Fin de présidence : Miloš Zeman sort par la petite poterne
Il n’était pas donné à tout le monde de terminer aussi mal son dernier mandat que Václav Klaus, le précédent président. Miloš Zeman l’a fait.
En décrétant en 2013 une amnistie visant des dizaines de milliers de condamnés par la justice, notamment pour les délits financiers d’acteurs controversés de la privatisation post-communiste, le président Václav Klaus s’était mis à dos même certains de ses plus fidèles partisans, avant de sombrer davantage dans l’euroscepticisme, climato-scepticisme, « antivaxisme » et autres –ismes qu’il affectionne particulièrement.
Miloš Zeman, qui avec Václav Havel et Václav Klaus a marqué les dernières décennies sur la scène politique nationale, n’aura pas besoin d’une amnistie générale ou d’autre bouquet final pour la fin d’une épopée qui se termine en eau de boudin, comme la récente période de la tue-cochon (dont il sera encore question plus tard).
Tropismes russe et chinois
La « diplomatie économique » promue par Miloš Zeman dès son premier mandat s’est heurtée de plein fouet à la réalité géopolitique - elle a anéanti tous ses efforts, parfois serviles, comme lorsqu’il fut l’un des seuls chefs d’Etat européens à se rendre, malgré la Crimée, à Moscou en 2015 pour l’anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
L’invasion de l’Ukraine en février 2022 a contraint le président tchèque à se rendre à l’évidence, comme pour l’échec de sa politique chinoise avec, en dépit des annonces, très peu de retombées économiques et des humiliations, notamment quand Miloš Zeman a nommé parmi ses conseillers un businessman chinois arrêté depuis par le régime de Xi Jinping.
L’hebdomadaire Respekt énumérait récemment 45 des pires épisodes de cette présidence Zeman, dont les liens avec des proches de Vladimir Poutine, ses attaques envers le contre-espionnage tchèque - qui a pourtant dévoilé l’implication des services russes dans des explosions d’entrepôts de munitions sur le territoire national - ou encore sa tentative avortée de prise de pouvoir au lendemain d’élections législatives dont le résultat lui convenait peu.
Fin de règne embarrassante
Très hostile à la presse, celui qui fut aussi jadis Premier ministre du pays estime que ce sera aux citoyens de juger son bilan. Premier chef d’Etat élu au suffrage universel direct, il sera en tout cas le deuxième, après Václav Klaus donc, à illustrer ce que le premier président tchèque, Václav Havel, a remarquablement bien décrit dans sa dernière pièce de théâtre : une fin de règne embarrassante, teintée dans son cas de sorties misogynes et xénophobes - et d’autant plus laborieuse qu’à 78 ans, Miloš Zeman, buveur et fumeur invétéré, termine sa présidence sur un fauteuil roulant à cause d’une santé défaillante.
Mis sur la touche pendant la récente présidence tchèque de l’Union européenne, le chef de l’Etat a dû assister impuissant au changement de cap de la politique étrangère du pays sous l’impulsion d’un nouveau gouvernement qui a fait de son soutien à l’Ukraine et à Taïwan deux de ses principales priorités.
Le politologue Lukáš Macek revient sur la carrière et le bilan de celui qui s’est fait connaître du grand public pendant la révolution de Velours de 1989 :
« Vu la longueur et la diversité de sa carrière politique, je pense que chacun retiendra ce qu’il préfèrera. Même s’il y a une certaine continuité liée à sa personnalité, il y a quand même des épisodes qui font douter qu’il s’agisse de la même personne à chaque fois. »
« Certains retiendront l’orateur efficace en 1989 et le député du Forum civique, avec un Miloš Zeman un peu différent du leader de l’opposition dans les années 1990 puis le Premier ministre qui a contribué à l’adhésion de la Tchéquie à l’UE. »
« Ensuite il y a Miloš Zeman président, un personnage aux idées, pratiques politiques et propos pour le coup très décalés – malgré une certaine continuité – par rapport à ce qu’il défendait. Avec une certaine ressemblance dans l’évolution avec Václav Klaus, il y a un parallélisme dans l’évolution de ces deux personnalités qui est assez frappante. »
« Malheureusement pour lui, ce qu’on va retenir beaucoup aussi est l’entourage qu’il a amené avec lui au Château de Prague qui a lourdement contribué selon moi à façonner son image et à creuser ce fossé entre ses partisans et adversaires »
« Pour ceux qui se concentrent uniquement sur cette séquence présidentielle, ce qu’ils vont retenir sans doute sont ces gestes parfois difficiles à comprendre en direction de la Chine et de la Russie. Tout ça suivi d’une volte-face spectaculaire concernant la Russie au lendemain de l’agression contre l’Ukraine. »
« Malheureusement pour lui, ce qu’on va retenir beaucoup aussi est l’entourage qu’il a amené avec lui au Château de Prague qui a lourdement contribué selon moi à façonner son image et à creuser ce fossé entre ses partisans et adversaires », conclut Lukáš Macek.
Un chancelier sans habilitation de sécurité et un conseiller avec photo de Poutine
Force est effectivement de constater que le cercle rapproché de Miloš Zeman ne l’a pas aidé à améliorer son image, laborieusement défendue par Jiří Ovčáček, son porte-parole aussi teigneux qu’infatué. Un de ses collaborateurs les plus proches, Martin Nejedlý, a travaillé pour le groupe russe Lukoil et arborait un temps la photo de Vladimir Poutine sur la coque de son téléphone. Il a formé avec le chancelier (titre du chef de cabinet du président) Vratislav Mynář un duo que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de « casseurs-flotteurs » du Château de Prague, le siège officiel de la présidence de la République.
Vratislav Mynář n’a jamais réussi à obtenir l’habilitation de sécurité normalement requise à ce niveau de l’administration d’Etat. Il cumule une ribambelle d’affaires plus risibles et scandaleuses les unes que les autres.
Encore récemment, un épisode lié à une tente de réception du Château de Prague pour utilisation au pied de sa piste de ski privée a fait place à une autre affaire de chasse illégale dans les bois de la résidence présidentielle avant qu’il n’évoque lui-même la disparition suspecte de bouteilles d’alcool dans la réserve présidentielle. Il y a eu plus grave, comme le passage à la déchiqueteuse de documents classés secret-défense et il y a ce qu’on ne sait pas encore.
Pour revenir à l’épisode farfelu de la tue-cochon : Vratislav Mynář en a organisé une pendant l’état d’urgence et le confinement. Soupçonné d’infraction, il a invoqué l’état de santé du cochon pour justifier la ripaille.
Par une formule qui pourrait peut-être illustrer la décennie passée, le chancelier s'est défendu : « Il n'y avait pas d'amis, mais des parents, des collègues proches et le boucher ».
A défaut d’amnistie générale, Miloš Zeman a, à la veille de son départ, accordé la grâce présidentielle à ESB, une société condamnée pour fraude dans un marché public concernant des travaux au château de Lány, la résidence du président...
Alors qu’il ne reste que quelques heures (égrenées sur un compte à rebours en ligne depuis plusieurs années) avant la fin de son mandat, cette décision sera donc peut-être le dernier geste politique de celui remplacé dès demain jeudi par Petr Pavel.