Désinformation : le service de fact-checking de la Radio tchèque pour « ceux qui hésitent et qui doutent »
Depuis un peu plus d’un an, la Radio tchèque propose un service de fact-checking régulier sur son site iRozhlas.cz qui vise à déconstruire les différentes fausses informations qui circulent dans l’opinion publique via les réseaux sociaux, les chaînes d’e-mail mais aussi des personnalités en vue. La guerre en Ukraine ou l’élection présidentielle actuelle donnent tout particulièrement lieu à une avalanche de désinformation tous azimuts. Dans ce contexte, le travail de fackt-checking ne s’apparente-t-il pas au tonneau des Danaïdes ? C’est une des questions que nous avons posées à Tomáš Pika, journaliste et responsable du service de vérification de la Radio tchèque qui est d’abord revenu sur l’idée de proposer aux lecteurs du site un tel service :
« L’idée est venue bien avant que je ne m’engage dans ce travail de fact-checking. Ce sont des collègues qui ont lancé le projet au moment des dernières législatives : il était assez clair à ce moment-là que les élections étaient aussi influencées par différentes narratifs diffusés via les réseaux sociaux ou les chaînes d’e-mails. Néanmoins, ce n’était pas un projet continu, mais ça l’est devenu peu de temps après le début de la guerre en Ukraine. Nous avons bien vu que la quantité de fausses informations et de propagande, pro-russe notamment, était montée en flèche. En tant que média du service public, nous avons ressenti le besoin de réagir à ce phénomène, de dire aux gens que toutes les informations qu’ils reçoivent ne sont pas nécessairement vraies et que nous sommes là pour leur expliquer en quoi. »
Comment travaillez-vous ? Comment trouvez-vous les thèmes que vous allez fact-checker ? Est-ce vous qui allez les chercher ou y a-t-il des gens qui vous demandent de vérifier des informations ?
« Nous avons un e-mail [email protected] où les gens peuvent nous faire parvenir leurs suggestions. Pourquoi un e-mail ? Parce que nous savons que beaucoup de fake news sont diffusées, non seulement sur les réseaux sociaux mais aussi via les chaînes d’e-mails qui circulent chez les seniors notamment. L’idée était donc de donner à cette génération un moyen aisé de nous envoyer leurs questions quand ils doutent de la véracité d’une information. Sinon, en effet, il y a aussi les sujets que nous remarquons sur les réseaux sociaux : quand nous voyons qu’un politicien ou une personnalité publique partage une information qui est clairement fausse et qu’elle suscite de nombreuses réactions et partages, c’est là où nous intervenons. Malheureusement, nous ne pouvons pas tout traiter : il y a des dizaines de sujets potentiels par jour, donc nous nous concentrons sur ce qui est le plus diffusé et ce qui est le plus actuel. Et nous traitons cela comme n’importe quel travail journalistique : toute information que nous publions au quotidien doit être vérifiée, donc dans le cas présent, c’est exactement la même chose. Par exemple, après le 24 février 2022, il y a eu beaucoup d’infox liées aux réfugiés ukrainiens qui auraient méprisé l’aide humanitaire qui leur était apportée etc. Il nous a suffi d’appeler l’endroit mentionné dans le mail qui diffusait cette information pour démontrer qu’elle était fausse. »
Qui diffuse ces fausses informations et quelle forme prennent-elles ? Vous parlez des chaînes d’e-mails, mais existe-t-il aussi des désinformateurs professionnels ?
