dans un langage plus familier et intégrés en voix off, leurs commentaires nous accompagnent tout au long du film qui est une sorte de « road-movie » à travers l’Europe secouée par la guerre. On écoute le réalisateur Tomáš Bojar :
« Les destins des pilotes tchécoslovaques pendant la Seconde Guerre mondiale m’ont toujours intéressé. Quand j’étais petit, j’écoutais les souvenirs de mon grand-père qui s’était lui-même engagé au sein de la RAF britannique pendant la guerre, non pas comme pilote, mais comme météorologue. Je connaissais ses amis, les anciens aviateurs qui avaient à cette époque tous plus de 80 ans. J’admirais leur énergie, vitalité et persévérance. »
« L’idée du film vient du producteur Gordon Lovitt qui y a pensé dans le contexte de l’anniversaire de la bataille d’Angleterre. Elle m’a tout de suite plu. J’ai lu les écrits de plusieurs anciens pilotes de la RAF. Finalement, j’ai choisi parmi eux František Fajtl et Filip Jansky et j’ai décidé de construire le film autour de leur histoire de vie. »
Né en 1912, le futur général František Fajtl a commencé sa carrière militaire avant la guerre. Pilote de chasse au Royaume-Uni, il faisait partie du 313e escadron tchécoslovaque de la RAF, avant de devenir, en 1942, commandant du 122e escadron britannique, était ainsi le premier Tchèque, et probablement le tout premier étranger, à la tête d’un escadron de chasse britannique. Abattu, peu après, lors d’un combat au-dessus du nord de la France, il a dû fuir le territoire ennemi jusqu’à l’Espagne pour rejoindre à nouveau la Grande-Bretagne : une expérience dramatique que František Fajtl a décrit dans l’un de ces livres.
Filip Jánský, de dix ans son cadet, était d’un esprit rebelle. En 1939, alors qu’il avait 17 ans, il a fui la Tchécoslovaquie occupée, pour devenir bombardier au Royaume-Uni. Il a connu huit atterrissages forcés et a été blessé deux fois, abattant deux avions ennemis. De son vrai nom Richard Husmann, il a publié, sous le pseudonyme Filip Jansky, plusieurs romans remarqués après la guerre, notamment « Nebeští jezdci » (Les chevaliers du ciel), adapté avec succès au cinéma en 1968.
De la France au Royaume-Uni, puis sur le front de l’Est
Le réalisateur Tomáš Bojar explique pourquoi ces deux pilotes sont au cœur de son documentaire « Good Old Czechs » :
« Ce sont deux hommes aux caractères opposés, mais en même temps, et c’était très important du point de vue de la narration, leur traversée de l’Europe pendant la guerre a été presque similaire. A une exception près : s’ils ont tous les deux d’abord combattu en France, ils l’ont rejointe différemment : Jansky est passé, un peu follement, par l’Allemagne, tandis que Fajtl par la Pologne, d’où il est parti en bateau vers la France. Ensuite, leur trajectoire est la même : ils ont quitté la France après la capitulation de celle-ci, pour la Grande-Bretagne. Ensuite, ils ont accepté la proposition d’aller combattre en URSS. Là encore, leur périple a été long et compliqué : ils ont traversé par bateau la Méditerranée, puis l'Orient, tout cela dans des circonstances assez dramatiques. »
De retour en Tchécoslovaquie qu’ils ont aidé à libérer, les deux pilotes ne se sont rencontrés personnellement que plusieurs années après la guerre. Dès leur première rencontre, ils se sont liés d’une amitié qui a duré jusqu’à la mort de Filip Jánský en 1987.
Des images de France provenant des archives britanniques
Dans le documentaire, leur récit est accompagné d’images provenant d’archives européennes, dont certaines sont inédites. Le monteur du film, Šimon Špidla explique :
« Ce que j’aime sur ce genre de film, c’est le fait que des images tournées dans une certaine époque, dans un contexte précis, sont mises dans un nouveau contexte, celui de notre époque. Nous avons notamment travaillé avec un matériel très intéressant conservé dans les Archives nationales du film. Ce sont des images tournées par le réalisateur Jiří Weiss pendant la guerre, sur les bases aériennes des pilotes de la RAF. Il avait même l’occasion de filmer les pilotes dans l’air, avec un excellent opérateur britannique. J’aime beaucoup les images du vol au-dessus des nuages. Et puis celles qui montrent la vie quotidienne des pilotes, quand ils se baignent dans la mer par exemple. Il a filmé des séquences longues qui ont été plus faciles à monter que les images déjà coupées provenant des archives étrangères diffusées à l’époque au cinéma.
« De même, nous avons découvert aux Archives nationales des images très intéressantes et inédites qui montrent le nettoyage des rues au moment du soulèvement de Prague, en mai 1945. »
« Heureusement, toutes les archives européennes sont accessibles en ligne, ce qui a beaucoup facilité notre travail. Le seul problème était les archives françaises qui demandaient des prix extrêmement élevés pour leurs films. Finalement, certaines images de France nous ont été procurées par des archives britanniques. »
Persécutés et emprisonnés par les communistes
Après la fin de la guerre, František Fajtl et Filip Jánský ont été, comme beaucoup d’autres combattants sur le front de l’Ouest, persécutés par le régime communiste. Si Filip Jánský a échappé de peu à la prison, le général Fajtl a été incarcéré pendant plusieurs années. Sa fille Jitka Režná se souvient :
« Je suis née en 1954. Avant cela, mon père a été emprisonné. Ma sœur qui est née en 1948 a vécu cela, quand elle était toute petite. Ma mère a dû quitter notre appartement pragois, avec elle bébé, du jour au lendemain, sans aucune compensation. Nous avons vécu près de Louny, où nous avons de la famille. Mon père et ma mère venaient tous les deux de cette région. Avec ma sœur, nous avions une enfance heureuse, nos parents ne nous parlaient ni de la guerre ni de la frustration liée au régime communiste. »
« Ce n’est que dans les années 1960, quand mon père a été réhabilité, que j’ai commencé à comprendre et parler avec lui de son passé. Il a travaillé comme ouvrier, puis comme contrôleur aérien. Après la chute du communisme, il aimait rencontrer des jeunes. A moi, il m’a toujours parlé de la guerre avec un brin d’humour. Je sais qu’il n’a pas participé aux combats parce qu’il aimait cela, au contraire. Il allait combattre parce que c’était un grand patriote. »
Lorsque la reine Elisabeth II inaugurait, en 2012, au Green Park de Londres, un monument en hommage à plus de 55 000 pilotes de la Royal Air Force britannique qui ont péri pendant guerre, on s’est souvenu également des aviateurs tchécoslovaques. Ils étaient près de 2 500 à s’être engagés dans la RAF, dont une grande majorité avait rallié la Grande-Bretagne après l’effondrement français face à l’armée allemande.
Après sa sortie en salles en République tchèque, le documentaire « Good Old Czechs » devrait être présenté, en octobre prochain, au Centre tchèque de Londres.