« Ne pas laisser la Russie espérer » : la position tchèque avant le sommet pour la paix en Ukraine
Ces samedi et dimanche, la Suisse accueillera les représentants de 90 pays et organisations pour discuter de la guerre en Ukraine. Mais cette première « conférence de haut niveau sur la paix » se déroulera sans dirigeants russes, chinois et brésiliens qui, tous, ont refusé l’invitation. La Tchéquie, elle, sera représentée par son président, Petr Pavel, et le vice-ministre des affaires étrangères, Jan Marian. Pour connaître le point de vue de Prague sur ce sommet, notre collègue de la rédaction anglophone, Ian Willoughby, s’est entretenu avec ce dernier.
Il s’agit de la cinquième conférence sur la paix en Ukraine depuis le début de l’invasion russe. Quel message le président Petr Pavel et vous-même entendez-vous y faire passer ?
« Tout d’abord, il s’agit du premier sommet au plus haut niveau, au niveau des dirigeants. Les réunions précédentes se sont tenues au niveau des conseillers à la sécurité nationale ou des vice-ministres. Il s’agit donc de la première réunion de ce type dans le cadre du processus de paix ukrainien. mJe pense que notre message sera, tout d’abord, un soutien total à l’Ukraine, la volonté d’apporter notre soutien total à l’avenir et la volonté d’apporter un soutien sur le long terme. Il ne faut pas laisser la Russie pouvoir espérer de la lassitude de notre part. Un message d’unité et de large soutien international, ce qui se traduit par le niveau de participation et le nombre de participants. C’est aussi pourquoi Dana Drábová, qui est la présidente de l’Office national de sûreté nucléaire, fait également partie de la délégation tchèque. »
Les conférences se sont appuyées sur le plan de paix en dix points de l’Ukraine, qui exige notamment le retour aux frontières de 1991 et la poursuite des crimes de guerre. Il semble extrêmement improbable que ces demandes puissent être acceptées par la Russie. Comment la Tchéquie perçoit-elle ces exigences de l’Ukraine ? Ne constituent-elles pas un obstacle à toute forme d’accord de paix ?
« Je pense qu’elles sont tout à fait légitimes. Nous soutenons pleinement l’intégrité territoriale de l’Ukraine, y compris la Crimée. Nous devons soutenir cette formule de paix, qui est la seule. Nous aurons maintenant trois sujets sur la table en Suisse et, bien sûr, une fois que vous avez une large participation internationale, vous vous concentrez sur les sujets qui sont plus faciles à aborder ou susceptibles d’aboutir un accord, commem par exemplem la Charte des Nations unies. Cela ne signifie cependant pas que nous allons renoncer aux autres points du plan. Mais bien sûr, en ce qui concerne ces questions ou ces points, il faut d’abord ‘être deux pour danser le tango’ et la Russie ne veut pas la paix. »
« Actuellement, la Russie ne veut pas quitter le territoire ukrainien, mais ce serait la solution. La Russie peut mettre fin à cette guerre brutale à tout moment. En attendant, nous devons soutenir l’Ukraine, et ce, également sur le terrain. Car la situation sur le terrain influencera la position de la Russie et l’issue future de cette deuxième agression russe. C’est pourquoi notre initiative pour les munitions et d’autres initiatives sont très importantes, car elles pourraient créer les conditions de futurs pourparlers de paix, et nous ne savons pas quand et comment cela se produira. »
Le président américain Joe Biden ne participera pas à la conférence et de nombreux pays n’ont manifestement pas répondu à l’invitation. Mais ce qui frappe le plus, c’est bien évidemment l’absence de la Russie. Comment peut-on parler de conférence de paix si le principal acteur de la guerre n’y participe pas ?
« Il ne s’agit pas d’un sommet pour négocier une paix, mais de soutenir le processus de paix ukrainien à long terme, la formule de paix, de rassembler le soutien international et peut-être de créer les conditions d’une solution future ; et peut-être, un jour, de pourparlers avec la Russie, mais nous n’en sommes pas encore là, de toute évidence. »
Des pays comme le Brésil et la Chine affirment qu’ils ne participeront pas si les Russes ne sont pas à la table des négociations. Que pensez-vous du fait que des pays qui pourraient potentiellement avoir une certaine influence sur la Russie ne soient pas présents ?
