La Cendrillon tchèque, héroïne insoumise d’un film devenu culte
Comme tous les ans le 24 décembre, les Tchèques ont à nouveau regardé le conte de fées Trois noisettes pour Cendrillon (Tři oříšky pro Popelku) dont on célèbre cette année les 50 ans. Film culte qui a même donné lieu à un remake norvégien en 2021, tant il est apprécié hors des frontières de la Tchéquie, dans les pays germanophones et scandinaves notamment, cette variante bien plus pétillante et originale que la Cendrillon des frères Grimm ou de celle de Walt Disney continue d’agrémenter les fêtes de fin d’année en Tchéquie. Radio Prague Int. a discuté de ce phénomène des contes de fée télévisés et de Popelka en particulier avec l’historien des médias, Petr Bednařík.
La meilleure preuve de réussite d’une œuvre d’art n’est-elle pas sa faculté à être appréciée par-delà les frontières certes, mais aussi par-delà les années ? A l’échelle de l’histoire relativement courte du Septième art, il est intéressant de voir comment un conte de fée filmé comme Trois noisettes pour Cendrillon continue à séduire les spectateurs un demi-siècle après sa création : une des recettes, et non des moindres, étant que tout conte de fée qu’il soit avec ses codes a priori convenus de belles robes de princesses et de prince charmant, la Popelka de Václav Vorlíček a même le potentiel de séduire jusqu’aux jeunes femmes d’aujourd’hui aux aspirations féministes et égalitaires. S’il est inspiré de la nouvelle version du conte de Božena Němcová, issue des cercles de la renaissance nationale du XIXe siècle, sa version cinématographique en diverge fortement.
Servi par une Libuše Šafránková plus que convaincante dans le rôle qui l’a rendue célèbre, ce film est une adaptation pleine de poésie, qui met en scène une Cendrillon dégourdie, malicieuse voire insolente. Les paysages du film, tourné en Saxe voisine dans le cadre d’une coproduction avec la RDA, contribuent aussi également grandement à la magie de l’histoire, comme le constate l’historien des médias Petr Bednařík :
« Je pense qu’une des clés du succès de Popelka ce sont en effet, outre Libuše Šafránková, les autres acteurs. Mais ce qui joue également, c’est le fait que cela se déroule en hiver. Pourtant le scénario était écrit pour une Cendrillon estivale. Mais la production est-allemande avait besoin que le cadre soit hivernal, donc le tournage a été décalé. C’était très inhabituel pour les contes de fée qui, jusqu’à ce jour, sont toujours tournés en été. L’hiver, la neige, les paysages ont joué un rôle important pour les spectateurs qui, en plus, peuvent faire plus facilement le lien avec la période de Noël à laquelle le conte est diffusé. »
Cendrillon, une badass qui trace son chemin
Mais outre les paysages enneigés, il y a aussi et surtout, la personnalité de cette Cendrillon pas comme les autres. Insoumise face à une marâtre autoritaire et une demi-sœur pleine de mépris, Popelka, elle, n’a rien d’une jeune fille rangée : elle tire à l’arbalète et fait du cheval comme un garçon, héritage d’un père défunt qui manifestement avait mal choisi sa deuxième épouse, mais pensait que la place d’une fille était ailleurs qu’aux fourneaux.
Las, Popelka aussi y est cantonnée pour les besoins du canon de l’histoire, d’où son surnom, mais elle bénéficie de l’aide bienveillante d’un intendant taiseux et aussi d’animaux divers, comme des tourterelles, une chouette et un cheval qui la comprend. Même avec le coup de pouce de la magie, indissociable des contes, elle est actrice de son destin et séduit ainsi son prince tant par son adresse que son charme, et grâce à des tenues plus appropriées que ses haillons, toutes tombées de la coquille de trois noisettes magiques.