« Je dirais qu’il n’y a que quelques dizaines de désinformateurs professionnels en Tchéquie. Il n’y en a pas beaucoup au final. Souvent d’ailleurs, ils ne croient pas eux-mêmes aux fausses informations qu’ils propagent mais voient là une manière de faire de l’argent de cette façon. Par exemple, il y a Jana Peterková qui a été condamnée en justice pour la diffusion de fausses informations sur le vaccin contre le Covid. Tomáš Čermák et Patrik Tušl sont deux hommes actuellement en prison pour avoir diffusé des infox sur les réfugiés ukrainiens. D’ailleurs, au tribunal, ils ont admis eux-mêmes ne pas croire à ces informations mais ils ont bien vu que les gens réagissaient et qu’ils pouvaient en tirer profit. Mais ces gens sont finalement une poignée. La plupart des gens qui partagent de fausses informations tombent dessus et se contentent de faire suivre parce qu’ils y croient, parce qu’ils ont peur et veulent mettre en garde leurs amis et leurs proches. »
Les personnes qui lisent vos articles sont-ils ceux qui en ont réellement le plus besoin ? Est-ce que vous ne prêchez pas à des convaincus ?
« Nous avons bien entendu parlé de cela. Nous estimons que ce travail a un sens. Nous n’essayons pas de convaincre ceux qui sont déjà convaincus. Nous savons que les gens qui sont persuadés que nous leur mentons, qu’il existe un système caché, nous ne les convaincrons pas et il n’y a pas vraiment de moyen de le faire. Ce que nous essayons de faire, c’est de proposer un service aux gens qui ne sont pas nécessairement convaincus de la véracité d’une information qu’ils ont reçue d’un ami, qui sentent qu’il y a peut-être anguille sous roche. Ces gens qui hésitent et doutent, nous essayons de leur proposer notre travail de fact-checking, nous leur expliquons la manière dont nous avons vérifié l’information. Cela permet à ces gens de s’appuyer sur nos recherches pour, éventuellement, avoir des arguments à opposer dans un débat. »
Comment travaillez-vous actuellement en temps de campagne électorale ? Nous sommes en plein entre-deux-tours de l’élection présidentielle. Comment travaille-t-on quand la désinformation provient des candidats eux-mêmes ?
« Eh bien, c’est compliqué – notamment à cause des règles pré-électorales qui nous régissent en tant que média public. Néanmoins ce n’est pas impossible. Si je regarde le nombre d’articles de fact-checking que nous avons publiés depuis début janvier, je vois que l’élection présidentielle est clairement au cœur de notre travail. C’est un thème-clé actuellement avec de nombreuses infox qui circulent sur les compétences d’un président, comme le fait qu’un des candidats, s’il était élu, allait destituer le gouvernement. L’information s’appuyait sur un article de la Constitution, mais c’était faux. Nous avons pu montrer avec des juristes constitutionnels que c’était bien plus compliqué que cela et que, évidemment, le futur président ne pourrait pas destituer le gouvernement une fois élu. En gros, nous nous concentrons sur ce type d’informations, de les remettre en contexte et d’être fair-play. Le dernier article que nous avons fait concernait trois déclarations de chacun des deux candidats du deuxième tour qui étaient fausses : la désinformation se diffuse dans les deux camps. »
Le fact-checker de France Info tweetait ce matin : « le fact checking n’aboutit pas toujours à "c’est faux". Souvent ça aboutit à "c’est à nuancer", ou même à "c’est vrai". C’est quelque chose que vous constatez aussi dans votre pratique ?
« Cela nous arrive souvent ces derniers temps : nous savons qu’un narratif particulier se diffuse beaucoup, l’histoire n’est pas totalement véridique, mais souvent elle est basée quand même sur quelque chose de vrai. Souvent, nous devons aborder les choses comme vous le décrivez et dire : en effet, ceci est vrai, mais la réalité est beaucoup plus complexe. Nous devons alors expliquer comment l’histoire en question devrait être présentée, racontée pour être juste, nous devons montrer en quoi des arguments ont été manipulés pour en faire une fausse information. Donc oui, nous n’arrivons pas forcément à la conclusion que quelque chose est un mensonge, mais souvent qu’il s’agit de manipulation, d’une déclaration ou d’un fait qui ont été altérés, sortis de leur contexte. L’idée est alors de montrer comment cette réalité peut être décrite différemment en faisant intervenir des experts et des documents. »