« Bien sûr, nous préférerions qu’ils soient eux aussi autour de la table, et certains d’entre eux ont d’ailleurs participé à la réunion précédente au niveau des experts, ou des hauts fonctionnaires. Nous continuerons sans aucun doute à leur tendre la main. C’est quelque chose que la Tchéquie a fait avant cet événement au niveau du ministère des Affaires étrangères et au niveau du président. Nous continuerons à le faire et à essayer de faire passer notre message sur la nécessité de faire face à l’agression russe, parce qu’elle a un impact profond, et pas seulement dans cette région. Cela a un impact sur la sécurité alimentaire, par exemple, qui est très pertinente pour certains partenaires, notamment en Afrique, et qui sera discutée en Suisse. »
Cette question est peut-être un peu similaire, mais la conférence se tient à la demande de l’Ukraine et vise manifestement à dégager un consensus autour des principes de base d’un futur règlement. Mais est-ce possible sans l’intervention de quelques grands acteurs ?
« Je pense que nous pouvons continuer même sans certains acteurs. C’est quelque chose qui doit être fait. Mais, comme je l’ai dit, nous continuerons à parler avec la Chine. D’une part parce que la Chine souhaite développer le commerce international avec les États-Unis et l’Union européenne, et opérer dans le cadre d’un système international. D’autre part parce qu’il est évident que la Chine soutient d’une manière ou d’une autre l’agression russe. C’est pourquoi nous devrons continuer à discuter avec la Chine à ce sujet. »
Quel serait, selon vous, un résultat positif de la conférence de ce week-end ?
« Premièrement, le niveau de participation et le nombre de participants. Deuxièmement, une éventuelle déclaration commune qui devrait au moins confirmer le rôle de la Charte des Nations unies. Et troisièmement, des questions concrètes telles que celle que j’ai mentionnées. En outre, toutes les réunions bilatérales qui se tiennent en marge d’un événement international d’une telle ampleur sont toujours utiles. Notre délégation s’entretiendra donc avec d’autres délégations que nous ne rencontrons pas souvent. »
Cette conférence suit immédiatement un sommet du G7 et précède également un sommet de l’OTAN à Washington le mois prochain. Ces réunions, en particulier le sommet de l’OTAN, ne seront-elles pas plus importantes lorsqu’il s’agira de déterminer la position occidentale à l’égard de la guerre ?
« Je pense que le minimum que nous puissions faire est, malheureusement, de contenir la Russie dans les années, voire les décennies, à venir. Je pense que nous avons besoin que l’Ukraine gagne, ce qui signifie que l’Ukraine sera en mesure de contrôler pleinement son territoire. Et je ne dirais pas cela à propos des nombreux événements internationaux, car il s’agit avant tout de sensibiliser les pays d’Amérique du Sud et d’Afrique. Il y a aussi les événements organisés par les alliés ou les pays partageant les mêmes idées, comme le sommet de l’OTAN. »
Vous avez parlé de discussions en marge de la conférence. Il sera certainement question de l’initiative tchèque en matière de munitions. Où en est-on aujourd’hui ? Il avait été question de premières livraisons en juin.
« Tout d’abord, je ne ferai pas de commentaires sur les détails. L’initiative est en cours, elle est sur la bonne voie et nous continuerons à la soutenir. Nous insistons auprès de nos alliés sur le fait que s’ils sont tous d'accord et que si toutes les promesses se concrétisent, nous serons en mesure de soutenir cette initiative non seulement pour les mois à venir, mais aussi pour l’année à venir, voire plus. Je pense que nous devons montrer à la Russie que nous sommes prêts à poursuivre ce soutien à long terme afin qu’il n’y ait pas, comme je l’ai dit, de lassitude à l’égard de l’Ukraine en Europe. Et je ne pense pas que cela sera discuté ici. Lors de la session plénière, par exemple, il y aura une autre configuration. Mais cette question a été largement débattue lors de la réunion ministérielle de l’OTAN que nous avons récemment organisée au ministère des Affaires étrangères. »
Même si vous ne pouvez pas entrer dans les détails, quel est le degré de satisfaction de Prague en ce qui concerne l’avancement de cette initiative jusqu’à présent ?
« Je pense que nous pouvons être satisfaits. Nous avons déjà pris des engagements et nous avons également obtenu un soutien concret. Nous soutenons également d’autres initiatives, comme celles de l’Estonie et de l’Allemagne en matière de défense aérienne. Et bien sûr, nous devons travailler main dans la main sur ce sujet, soit au sein de l’OTAN, ce qui a été discuté ici récemment, soit au sein de certains groupes partageant les mêmes idées. »