In memoriam : Dana Němcová, grande figure féminine de la dissidence tchèque
Psychologue et une des plus grandes personnalités du mouvement d’opposition au régime communiste dans l’ancienne Tchécoslovaquie, Dana Němcová est décédée ce mardi à Prague, à l’âge de 89 ans. Portrait.
« Mes racines sont dans la région des Sudètes. Je suis née à Most, dans la ville historique qui n’existe plus aujourd’hui. Mais j’ai passé mon enfance dans une autre ville à laquelle je reste beaucoup plus attachée, à Nové Město nad Metují. Nous sommes revenus vivre dans cette région frontalière des Sudètes en 1945, car mon père y a participé à la mise en place d’écoles tchèques. Je n’aime pas cette région, d’où les Allemands de Tchécoslovaquie ont été violemment expulsés après la guerre », s’est souvenue Dana Němcová dans l’un de ses derniers entretiens accordés à la Radio tchèque.
« J’étais contente de pouvoir partir à Prague, pour faire des études de psychologie et de philosophie. Cela a été important pour moi, car j’ai rencontré à l’université mon futur mari, Jiří Němec. Nous avons eu sept enfants et j’ai vécu à ses côtés toutes les péripéties de ma longue vie. »
Dana et son mari, le philosophe Jiří Němec (1932-2001), ont figuré parmi les initiateurs du mouvement dissident dans l’ancienne Tchécoslovaquie.
En 1976, après l'arrestation des membres du groupe underground The Plastic People of the Universe, Dana organise une pétition en leur faveur. Les conséquences sont immédiates : elle ne pourra plus exercer son métier de psychologue et sera reléguée au travail de femme de ménage et de concierge. Un an plus tard, les Němec deviennent, avec une poignée d’amis, parmi lesquels un certain Václav Havel, les initiateurs et les premiers signataires de la Charte 77, ce document fondamental de l’opposition au régime communiste.
En 1978, ils contribuent à la fondation du VONS, le Comité de défense des personnes injustement poursuivies. Ses activités valent à Dana Němcová plusieurs mois d’emprisonnement, pendant lesquels ses amis s’occupent des plus jeunes de ses enfants, tandis que les aînés, la future diplomate Markéta Fialková et son frère photographe Ondřej Němec, s’impliquent, eux aussi, dans le mouvement de dissidence.
« Je ne regrette pas cette expérience non plus. En prison, j’ai réalisé combien il était important d’avoir de bons amis. J’ai ressenti un vrai soutien », a déclaré plus tard Dana Němcová, en ajoutant, sur un ton plus léger, que grâce à la prison, elle a eu sa première machine à laver, cadeau que lui ont offert à cette époque ses amis.
L’appartement des Němec, situé rue Ječná, au centre de Prague, et étroitement surveillé par la police secrète communiste, était jusqu’à la révolution de Velours un lieu de rencontre important de la communauté dissidente.
Sociologue et auteure du livre « Bytová revolta » (La Révolte d’appartement) Marcela Linková a expliqué pour Radio Prague Int. en quoi consistait exactement l’engagement de Dana Němcová, porte-parole de la Charte 77, et des autres femmes opposantes aux régime communiste :
« L’activité la plus importante et la plus dangereuse était la fonction de porte-parole de la Charte. Un tiers des porte-paroles ont été des femmes, ce qui est un nombre très élevé. Certaines femmes ont assumé cette fonction deux fois de suite. »
« Les femmes ont participé aussi à toutes les activités de la Charte. Elles préparaient et copiaient des textes et des documents, participaient à des manifestations, rédigeaient des pétitions, ce qui était très important, témoignaient devant les tribunaux, travaillaient dans le cadre du Comité de défense des personnes injustement poursuivies. »
« Beaucoup d’entre elles maîtrisaient des langues étrangères et elles communiquaient donc avec des journalistes. En plus, elles s’occupaient aussi d’activités considérées comme plutôt féminines, elles recevaient des visites et faisaient le ménage après le départ des invités, cherchaient à soutenir émotionnellement les gens venus à Prague des petites villes et des villages. »
Après la chute du régime totalitaire en novembre 1989, Dana Němcová s’est engagée en politique, mais elle a surtout continué à défendre les droits de l’Homme et à aider les personnes en détresse, que ce soit au sein du Comité de bonne volonté, une ONG caritative créée par la première épouse du président Havel, ou encore en apportant un soutien psychologique aux réfugiés.
Fine observatrice du monde, Dana Němcová avait confié l’année dernière à la Radio tchèque son inquiétude vis-à-vis de l’agression russe contre l’Ukraine. « Je supporte mal le populisme, le mensonge et la haine », a-t-elle déclaré, tout en formulant un message plus personnel et plein d’espoir :
« Ce que j’ai surtout appris dans ma vie, c’est à être patiente. Ne pas s’attendre à des solutions rapides et évaluer ma situation dans un contexte plus large. (…) Toute vie doit comporter de nombreux changements. Nous devons changer, nous intéresser à de nouveaux événements et contextes, et essayer de les comprendre, car d’une manière ou d’une autre, ils déterminent notre existence. Moi-même, je suis curieuse de chaque changement. »
Le Premier ministre tchèque, la présidente de la Chambre des députés, ou encore le maire de Prague, ville dont Dana Němcová était la citoyenne d’honneur, ont tous rendu hommage à « une personnalité exceptionnelle », « une femme particulièrement courageuse et persévérante ».