Petr Pavel au Château de Prague ? Une bonne chose aussi pour l’Ukraine
Comment la presse tchèque a-t-elle analysé les résultats du deuxième tour de l’élection présidentielle ? Quelles ont été les réactions à la victoire de Petr Pavel ? Quid désormais d’Andrej Babiš et de son mouvement ANO ? Autant de questions auxquelles répond cette revue de la presse tchèque de la semaine écoulée. Autres sujets traités : le retour des « dinosaures » de la politique sur le devant de la scène en Europe centrale ou encore la rencontre Macron-Babiš qui s’est tenue à Paris avant l’élection présidentielle.
Petr Pavel est le premier président tchèque qui se dit prêt à dialoguer avec les électeurs déçus de son adversaire, comme le souligne le site Novinky.cz :
« Une chose apparaît évidente : le 28 janvier 2023, date de l’élection du nouveau président tchèque, marque la fin de la période entamée le 17 novembre 1989. À l’époque, la victoire sur le régime communiste avait été dans une grande mesure soutenue de l’extérieur, tandis qu’aujourd’hui, ce résultat est le fruit de la volonté des Tchèques eux-mêmes. »
À ce propos, l’hebdomadaire libéral Respekt remarque que ceux qui ont participé à la chute du régime communiste peuvent être satisfaits :
« Ancien membre du parti communiste et ex-président du Comité militaire de l’OTAN, le nouveau président est un produit exemplaire des changements de 1989, lorsque chacun a eu la possibilité de faire siens les principes du nouvel État libre et de les développer dans les limites de ses propres forces. »
Pour le quotidien indépendant Deník N, la victoire de l’ancien général Petr Pavel est un événement dont l’importance pourrait avoir des retombées sur l’ensemble de la société :
« Petr Pavel est le premier président depuis 1989 qui ne soit pas le fruit du bouillonnement révolutionnaire de l’époque. Il n’a pas de passé de dissident et il n’a pas non plus joué de rôle important dans le processus de transformation politique et économique des années 1990. Son élection est quelque chose qui dépasse le cadre de l’ère post-communiste. »
« Le mensonge et la haine ont été battus. La politique tchèque avance dans la bonne direction », titrait pour sa part, au lendemain du deuxième tour, le magazine Reflex dans lequel on pouvait lire :
« Des mots justes, de la dignité, de la tolérence et une argumentation rationnelle : autant d’armes qui ont suffi pour battre Andrej Babiš pour la deuxième fois consécutive (après les élections législatives de 2021 – la victoire de son mouvement ANO avait été insuffisante pour former une nouvelle coalition gouvernementale, ndlr). Jusqu’alors efficaces, la vulgarité et les intrigues ne produisent plus l’effet souhaité. »
« Petr Pavel a soulevé d’immenses attentes de nombreux Tchèques. Mais il n’y a pas lieu de l’adorer et d’attendre de lui ce qu’il ne pourra pas accomplir, tout simplemnent parce que les pouvoirs présidentiels sont ce qu’ils sont (c’est-à-dire limités) », constate de son côté Forum24.cz. Ce que l’on peut en revanche espérer, selon le site, c’est de voir le climat changer au sein de la société : « une discipline dans laquelle les présidents tchèques excellent habituellement, tant dans le sens négatif que positif. »
Avec ou sans Andrej Babiš sur la future scène politique tchèque ?
