Quand de Gaulle rejetait symboliquement les accords de Munich
Le 29 septembre 1942, le général de Gaulle déclarait les accords de Munich qui, quatre ans plus tôt, avaient permis à Hitler d’annexer les régions tchécoslovaques peuplées majoritairement d’Allemands, nuls et non avenus. Un geste symbolique, mais fort, peu connu des Tchèques et Français aujourd’hui.
Le 29 septembre dernier, un montage vidéo comprenant le discours de Charles de Gaulle ainsi que des photos d’archives et la lettre adressée par le fondateur de la France libre à Jan Šrámek, chef du gouvernement tchécoslovaque en exil, ont été présentés à l’Ambassade de France à Prague. A cette occasion, des historiens français et tchèques ont discuté des accords de Munich et de l’importance de leur rejet, tout cela à la lumière de la crise ukrainienne.
Maîtresse de conférences en Histoire de l’Europe centre-orientale et du monde germanique à l’université de la Sorbonne, Isabelle Davion explique comment faut-il comprendre le discours de Charles de Gaulle du 29 septembre 1942 :
« Il faut retenir le cœur du propos du général de Gaulle, à savoir que les accords de Munich sont nuls et non avenus. Il dit bien que ce sont toutes les dispositions territoriales prises, concernant la Tchécoslovaquie, à partir du 30 septembre 1938, qui sont invalidées. Cela intègre l’annexion des Sudètes par le Troisième Reich, l’annexion d’une partie de la Silésie tchécoslovaque par la Pologne, celle de la Ruthénie subcarpatique par la Hongrie ainsi que l’invasion de la Bohême-Moravie du 15 mars 1939. Par ce discours prononcé, une fois de plus, sur Radio Londres, le général de Gaulle fait acte de souveraineté, il agit comme un homme d’Etat à la tête d’un pays qui fait partie de la Grande alliance, car cette dénonciation des accords de Munich avait déjà été faite par les Britanniques quelque temps avant. »
Les Français, gardiens de la paix
En effet, la Grande-Bretagne avait été le premier signataire à avoir dénoncé les accords de Munich, le 5 août 1942, mais à la différence de la France, elle ne les a pas déclarées invalides dès le début, mais seulement à partir de l’invasion allemande de la Tchécoslovaquie de mars 1939. Isabelle Davion :
« La position n’a jamais été la même entre Britanniques et Français en ce qui concernait la Tchécoslovaquie et les accords de Munich en particulier. Les Britanniques étaient convaincus par l’argumentation en l’occurrence nazie. Ils disaient que l’Allemagne avait vocation à réunir dans un grand pays toutes les minorités allemandes et que cela était légitime. Dans le fond, les Britanniques avaient une certaine sympathie pour cet argument. Le fait que l’Allemagne récupère les Sudètes qui étaient des régions autrichiennes avant la Première Guerre mondiale était, d’une certaine manière, justifié à leurs yeux. Les Français n’étaient pas tout à fait de cet avis, ils se voulaient les gardiens des traités de paix qui nous avaient notamment rétrocédé l’Alsace et la Moselle. Les Britanniques ont donc déclaré comme nul et non avenu le moment où le Troisième Reich envahit une terre slave. Mais tant qu’il récupère des territoires germanophones, le gouvernement britannique de l’époque estime que cela se défend. »
Beneš et de Gaulle partageaient un même réalisme
Professeur émérite d’histoire à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et ancien directeur du Centre français de recherche en sciences sociales de Prague (CEFRES), Antoine Marès évoque la proximité entre le général de Gaulle et le président tchécoslovaque en exil Edvard Beneš, ainsi que l’importance du rejet symbolique des accords de Munich pour les relations franco-tchèques.
« Dans le discours du général de Gaulle, on voit bien tout l’intérêt d’une synergie entre les Tchécoslovaques et les Français. Cela confirme ce que nous savons : les deux hommes avaient une très bonne relation, le général de Gaulle avait un certain respect pour Edvard Beneš. Ils partageaient aussi, au-delà des difficultés auxquelles ils étaient confrontés, un même réalisme : à la fois, ils étaient les défenseurs de la démocratie et ils savaient se consolider réciproquement. Leurs relations sont restées très bonnes, plus tard, Beneš a rencontré de Gaulle à Alger. Ensuite, ces accords de 1942 qui étaient un peu fragiles sur le plan juridique ont été confortés par l’annulation définitive des accords de Munich par la France le 22 août 1944. »
Désoccidentaliser la Tchécoslovaquie
« Cela a permis d’établir de nouvelles relations marquées notamment par la visite du général Leclerc à Prague. Ces relations sont restées harmonieuses entre 1945 et 1948, même si cela n’a pas permis de conclure un nouveau traité d’amitié entre la France et la Tchécoslovaquie : du côté de Paris, il y avait des doutes sur la capacité de la Tchécoslovaquie à maintenir son indépendance face à la pression soviétique. Après la prise du pouvoir des communistes en Tchécoslovaquie en février 1948, on assiste à une rupture : Munich est l’argument invoqué par les partisans de l’URSS comme l’exemple qu’il ne fallait pas suivre. Munich est un instrument de la propagande communiste pour désoccidentaliser la Tchécoslovaquie, aussi au niveau culturel, et pour mieux la soviétiser. »
Isabelle Davion ajoute encore quelques détails historiques :
« L’URSS peut se targuer d’une grande victoire morale au moment des accords de Munich, étant le seul pays à proposer autre chose que la signature de ces accords, à savoir même l’intervention militaire pour porter secours à la Tchécoslovaquie. Nous savons aujourd’hui que Staline a fait cette proposition parce qu’il savait qu’elle ne serait pas adoptée. L’intervention soviétique dépendait de l’intervention française et tout le monde savait que la France n’interviendrait pas, elle voulait gagner du temps. Moscou a tiré de cette initiative d’énormes dividendes diplomatiques et politiques durant toute la seconde moitié du XXe siècle. Par exemple, lorsque la Tchécoslovaquie a accepté le plan Marshall en 1947, lorsqu’elle n’était pas encore satellisée, Moscou a fait faire demi-tour au Tchécoslovaques qui ont fini par refuser le plan Marshall malgré leur souhait. L’un des arguments soviétiques pour ce refus était : vous nous devez bien cela, nous étions les seuls à vouloir vous porter secours en 1938. »
L’Ukraine et le parfum de Munich
Quelle est la leçon à tirer des accords de Munich 80 ans après leur rejet symbolique par la France libre, à l’heure où le « parfum de Munich » est souvent évoqué en lien avec la guerre menée par la Russie en Ukraine ?
« Je crois que dans l’affaire ukrainienne, l’Occident a manqué de lucidité. Comme de nombreux historiens, j’ai été très frappé par les discours de Vladimir Poutine, à propos du Donbass, qui ont rappelé les discours d’Hitler en septembre 1938, avant la signature des accords de Munich. C’était troublant. Poutine est certainement un joueurs d’échecs qui avance ses pions, comme Hitler l’a fait, tant qu’il n’y a pas de résistance. Je dirais peut-être que la résistance occidentale est venue trop tard, au regard de ce qui se passe depuis le 24 février 2022. »