Des classes séparées pour les enfants roms ? L'idée d’une sénatrice tchèque qui passe mal
Lors d’une intervention devant la Chambre haute du Parlement, la semaine dernière, la sénatrice Jana Zwyrtek Hamplová a qualifié la mixité des élèves roms et non roms dans les écoles « d’idée irréalisable ». Selon elle, des classes séparées permettraient aux enfants roms d'avoir de meilleures chances de réussir. Des propos qui ont suscité de vives critiques dans un pays où la ségrégration scolaire reste, pourtant, souvent critiquée par les institutions internationales.
« Du pur racisme », selon le ministre de l’Intérieur, des déclarations « contraires à l’éthique » selon l’organisation Romea ou encore « inacceptables » selon la ministre déléguée chargée des questions relatives à la minorité rom. Qu’il s’agisse des politiciens des différents partis de la coalition gouvernementale, des ONG ou encore de bien d’autres institutions, tous ont unanimement condamné les propos de Jana Zwyrtek Hamplová, sénatrice sans étiquette, dont voici la teneur :
« Les enfants doivent être regroupés. Qu’ils soient roms, tchèques, et ainsi de suite. C’est une belle idée, mais qu'il est impossible à réaliser dans la réalité, car nous ferions du tort aux enfants qui ne sont pas habitués à une certaine ethnie. Peut-être que si des classes séparées étaient créées pour les enfants roms, cela permettrait l'égalité des chances pour le futur. Il ne s’agit pas de discrimination, mais au contraire d’une démarche tout à fait sensée. »
Pour replacer cette déclaration dans son contexte, Jana Zwyrtek Hamplová, désinformatrice habituée des prises de position controversées, s’est exprimée lors d’un débat au Sénat relatif à l’élargissement des pouvoirs du médiateur de la République, appelé ombudsman en République tchèque. Elle a consacré la majeure partie de son intervention à critiquer la discrimination dont seraient victimes les personnes non vaccinées contre la Covid-19, mais a conclu en élargissant son propos à l’éducation mixte, qu’elle considère donc comme un échec sur toute la ligne :
« J’appelle à faire preuve de bon sens. Je pense que la République tchèque pourrait traiter ces questions à l’intérieur de ses frontières, sur la base de certaines de ses expériences, de ses tendances, de ses traditions et de ses coutumes. Nous pourrions ainsi peut-être servir d’exemple à l’Union européenne pour ce qui est de la manière dont nous savons aménager ces choses-là chez nous. »
Dans l’ensemble, les experts estiment que les classes et les écoles séparées privent les enfants roms du principe d'égalité des chances et aggravent la discrimination. Directeur de l’Agence pour l’inclusion sociale, Martin Šimáček affirme que « l’expérience dans les endroits où l’intégration des enfants est une réussite montre qu’elle a un effet positif sur les deux parties ». Comprendre pour les élèves roms comme pour les élèves non roms. Il reconnaît toutefois que rien n’est facile.
De fait, depuis déjà de nombreuses années, experts, organisations de protection des droits de l’homme et institutions internationales critiquent régulièrement la République tchèque pour la ségrégation des enfants roms. Il y a quelques semaines encore, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, qui est un établissement du Conseil de l’Europe, a déclaré que la République tchèque n’avait réalisé que peu de progrès en matière d’intégration.
En 2012, cinq ans après un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme qui avait reconnu la République tchèque coupable de bafouer le droit des enfants roms à une éducation sans discrimination en les plaçant dans des écoles dites « spéciales », le Letton Niels Muižnieks, qui occupait alors les fonctions de commissaire aux droits de l’homme au Conseil de l’Europe, avait ainsi reconnu, au micro de Radio Prague International, que les choses peinaient à évoluer dans le bon sens en République tchèque, tout en admettant aussi qu’en matière de ségrégation scolaire, la situation n’était pas propre à cette dernière :
« On la retrouve dans beaucoup de pays européens. On assiste presque partout à une ségrégation et à une marginalisation des Roms. Ici, on est dans une situation avec un système d’éducation séparée. Cela existe également ailleurs, la différence en République tchèque est qu’il s’agit déjà de la deuxième génération. Beaucoup de parents ont fréquenté ces écoles spéciales. L’effet du système est donc assez profond ici. Mais encore une fois, nous sommes confrontés à ce même défi dans un grand nombre de pays. Ce n’est donc pas uniquement un problème tchèque. »
Au-delà des murs des établissements scolaires, les Roms restent la minorité la moins sympathique de toutes pour une grande majorité de Tchèques. Selon des sondages d'opinion réguliers, peu nombreux sont ceux qui verraient d’un bon œil le fait de devoir vivre au quotidien avec des Roms dans leur proche voisinage.
Une réalité que confirme l’ancien journaliste d’origine rom Patrik Banga, auteur du roman « Skutečná cesta ven » (littéralement « La véritable voie pour s’en sortir »), dans lequel il raconte son enfance et son adolescence passées au sein de la communauté rom dans le quartier pragois de Žižkov dans les années 1990, après la chute du régime communiste. Son ouvrage, qui a rencontré un très grand succès au point de faire l’objet d’une récente réédition, fait partie des favoris pour le prix du meilleur livre tchèque de l’année 2022, qui sera décerné prochainement. Pour lui, même si les choses tendent lentement à s’améliorer, entre autres grâce à l’inlassable action des organisations non gouvernementales, la ségrégation, et pas seulement scolaire, fait toujours partie du quotidien d’une majorité de Roms :
« Malheureusement, et les enquêtes d’opinion en attestent régulièrement, il y a encore des divisions très nettes, mais je suis optimiste et je pense que dans quelques décennies, la situation sera différente. J’espère que nous pourrons y contribuer en montrant aux non-Roms un aperçu de la communauté rom, car beaucoup de gens ont une opinion sur les Roms sans même en connaître ne serait-ce qu’un seul. »