« Le mot féminisme est encore mal vu et mal compris par la société tchèque »
Hana Stelzerová est directrice du Lobby tchèque des femmes et membre du Lobby européen des femmes. C’est avec elle que nous entamons une série d’interviews consacrées à l’égalité entre les femmes et les hommes. Qu’elles soient à la tête d’institutions, membres du milieu associatif ou engagées en politique, nos invités nous parlent de leur combat et discutent avec nous des principaux enjeux du féminisme aujourd’hui.
Qu’est-ce qui vous a amenée à vous engager en faveur des droits des femmes ?
« J’ai longtemps cherché ce que je voulais faire dans ma vie, car dans les ONG pour lesquelles j’ai travaillé, même si j’aimais beaucoup ce que je faisais je n’avais pas la sensation d’avoir trouvé la cause qui me touchait, qui me correspondait. Quand j’ai commencé à travailler pour le Lobby tchèque des femmes je me suis dit : ‘c’est ça que je veux faire, c’est le combat de ma vie’. »
En dehors de votre travail, comment se manifeste votre engagement féministe au quotidien ?
« Pour moi le féminisme correspond véritablement à un mode de vie, car le simple fait de soutenir les femmes relève déjà du féminisme, il n’y a pas que les luttes historiques comme celle pour l’obtention du droit de vote qui méritent le qualificatif de féministe. En cela le féminisme est bien plus qu’un mouvement : c’est nous, les femmes, en nous soutenant les unes les autres et en revendiquant l’égalité au quotidien qui faisons exister le féminisme. Mais l’égalité de genre est un combat de tous les jours car notre environnement est imprégné de sexisme, je le vois bien quand j’essaye d’élever mes deux fils en les sensibilisant sur le sujet. »
A titre personnel, quelle est la cause qui vous touche le plus aujourd’hui par rapport à la situation des femmes en Tchéquie ?
« De toute évidence la plus grande inégalité entre les femmes et les hommes c’est la violence de genre parce qu’elle est à l’origine de beaucoup d’autres inégalités. En effet si vous ne vivez pas dans un environnement où vous vous sentez en sécurité, alors vous ne pouvez pas avoir une bonne carrière, gagner de l’argent, élever correctement vos enfants etc. »
Selon vous, en quoi le féminisme est-il essentiel pour la société tchèque aujourd’hui ?
« Le mot féminisme est encore mal vu et mal compris par la société tchèque, car quand vous vous dites féministe vous êtes directement catégorisée comme l’activiste agressive de service, même si la société tchèque est en train d’évoluer petit à petit sur ce point-là. Le féminisme est essentiel pour notre société notamment parce qu’il est crucial pour la démocratie. On le sait, les sociétés marquées par de fortes inégalités de genre et une faible participation féminine sont en retard au niveau économique et dans beaucoup d’autres domaines. Malheureusement ce n’est pas la priorité de notre gouvernement, on en est encore au stade où on a besoin d’expliquer pourquoi nous avons besoin du féminisme, de l’égalité. »
Quelle est la situation des femmes en Tchéquie par rapport aux autres pays européens ?
« C’est difficile de comparer parce que dans les pays où la parole est plus libérée, on observe en fait une augmentation du nombre de violences faites aux femmes. Cela peut paraître paradoxal mais cela s’explique très logiquement par le fait qu’elles ont des espaces où elles peuvent dénoncer ces violences en toute sécurité. Ici les femmes vous diront qu’elles n’ont pas de problème, parce qu’elles interprètent la situation comme le résultat de leur échec personnel. Ensuite, au niveau des droits les femmes ici ont un bon accès à la santé et à l’éducation mais nous sommes en retard en ce qui concerne l’aide aux victimes, la garde des enfants, l’inégalité salariale et la féminisation de la vie politique. »
Et au niveau des politiques gouvernementales qui sont menées en faveur des droits des femmes, comment se positionne la Tchéquie au sein de l’UE ?
« Je pense que sur le sujet l’Europe est en quelque sorte divisée entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est. La Slovaquie, la Hongrie et la Pologne sont en recul sur la question de l’égalité de genre, donc en comparaison avec ces pays-là je pense que nous faisons un peu mieux. Mais il reste que dans nos pays l’égalité de genre n’est pas considérée comme un problème sérieux, alors que les pays d’Europe de l’Ouest en sont déjà au stade où ils essayent d’agir pour les droits des femmes. »
On dit souvent que comme les régimes communistes accordaient plus de droits aux femmes, certaines sociétés d’Europe centrale et de l’est sont plus avancées par rapport aux droits des femmes que les sociétés d’Europe de l’Ouest. Qu’en pensez-vous ?
« Je pense que ça a pu aider à obtenir des droits plus tôt, comme le droit d’avorter ou de voter. Néanmoins pour le régime communiste l’égalité de genre n’était qu’un moyen comme un autre de parvenir à ses fins, mais ce n’était qu’une égalité de façade car les mentalités n’ont absolument pas changé dans la société à cette époque-là. Certes les femmes allaient au travail et ne gardaient pas leurs enfants en journée, mais c’était notamment pour que le régime puisse les endoctriner à sa guise. Au final les femmes faisaient juste des doubles journées parce qu’elles travaillaient le jour et s’occupaient des enfants le soir. »
Les députés tchèques ont voté récemment en faveur d’une modification de la définition du viol dans la loi, et il semble probable que le Sénat fasse de même. En revanche le Sénat a rejeté il y a peu la ratification de la convention d’Istanbul, cruciale pour empêcher et combattre les violences faites aux femmes. Comment expliquez-vous ce double balancier ?
« Le problème, c’est que de nombreuses fausses informations ont rapidement circulé sur la convention d’Istanbul, selon lesquelles elle mettait en danger la famille traditionnelle ou qu’elle véhiculait une idéologie de genre… Alors qu’en réalité elle affirme juste que les personnes avec une identité de genre différente ne devraient pas être discriminées, rien de plus. Le terme ‘genre’ a fait peur parce que ce n’est pas un mot tchèque. En ce qui concerne le changement de définition du viol dans la loi, c’est une avancée mais malheureusement ce n’est toujours pas la meilleure définition qui existe. »