Face à la hausse de la TVA à 21 %, les peurs de la presse quotidienne tchèque
À compter de 2024, selon le plan d’austérité présenté récemment par le gouvernement, la TVA auquel est soumise la presse papier quotidienne en République tchèque devrait passer d’un taux de 10 à 21 %. En plus de menacer économiquement un peu plus encore les journaux, cette mesure, selon ses critiques, favorisera la diffusion de la désinformation.
Parmi toutes les mesures annoncées, le 11 mai, par le gouvernement dans le cadre de son vaste plan d’assainissement des finances publiques, la hausse prévue de la TVA à laquelle est soumise la presse quotidienne, au taux de base de 21 %, figure parmi celles qui ont été particulièrement commentées. Beaucoup s’inquiètent des menaces que l’application de cette augmentation fera peser sur un secteur déjà très fragilisé sur le long terme par l’érosion des ventes et des revenus qui en découlent (publicité), l’explosion des coûts (papier, énergie, distribution...) et, bien évidemment, la concurrence d’Internet.
Dans le paysage médiatique tchèque comme ailleurs dans le monde, la presse écrite est une espèce en voie de disparition. PDG de Czech News Center, un des plus grands groupes de presse existants en République tchèque (dont Daniel Křetinský détient 50 % des actions), et présidente du conseil d’administration de l’Union des éditeurs, Libuše Šmuclerová explique donc pourquoi elle et ses collègues ne comprennent pas bien la mesure envisagée :
« Tout ce que le gouvernement a proposé peut être compris. Nous comprenons qu’il convienne d’assainir les finances publiques. Mais il faut que les décisions prises aient un sens. Dans le cas des journaux, cette logique économique n’existe pas, car, dans l’état actuel des choses, cette hausse de la TVA sur les quotidiens ne rapportera au gouvernement qu’environ 160 millions de couronnes (6,8 millions d’euros). C’est un chiffre qui ne représente pas grand-chose et ce d’autant moins qu’il diminuera encore une fois que les ventes des quotidiens auront baissé en raison de l’augmentation de leurs prix. »
Dans le secteur de la presse imprimée, l’augmentation de la TVA, qui comme toutes les autres mesures du paquet de consolidation budgétaire doit encore être examinée par le Parlement, ne concernera que la presse quotidienne. Les magazines, eux, resteront soumis à un taux réduit (légèrement augmenté à 12 % en raison de l’unification des deux taux réduits existants, contre 10 % actuellement), tandis que les livres en seront nouvellement exonérés.
Mais au-delà de l’aspect purement économique, comme Libuše Šmuclerová, beaucoup redoutent que ce qui est parfois considéré comme un coup de grâce porté aux quotidiens nuise aussi à la qualité de l’information en République tchèque :
« Le rôle des médias n’est pas le même que celui des autres produits. Les médias ne sont pas seulement un des piliers de la démocratie et je veux croire que l’idée du gouvernement n’est pas de remettre en cause cette position, même si sa politique pourrait le laisser penser. Les médias, et les quotidiens notamment, jouent un rôle important aussi dans la lutte contre la désinformation. En République tchèque, ce sont les quotidiens qui possèdent, et de très loin, les équipes de journalistes les plus importantes. Donc, logiquement, si leur situation économique se détériore, ils seront contraints de faire des économies, ce qui entraînera des réductions d’effectifs. Le rôle de rempart des quotidiens contre la désinformation sera alors gravement menacé. »
Un avis que ne partage cependant pas le ministre de la Culture, Martin Baxa, membre du parti conservateur ODS. Selon lui, non seulement certains magazines assurent eux aussi cette fonction de garde-fou, mais les médias publics, à travers leurs sites en ligne, jouent un rôle-clé dans l’indépendance de l’information :
« Je ne pense pas que le fait que les magazines soient soumis à un taux de 12 % et les quotidiens à un taux de 21 % constitue une attaque frontale contre la lutte contre la désinformation. Je ne vois pas de lien entre l’achat de journaux et le fait de suivre des sites de désinformation gratuits. Qu’il s’agisse de la Télévision tchèque ou de la Radio tchèque, je pense que les médias publics jouent un rôle bien plus important. »
Un discours proche de celui du Premier ministre, Petr Fiala, selon qui « les gens s’informent par le biais d’Internet, les médias publics sont libres d’accès » et qui, par conséquent, ne voit pas de « risque de catastrophe ».
Chargée de « la transparence et des valeurs », et très attentive à l’évolution de la scène médiatique en Europe centrale, la vice-présidente de la Commission européenne, la Tchèque Věra Jourová, a néanmoins elle aussi critiqué le projet du gouvernement qui, selon elle, menace essentiellement les titres régionaux. Appelant à ne pas « laisser mourir les journaux », évoquant même « une liquidation de la presse », elle a souligné que le taux de TVA auquel devraient être soumis les quotidiens tchèques est un des plus élevés au sein de l’Union européenne, alors que la Commission recommande d'appliquer des taux très réduits, et que pas même des pays comme la Hongrie ou la Pologne n’avaient osé prendre de mesure semblable.