80 ans depuis le massacre par les nazis d’un village tchèque en Ukraine
Le 13 juillet 1943, environ 374 Tchèques et 26 Polonais ont été assassinés par des soldats nazis dans le village de Český Malín, dans la région de Volhynie, à l’ouest de l’Ukraine. La raison du massacre reste encore floue à ce jour.
Encore aujourd’hui, alors que l’invasion russe fait rage, l’Ukraine compte toujours une minorité de locuteurs tchèques, dont la majorité s’est installée dans la région de Volhynie, à l’ouest de l’Ukraine, durant la seconde moitié du XIXe siècle. Ces Tchèques de Volhynie, comme on les appelle, ont quitté l’Autriche-Hongrie pour l’Empire russe à partir de la fin des années 1860, fuyant l’oppression à la recherche de la prospérité en Russie.
Ils ont été accueillis par le tsar Alexandre II, qui avait besoin de travailleurs agricoles qualifiés pour cultiver et réinstaller les vastes terres inexploitées de ce qui est aujourd’hui l’Ukraine occidentale, qui avaient été confisquées à des aristocrates polonais ayant participé à l’insurrection de janvier 1863 contre le régime tsariste.
Les Tchèques de Volhynie ont fondé des villages et des communautés prospères dotés d'écoles, d’églises et de bibliothèques, dont certains étaient situés à proximité de villages ukrainiens existants. Les noms tchèques locaux des villages ont été formés en prenant les noms des villages ukrainien d’origine et en ajoutant le mot « Český » (tchèque, ndlr), comme c’était le cas avec Český Malín.
Le début du XXe siècle n’a pas été facile pour les habitants de Český Malín. Après la Première Guerre mondiale, Český Malín est devenu partie intégrante de l’Union soviétique, et soumis à la politique centralisée du gouvernement soviétique à l’encontre des minorités. L’éducation, la culture ou la religion tchèques ont été limitées, et beaucoup ont perdu leurs biens, leur foyer ou ont été envoyés dans les goulags. En 1938, une interdiction totale de l’enseignement en tchèque ou sur la langue tchèque a été décrétée.
En 1941, la Volhynie est occupée par l’Allemagne nazie et le 13 juillet 1943, 1 500 soldats entrent dans le village.
Ce qui s’est passé ensuite est un récit malheureusement trop familier des crimes de guerre qui se sont répétées à maintes reprises pendant la Seconde Guerre mondiale et qui se reproduisent aujourd’hui en Ukraine. Comme à Oradour-sur-Glane en 1944, les femmes, les enfants et les personnes âgées ont été brûlés vifs. Les seuls survivants du village étaient quelques personnes qui étaient parties tôt le matin pour se rendre au marché, ainsi que 20 hommes que les nazis on gardés en vie car ils avaient besoin d’eux pour charger et transporter les biens qu’ils avaient pillés.
L’un de ces hommes était Josef Alois Martinovský, qui a raconté les événements dans son livre de 1945 intitulé « La chronique de Český Malín »:
« Les Allemands ont séparé les hommes des femmes et des enfants. Derrière nous, principalement des mitraillettes, devant nous, des baïonnettes. Nous ne comprenons pas ce qui se passe, nous attendons tous anxieusement de savoir ce qui va se passer. Le fils de six ans de Jaroslav Stuchlý, qui se tenait près de sa mère en pleurant tout le temps, se détache soudain d’elle, court vers l’un des soldats et le supplie: ‘S’il vous plaît, monsieur, ne tuez pas mon papa’. »
En 1944, des officiers d’une unité militaire tchécoslovaque en URSS ont créé une commission chargée de rédiger un rapport sur les événements de Český Malín, à partir du témoignage de survivants. Cet extrait du rapport fournit davantage de détails sur les atrocités commises :
« Les Allemands ont d’abord encerclé le village ukrainien de Malín, puis le village de Český Malín. Ils sont allés dans chaque maison et, sous prétexte de vérifier les papiers des personnes, ils ont aligné tous les habitants du village dans la rue, du plus jeune au plus vieux, du plus sain au plus malade. Ceux qui ne pouvaient pas marcher étaient transportés. Ils ont regroupé les gens et les ont conduits de force, sous la menace des armes, jusqu’à un champ. Là-bas, ils ont séparé les enfants, les femmes et les personnes âgées des hommes et des jeunes. Ensuite, ils ont rassemblé tous les hommes et certaines femmes en groupes dans l’église, l’école et d’autres bâtiments, qu’ils ont arrosés de liquides inflammables avant d’y mettre le feu. Ceux qui tentaient de s’échapper ou de sauter par les fenêtres ont été abattus. »
L’un des survivants du massacre était Josef Řepík, âgé de huit ans à l’époque. Il était parti tôt le matin aux champs avec son père. Des années plus tard, il a raconté pour le projet Paměť národa (Mémoire de la nation) comment une Polonaise les a arrêtés en chemin et les a avertis qu’il ne fallait pas retourner au village car des soldats étaient en train de semer la terreur. Ils ont suivi son conseil et se sont cachés dans la forêt, ne revenant au village que trois jours plus tard :
« A notre retour, il ne restait que des cendres. Notre grange et nos écuries avaient été totalement incendiées. Les moutons avaient été enfermés dans une remise et n’ont réussi à s’échapper que lorsque la porte s’est effondrée dans l’incendie. Leur peau était brûlée sur le dos, notre chien a également subi des brûlures. Dans le hall, nous avons retrouvé ma grand-mère. Elle n’était pas capable de marcher, alors ils l’ont poignardée avec une baïonnette. Elle avait 77 ans. Ils ont abattu un canard, allongé ma grand-mère sur un banc et placé le canard sous sa tête. Cela ne leur avait pas suffi de la tuer : ces barbares avaient besoin de se moquer de la mort de personnes âgées. »
Des questions sans réponses
Jusqu’à ce jour, la question demeure de savoir pourquoi le village de Český Malín a été choisi : pourquoi les nazis ont-ils décidé d’anéantir un village tchèque qui fournissait des denrées alimentaires dont les Allemands avaient besoin ?
Les raisons du massacre restent encore floues, mais les historiens pensent aujourd’hui qu’il s’agirait d’une erreur : les soldats nazis étaient chargés de détruire le village voisin ukrainien de Malín et l’auraient confondu avec le village tchèque. C’est en effet ce qu’ils ont eux-mêmes affirmé par la suite. Cependant, aucun document n’a été retrouvé dans les archives de Kyiv qui permettrait d’éclaircir cette question.
Une tragédie oubliée
Sur la base d’un accord entre la Tchécoslovaquie et l’URSS, 40 000 Tchèques de Volhynie ont été relocalisés en Tchécoslovaquie après la guerre, principalement dans des régions abandonnées après l’expulsion des Allemands des Sudètes. Mais loin d’être accueillis favorablement, ils ont dû faire face à de nombreuses persécutions à leur retour.
Les autorités communistes n’appréciaient pas les récits des Tchèques de Volhynie sur la vie sous le régime de Staline. Au lieu d’être honorés et récompensés pour leur lutte contre les nazis, beaucoup d’entre eux ont été persécutés et ont été victimes de procès politiques.
Ceci explique également que l’histoire de la tragédie de Český Malín soit restée largement oubliée pendant plus de 45 ans. Ce n’est qu’après la chute du communisme que le grand public en a pris connaissance. En 1998, un monument a été érigé dans le village de Malín pour rappeler la mémoire des victimes.