Davantage qu’avec ses deux robes magnifiques de princesse – l’une de bal, l’autre de noces –, l’espiègle et courageuse Cendrillon tchèque semble véritablement elle-même dans son costume de jeune chasseur androgyne, tout aussi à l’aise pour chasser l’épervier que pour se repérer dans les bois et déjouer les tentatives du prince pour la retrouver.
A côté d’elle, le prince, aussi joli cœur soit-il, est décrit comme un cancre, plus intéressé par le cheval et la chasse que par les études, un jeune homme auquel elle tient la dragée haute pendant tout le film. L’amour de Cendrillon, ce prince doit le mériter, comme le montre bien la fin de l’histoire où celle-ci, loin de lui sauter directement dans les bras après avoir enfilé sa pantoufle perdue, lui demande de résoudre enfin, les énigmes qu’elle lui avait posées au bal. C’est l’amour suscité par Popelka qui, peut-on l’espérer, fait finalement mûrir le prince, charmant comme il se doit, mais un peu benêt…
Cet aspect très particulier de la personnalité de Cendrillon, éloignée des clichés habituels, les critiques ne s’y sont pas trompés à l’époque non plus, comme le note Petr Bednařík :
« Ce qui a tout de suite frappé les esprits, et les critiques, que ce soit en Tchécoslovaquie ou à l’étranger, c’est la façon dont est représentée Cendrillon. Ce n’est pas une jeune fille passive, c’est elle qui trace son chemin toute seule, elle prend des décisions pour elle-même. Dans les contes de fée traditionnels, le personnage principal féminin est dans une situation d’attente : elle attend le prince qui doit la sauver. Ce film, lui, montre qu’une jeune héroïne comme Cendrillon peut réagir de manière totalement différente aux circonstances. »
C’est aussi donc cela qui fait la force d’une histoire qui a su voyager dans le monde et toucher de nombreux pays, nombre d’entre eux ayant des liens plus ou moins forts avec le régime communiste tchécoslovaque d’alors :
« Ce qui est intéressant, c’est que ce film s’est vendu dans 28 pays du monde, jusqu’en Algérie, en Iran, en Islande, en Tanzanie… Il a été présenté avec succès dans des festivals en Inde. Ce conte a été filmé de telle sorte que même en étant issu d’une culture totalement différente, on peut l’apprécier. »
Si aujourd’hui, les téléspectateurs tchèques sont habitués à voir la grille de programme de pratiquement toutes leurs chaînes habituelles aligner les contes de fée à Noël, il n’en a pas toujours été ainsi. Et en tout cas, pas à l’époque du tournage et de la diffusion de Trois noisettes pour Cendrillon :
« Nous sommes aujourd’hui habitués au fait qu’à Noël, les contes de fée se succèdent du matin au soir sur le petit écran, mais dans les années 1970 et 1980, la Télévision tchécoslovaque n’en diffusait pas autant, tout au plus deux par jour. Donc un conte de fée comme Trois noisettes pour Cendrillon, malgré son succès évident, ne passait à la télévision qu’une fois de temps en temps, plusieurs années ayant pu s’écouler depuis la dernière diffusion. C’est dans les années 1990 que sa diffusion tous les ans le 24 décembre est devenue une sorte de tradition. »
Il y aurait encore beaucoup à dire sur les raisons pour lesquelles les contes traditionnels écrits, ou leur version filmée, ont tant de succès en pays tchèques : échappatoires folkloriques au XIXe siècle servant à réhabiliter la culture tchèque ou refuge des cinéastes sous le communisme, limités dans leur liberté d’expression, mais aussi des spectateurs ayant besoin de rêver un peu, les contes tchèques sont plus que de simples histoires, et plus que des récits destinés aux enfants, comme nous l’avions relaté ici il y a quelques années.
Grand-messe œcuménique familiale, le visionnage actuel de Trois noisettes pour Cendrillon lors des fêtes de fin d’année a en tout cas le double avantage d’être à la fois une madeleine de Proust pour les adultes et une découverte tout à fait acceptable pour une jeune génération par ailleurs biberonnée aux films Disney, Pixar ou mangas.
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