« Le nouveau monde sans Babiš sera-t-il meilleur ? », s’interroge aussi Deník N. Une question à laquelle il est encore difficile de répondre :
« Il se peut que le résultat de l’élection présidentielle, qui a abouti à un plébiscite de Petr Pavel, soit un signe de l’affaiblissement d’Andrej Babiš et du mouvement ANO dont il est le leader. Cet avis est partagé par le Premier ministre Petr Fiala et par certains commentateurs pour qui cette défaite sonne le glas de la carrière politique de Babiš. La seule question est désormais de savoir si cette fin sera lente et longue ou rapide. »
Attention quand même, avertit encore le journal, aussi alléchante pour le camp anti-Babiš soit-elle, cette perspective pourrait aussi être source d’un grand bouleversement :
« Fondé il y a plus de dix ans, le mouvement ANO est la plus forte formation politique tchèque. Si son influence se réduit, d’autres forces voudront occuper l’espace libre. Ces prochaines années, l’évolution de la scène politique et de la société tchèques dépendra pour beaucoup de l’actualité internationale et notamment des retombées économiques de la guerre en Ukraine. Evidemment, certains de ses critiques considèrent Andrej Babiš comme une figure particulièrement dangereuse. Mais son programme ne repose que sur sa seule personne, alors que les politiciens les plus redoutables se distinguent non seulement par leur soif du pouvoir mais aussi par le fait qu’ils sont porteurs d’idées percutantes. Or, un éventuel retrait du chef du mouvement ANO de la scène politique n’embellirait pas forcément le tableau, il serait source aussi de nouveau dangers. »
Le retour des « dinosaures » de la politique sur le devant de la scène en Europe centrale
« L’Europe centrale souffre de l’absence d’une nouvelle génération forte de politiciens », titrait cette semaine le quotidien Hospodářské noviny. Un commentaire dans lequel on peut lire :
« Les élections législatives anticipées qui se tiendront en Slovaquie en septembre prochain (le 30) seront marquées par le retour de (l’ancien Premier ministre de 1998 à 2006) Mikuláš Dzurinda, l’homme qui avait sauvé le pays du ‘mečiarisme’ (du nom de l’ancien Premier ministre très controversé Vladimír Mečiar, resté en fonction jusqu’en 1998, ndlr) avant de se noyer dans ses propres scandales et d’abandonner la scène politique pendant douze ans. Son nouveau projet baptisé ‘La coalition bleue’ entend former une plateforme de démocrates centristes et de droite. »
L’auteur du quotidien économique remarque qu’un scénario similaire se dessine en Pologne, où l’ancien chef de gouvernement Donald Tusk, leader du parti Plate-forme civique, tente de rassembler l’opposition sous une même bannière avant les élections législatives de l’automne prochain. Avant de conclure sur ces mots :
« 2023 sera une année compliquée pour la politique en Europe centrale. Mais pour ce qui est de l’orientation prooccidentale et de la stabilité des institutions démocratiques, les débuts sont prometteurs, même si l’on peut regretter que ce soient des dinosaures de la politique comme Dzurinda et Tusk qui s’efforcent de réunir les forces politiques pour affronter le nationalisme et le populisme. »
Petr Pavel au Château de Prague et la guerre en Ukraine
Le quotidien Deník prétend que le 9 mars prochain, lors de l’investiture de Petr Pavel, il y aura beaucoup moins de raisons de se réjouir qu’aujourd’hui, quelques jours après l’élection du nouvau chef de l’État. La personne de Petr Pavel ne sera pas la cause de ce désenchantement. Selon divers analystes militaires, en effet, il faut s’attendre à une grande offensive russe en Ukraine :
« Le nombre inusffisant et le retard des livraisons d’armes lourdes aux défenseurs ukrainiens coûteront cher. La perspective d’une victoire de l’Ukraine s’éloignera, la guerre passera dans une nouvelle phase plus dangereuse encore. Il se peut que les Russes avancent malgré les grandes pertes et l’héroïsme des Ukrainiens et il faudra alors patienter avant d’atteindre un tournant positif. »
Pour cette raison, comme l’estime toujours Deník, il faut se féliciter de voir arriver Petr Pavel au Château de Prague (siège de la chancellerie présidentielle) :
« Il s’agit d’un homme sage et averti qui saura expliquer aux gens ce qui se passe et dire aussi qu’il faut davantage aider l’Ukraine pour vaincre l’agresseur russe. Petr Pavel pourra jouer un rôle très positif en Tchéquie et au niveau international. C’est un homme brave pour des temps difficiles. »
Rencontre Macron-Babiš à Paris : mais pourquoi donc ?
« L’élection présidentielle tchèque est présentée dans les médias occidentaux comme la victorie d’un ex-général de l’OTAN sur un oligarque populiste », constate sur son site l’hebdomadaire Respekt. Une vision des choses qui, selon l’auteur, est évidemment juste. Mais qui ne doit cependant pas faire oublier une autre chose :
« Nous aimerions savoir pour quelle raison un des leaders européens, le président français Emmanuel Macron, a cherché à soutenir l’oligarque Andrej Babiš en l’accueillant à Paris à quelques jours du scrutin. D’accord, cette question a déjà été posée à plusieurs reprises, mais il est temps de la reposer. Pourquoi donc ? Ne méritons-nous pas que notre partenaire au sein de l’UE nous donne une explication ? »
Emmanuel Macron, comme on peut encore le lire, n’avait pas beaucoup de possibilités d’influencer l’élection présidentielle tchèque, sauf celle de déclarer quelque chose et d’accueillir un des candidats à l’Élysée. « C’est ce qu’il a fait et ce dont Babiš a voulu profiter dans sa campagne. »