Après la tuerie du 21 décembre, la communauté universitaire en période de deuil et de transition
Avant le début officiel du second semestre universitaire en février, diverses manifestations mais aussi des travaux importants sont prévus en vue de la réouverture de la Faculté des Lettres à Prague, où un étudiant a ouvert le feu le 21 décembre dernier faisant 14 victimes et de nombreux blessés.
Comment réinvestir un lieu littéralement entaché par une tragédie de l’ampleur de celle qui a frappé la Faculté des Lettres le 21 décembre dernier ? Comment faire en sorte que les étudiants, le personnel enseignant et les employés endeuillés, traumatisés, se réapproprient ce lieu d’ordinaire banalement quotidien et devenu depuis, celui de la plus grand tuerie de l’histoire tchèque récente ? Certaines cultures traditionnelles ou historiques ont – ou avaient – des rituels codifiés pour permettre ce genre de transition. Sans même parler très concrètement des travaux nécessaires, à quels mécanismes avoir recours dans une société contemporaine majoritairement sécularisée ?
C’est probablement cette réflexion qui a mené la direction de l’Université Charles à aménager une période de transition entre les deux semestres universitaires, avec divers événements et manifestations prévus aux abords de la Faculté des Lettres. La semaine dernière déjà, 15 jours exactement après la tuerie, une marche avait donné lieu à une grande chaîne humaine symboliquement formée autour du bâtiment. Appelé « Transfert de lumière », ce rassemblement en mémoire des victimes a ouvert une série de manifestations qui se doivent se tenir tout au long des prochaines semaines et doivent aboutir au retour des étudiants et à la reprise des cours. Une flamme allumée ce même jour doit également brûler tout au long du mois de janvier. Les bougies en hommage aux victimes ont été collectées par des étudiants la semaine dernière : il est possible qu’un mémorial voie le jour à partir de ces bougies.
D’ici là, la priorité à l’intérieur du bâtiment est à son réaménagement et aux réparations afin qu’il soit prêt à accueillir la communauté universitaire dans un peu plus d’un mois comme le rappelle la doyenne de la faculté des Lettres, Eva Lehečková :
« A l’heure actuelle, une des priorités est de remettre le bâtiment en état. C’est un vieux bâtiment qui a une valeur patrimoniale et donc qui nécessite des travaux spécifiques. Il faut savoir que lors de l’intervention de la police, plus de 130 portes ont été détruites qu’il est nécessaire de réparer voire de remplacer. Cela va coûter plusieurs millions et nous n’avons même pas encore calculé la facture de l’ensemble des travaux. Le bâtiment reste également fermé parce que nous ne sommes pas capables d’assurer la sécurité de diverses données sensibles qui se trouvent dedans. Nous avons établi la liste des travaux à faire, les diverses commandes et devis ont été faits et nous allons ensuite préparer la réouverture du bâtiment. »
Concrètement, la réouverture est prévue le 19 février prochain et ce, conformément au calendrier initial marquant le début du deuxième semestre. L’enseignement sera dispensé dans tous les bâtiments de la faculté, y compris le bâtiment principal situé sur la place Jan Palach. La seule exception concerne le quatrième étage du bâtiment, qui restera probablement fermé pendant tout le deuxième semestre. C’est en effet dans les hauteurs que s’est déroulée une grande partie de la cavale meurtrière de l’étudiant de 24 ans, responsable de la mort de 14 personnes et d’en avoir blessé, pour certains grièvement, 25 autres.
La période d’examens se déroulera comme prévu par le calendrier universitaire, mais se fera sur la base du volontariat, pas de leur annulation. Selon Eva Lehečková, le caractère volontaire des examens réside dans le fait que les étudiants pourront échelonner les épreuves afin de les passer plus tard. Outre les aspects pratiques mais aussi mémoriels de cette période de deuil et de transition, la direction de l’Université Charles a fait savoir qu’elle comptait bien accompagner ses étudiants et son personnel sur le long terme. Milena Králíčková, doyenne de la plus ancienne université d’Europe centrale :
« Nous sommes bien conscients du fait que de nombreuses personnes vont avoir besoin d’une aide psychologique accrue. Pas seulement nos étudiants, mais aussi nos collègues et tous les autres employés, non-académiques, qui gèrent tout ce qui est nécessaire pour la vie de notre université. A toutes ces personnes, nous souhaitons apporter une aide psychologique mais aussi un soutien sans faille, non seulement dans les semaines, mais aussi les mois à venir. »
Car la route risque d’être longue avant un retour à une forme de normalité, a fortiori pour les personnes présentes lors de la tuerie et qui ont pu en réchapper, mais aussi pour celles qui n’y étaient pas mais qui sont liées à ce lieu par leurs études, leurs amis, leurs professeurs, dont certains ont perdu la vie. Pour mener au mieux ce processus de deuil et de mémoire, un événement sera organisé le 21 janvier, un mois après la fusillade, de même que le 16 janvier, avec une cérémonie traditionnelle pour honorer la mémoire de Jan Palach, cet étudiant qui s’est immolé en 1969 pour protester contre l’occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques, et qui a donné son nom à la place devant le bâtiment de la Faculté des Lettres qu’il fréquentait aussi.
Signe de la solidarité de la société tchèque, 73 millions de couronnes ont été collectés à destination du Fonds de l’Université Charles, une somme destinée à aider les personnes touchées par la tragédie.